Sidaction, Téléthon… Face aux nouvelles formes de dons, les grands-messes caritatives ont-elles encore un avenir ?
Après un épisode 2017 du Téléthon en baisse, le Sidaction a lieu ce week-end, du 23 au 25 mars, et va tenter de mobiliser les donateurs malgré l'apparition de nombreux concurrents issus des technologies numériques.
Qu'ils illuminent des vestes sombres ou colorent des robes claires, les rubans rouges font leur grand retour sur petit écran ce week-end, du 23 au 25 mars 2018. Jeux sur France 3, reportages sur TF1 et version rafraîchie de l'hymne créé en 1998 par Pascal Obispo (Sa raison d'être), la télévision se mobilise à nouveau au profit du Sidaction.
Mais pour quel succès ? Désormais présidée par la prix Nobel de médecine Françoise Barré-Sinoussi, l'association de lutte contre le sida avait recueilli l'an dernier 4,21 millions d'euros de promesses de dons, soit 40 000 euros de moins qu'en 2015. Sur fond de tension avec Canal+, la soirée des Enfoirés, le 9 mars dernier, n'a attiré "que" 9,7 millions de téléspectateurs sur TF1, un nombre en baisse de 400 000 par rapport à l'an dernier, son pire score depuis l'an 2000. Déception aussi pour l'édition 2017 du Téléthon qui n'est pas parvenue, samedi 9 décembre, à franchir la barre des 80,3 millions d'euros obtenus en 2016. Le compteur s'est fixé à 75,6 millions d'euros de promesses de dons pour la recherche sur les maladies rares. Montant final : 89 millions d'euros récoltés, contre près de 93 pour l'édition précédente. Un relatif déclin qui mène à une réflexion : avec l'arrivée de nombreuses plateformes numériques ou les actions plus locales, les grands-messes caritatives télévisuelles ont-elles fait leur temps ?
"Il faut de grands moments de solidarité à la télé"
Non, tempèrent plusieurs spécialistes, même si les Français seraient plus rétifs à mettre la main à la poche pour une bonne cause. Selon une étude sur la générosité des Français publiée fin 2017 par le réseau d'experts et universitaires Recherches et solidarités et qui se fonde sur les déclarations fiscales, le nombre de donateurs était en effet en recul de 4% en 2016 par rapport à l'année précédente. Quant aux montants de dons déclarés au fisc (qui peuvent être déduits des impôts sur le revenu à hauteur des deux tiers), ils stagnent après une progression constante depuis une dizaine d’années.
Mais les happenings télévisuels restent néanmoins incontournables, expliquent d'une même voix, les Restos du cœur et le président de Recherches et solidarités, Jacques Malet, contactés par franceinfo. La preuve par les chiffres : hors legs et dons d'entreprises, les deux associations qui ont récolté le plus de dons déclarés au fisc sont, dans l'ordre, l'Association française contre les myopathies (AFM), bénéficiaire du Téléthon, et les Restos du cœur, qui collectent l'argent des "Enfoirés".
Chacune dépasse largement les 50 millions d'euros et il est difficile de ne pas noter qu'elles sont toutes deux liées à un spectacle de "charity business" ayant fait les grandes audiences de la télé depuis trois décennies. Avec sa bande de potes, Coluche avait lancé la première édition des "Enfoirés" en janvier 1986, six mois avant sa mort, gravant dans les mémoires ce refrain entêtant : "Aujourd'hui, on n'a plus le droit / Ni d'avoir faim, ni d'avoir froid."
Et la recette, soutient Jacques Malet, est toujours efficace pour trois raisons : "Un : ces shows sont bien conçus par les associations et les médias qui les soutiennent. Deux : les Français ont besoin d’actions démonstratives, collectives et de proximité, comme celles suscitées par le Téléthon ou les Restos du cœur. Trois : nous sommes bombardés d’informations peu réjouissantes."
Or, pour secouer les Français, leur donner de l'espoir, il faut de grands moments de solidarité, relayés avec une force médiatique d'une grande puissance, afin que le message puisse passer au milieu d'infos anxiogènes.
Jacques Malet, président de Recherches et solidaritésà franceinfo
"Les jeunes sont prêts à relayer une belle cause sur les réseaux sociaux"
Mais l'expert ne nie pas non plus l'érosion de la formule, en particulier auprès des jeunes. "Les moins de 30 ans, dont le revenu annuel moyen (13 848 euros) correspond à peu près à la moitié du revenu annuel moyen (25 871 euros), ne représentent que 4% des donateurs (de dons déclarés au fisc)", souligne l'étude Recherche et solidarités.
En revanche, quand ces vingtenaires délient les cordons de la bourse, leur obole moyenne est élevée (335 euros), et leur taux d'effort (ratio entre ce qu'on a et ce qu'on donne) les place en tête de toutes les générations. "Les jeunes sont un peu écoeurés parfois, mais ne baissent pas les bras. Deux termes leur parlent beaucoup : l’action et le sens, commente Jacques Malet. Ils sont prêts à relayer une belle cause sur les réseaux sociaux. Ou à donner par SMS ."
Comment s'adresser à ces jeunes, plus habitués au smartphone qu'à l'écran installé dans le salon ? Le youtubeur français Jérôme Jarre a sidéré les vieux routiers de l'aide humanitaire fin 2017 en levant deux millions de dollars (dans le monde) pour la "Love Army Rohingya" via un site basé en Irlande, GoFundMe. Fort du soutien de l'acteur Omar Sy et à grands renforts de vidéos en ligne, il semble parvenu "à motiver des gens peu habitués à donner pour des tragédies lointaines", estime La Croix. Qu'a-t-il fait de l'argent ? La Love Army n'a pas rendu publique la ventilation des fonds mais, selon le site de vidéos Brut, ceux-ci auraient permis de financer des écoles et un hôpital.
Jacques Malet, lui, ne cache pas son scepticisme : "Il y a deux impératifs absolus quand on recueille des dons caritatifs : un dispositif sécurisé et une traçabilité du don. Et, le plus important, c'est d'expliquer comment on dépense les sommes recueillies sur le terrain en évitant la corruption."
"La générosité se diversifie avec de plus en plus de canaux"
Reste que les structures caritatives, grandes ou petites, cherchent à prendre le virage numérique et à cibler les nouvelles générations. Le passage se fait par glissement, ou plutôt par mélange des méthodes.
La générosité se diversifie avec de plus en plus de canaux.
Laurence de Nervaux de la Fondation de Franceà franceinfo
Cette responsable de l’Observatoire de la philanthropie à la Fondation de France résume cette coexistence : "Il y a toujours les dons en nature, qu'il s'agisse de denrées [pour les Restos du cœur] ou d'objets : vêtements, meubles, tentes, etc. Mais il y a aussi, désormais, la collecte de pair à pair au profit d’organisations comme l’institut Curie, qui met à disposition des outils logiciels permettant à chacun de promouvoir la lutte contre le cancer. Ou encore le crowdfunding [financement participatif] et la générosité embarquée : les micro-dons avec les arrondis en caisse, sur salaire ou sur relevé bancaire."
Micro-dons : "La petite touche sociale et solidaire" favorisée par les entreprises
Vous ne maîtrisez pas ce concept ? C'est tout simple : imaginons que la facture de vos courses du jour, dans votre supermarché favori, s'élève à 9,92 euros. Si votre magasin soutient une association d'intérêt général (parfois très locale) et que la cause vous plaît, vous pouvez arrondir à 10 euros. Et huit centimes iront financer Bibliothèques sans frontières, les abeilles en danger, ou la Ligue de protection des oiseaux d'Ile-de-France. Un Français sur quatre serait prêt à ce second passage en caisse à but philanthropique, affirme un reportage de France 2 datant de 2015.
Même principe pour le salaire. Le vôtre s'élève à 2 003,8 euros ? Vous pouvez donner les 80 centimes d'euros après la virgule à une des associations partenaires de votre employeur, si votre société participe à "l'arrondi sur salaire". Si vous avez le cœur sur la main, vous pouvez ajouter 3 euros pour ne plus toucher que ce compte rond : 2 000 euros. "En général, les salariés font un don complémentaire de 3 à 3,50 euros par mois", remarque Pierre-Emmanuel Grange, fondateur de l'entreprise MicroDON, qui vend l'arsenal juridique et technique nécessaire aux entreprises intéressées. Il se félicite du succès croissant de cette formule, où "100% du don est reversé aux associations bénéficiaires" : "En 2016, nous avons eu 3,5 millions de micro-dons, représentant 1,5 million d’euros. En 2017, nous en étions déjà à 10,5 millions de micro-dons représentant 2,5 millions d’euros."
Un dispositif en train de se populariser en France, pourtant à la traîne : "En Angleterre, l’arrondi sur salaire représente déjà 200 millions de livres sterling [230 millions d'euros] par an", précise Pierre-Emmanuel Grange. La législation le sert : depuis 2001, rappelle Le Figaro, les grandes entreprises sont tenues d'avoir une démarche "sociale et environnementale". Beaucoup encouragent donc le micro-don et abondent les sommes versées aux ONG partenaires. "C'est leur petite touche sociale et solidaire", ironise-t-il.
"On donne moins à une marque qu'à un projet"
Du côté du financement participatif, secteur en plein essor, la concurrence bat son plein. Les start-up rachetées par de grosses banques, les cagnottes en ligne Le Pot Commun (filiale de la BPCE) ou Leetchi (détenue à 85% par Crédit Mutuel Arkea), dédient chacune un onglet à la solidarité. La start-up bordelaise HelloAsso, qui se rémunère par pourboire (des dons volontaires de l'internaute), est un des acteurs majeurs du secteur. "Notre plateforme financière offre ses services à 40 000 associations afin qu’elles récoltent des dons, des cotisations, et qu’elles puissent diversifier leurs services, déroule le directeur du développement Thomas Guillochon. Et elles ont recueilli plus de 30 millions d'euros l'an dernier."
S'il compte dans son éventail le Secours populaire, HelloAsso fournit surtout des outils financiers à des associations locales qui s'épanouissent comme fleurs au soleil sur les prairies numériques : "La grosse différence entre aujourd'hui et les années 90 ?, interroge Thomas Guillochon. On donne moins à une marque qu'à un projet."
Les jeunes ne se considèrent pas comme des donateurs, mais comme les membres d'une communauté mobilisée autour d'un projet. Et ils vont ensuite entrer dans une logique d'ambassadeurs sur les réseaux sociaux, avec une réactivité immédiate.
Thomas Guillochon, directeur du développement d'HelloAssoà franceinfo
"Changer les codes de solidarité"
Projet, tel est également le maître-mot de la plateforme de financement participatif dédiée aux personnes en situation de handicap : Humaid. L'entreprise, qui se finance en prenant une commission de 10% sur chaque campagne, détaille ses objectifs, photos à l'appui. Il s'agit donc, pour 3 660 euros, d'"aménager la maison de Matthieu", qui sourit du haut de ses cinq ans, pour 1 734 euros, de "doter de lunettes intelligentes" les yeux d'Alain, 59 ans, qui pose sur fond de mer turquoise, ou encore, pour 4 220 euros, de changer le fauteuil roulant de Marion, 22 ans. Des montants qui restent à charge des familles, une fois que la Sécu et la mutuelle ont versé leur dû.
L’idée, développe Frédéric Deruet, un des deux fondateurs de l'association, "c’est de changer les codes de solidarité, de financer des cas concrets au lieu de financer une association". Et il n'y a pas de risque de concurrence, parce que l'internaute aura été plus ému par l'iris azur d'un enfant que par le sourire hésitant d'un quinquagénaire ? "Non, assure-t-il, parce que les donateurs viennent souvent soutenir une initiative dont on leur a parlé. Nos projets sont financés à 95%." Ce qui lui a donné l'idée de créer ce site, avec son associé Pierre Durand ? "On a connu, expose-t-il, la problématique du fauteuil roulant d’un proche pas changé parce que pas financé."
Du côté des Restos du cœur, on ne craint pas ces nouvelles approches, intégrées depuis des lustres à leur panoplie d'appels aux dons. "En 2016-2017, souligne l'association fondée par Coluche, sur 100 euros de ressources, seuls 8,22% provenaient du concert des Enfoirés et de la vente de disques. Un chiffre à peu près stable en millions d’euros, mais qui baisse en proportion car le budget des Restos du cœur a quasi doublé ces douze dernières années." Faut-il le regretter ou s’en réjouir ?
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