Un médecin annonce avoir greffé une tête humaine sur un cadavre, la communauté scientifique s'arrache les cheveux
L'opération a été réalisée en Chine, sur deux hommes morts qui avaient légué leur corps à la science. Pour de nombreux spécialistes, l'opération est difficilement transposable sur un receveur humain vivant. Ils soulèvent également les problèmes éthiques.
Le ton est triomphant. Le neurochirurgien italien Sergio Canavero a annoncé avoir réalisé la "première greffe de tête humaine", lors d'une conférence de presse à Vienne (Autriche), vendredi 17 novembre. L’opération a duré 18 heures et s’est déroulée en Chine sous la direction du professeur Xiaoping Ren, de l'université médicale Harbin.
Le compte-rendu de l'opération a été publié dans une revue médicale spécialisée, Surgical Neurology International (en anglais). De nombreux scientifiques ont accueilli cette annonce avec beaucoup de réserves. Franceinfo revient sur cette opération en quatre questions.
En quoi consiste l'opération ?
L'opération a été réalisée sur deux cadavres. Les deux équipes de cinq chirurgiens ont réalisé simultanément deux décapitations sur deux hommes de même gabarit "qui ont fait don de leur corps à la recherche, et dont les familles ont signé un consentement" approuvé par le bureau Human Research Ethics de l’université médicale Harbin, rapporte Sciences et avenir.
La tête du receveur a été "reconnectée" au corps du donneur, précise le site spécialisé. "Certains nerfs comme les nerfs phréniques qui innervent le diaphragme venaient du donneur. D’autres, comme le nerf vague qui part du cerveau du receveur, ont dû être rabouté [assemblé] à celui du corps pour innerver les organes. Les vaisseaux sanguins aussi ont été reconnectés un à un", détaille Sciences et avenir.
Est-ce une première ?
Depuis 2013, Sergio Canavero annonce qu'il sera le premier à greffer une tête humaine sur un corps humain. En 2015, il avait réitéré sa promesse, tout en appelant à des levées de fonds.
Entre-temps, le neurochirurgien a annoncé, en 2016, la greffe réussie avec une tête de singe, rapporte The Guardian (en anglais). Mais l'animal n'a pas repris conscience après la transplantation. Il a été maintenu en vie une vingtaine d'heures avant d'être finalement déclaré mort. Même s'il avait survécu, il aurait été paralysé à vie puisque sa colonne vertébrale n'avait pas été ressoudée, détaille le quotidien.
Quelles sont les réactions ?
L'annonce de la greffe humaine n'a pas été accueillie avec beaucoup d'enthousiasme. "Traitez-moi de perfectionniste si vous voulez, mais je ne pense sincèrement pas que les interventions chirurgicales réalisées sur des patients déjà morts peuvent être qualifiées de 'réussites', explique le neuroscientifique Dean Burnett dans le Guardian. Vous pouvez bien souder deux moitiés de voitures et appeler ça un succès, si elle explose quand vous mettez le contact, on ne s'en souviendra pas vraiment de cette manière", poursuit-il.
Un autre scientifique souligne que l’opération sur des humains en vie pourrait échouer, mais que la tête pourrait survivre, tout en subissant de graves souffrances. "Chaque muscle, les os, tout a été sectionné. Pouvez-vous imaginer la douleur qui en découlerait ? Il n’y a pas pire. La tête va se réveiller en souffrant", explique Jerry Silver, un professeur de neurosciences à l’université de Case Western Reserve aux Etats-Unis, à Newsweek (en anglais).
Même réserve pour Jocelyne Bloch, professeure de neurochirurgie au Centre hospitalier universitaire de Lausanne (Suisse). Elle rappelle à Sciences et avenir qu'il est difficile de juger du résultat sur deux sujets qui ne saignent pas puisqu'ils sont morts. Elle soulève également des problèmes éthiques : "Cela n’a aucun sens. On crée là un tétraplégique complet (car pour l'heure la fusion de la moelle épinière n'a pas été prouvée) et qui devra être toute sa vie sous traitement immunosuppresseur pour éviter le rejet [de la tête]… A quoi cela rime ?"
Quelle est l'étape suivante ?
L'équipe de Sergio Canavero souhaite maintenant réitérer l'expérience sur un receveur humain. "L’ACS [nom de l'opération qui mène à la greffe] est considérée comme la seule option thérapeutique pour un certain groupe de maladies neuromusculaires qui jusqu’à présent sont incurables par d’autres moyens", expliquent les auteurs en introduction.
"Depuis trop longtemps, la nature nous a dicté ses règles. Nous sommes entrés dans un âge où nous pouvons prendre notre destin en main. Ça va tout changer", a lancé Sergio Canavero.
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