Cet article date de plus de cinq ans.

Extinction des dinosaures : pourquoi la découverte de fossiles de poissons dans le Dakota du Nord est un événement scientifique majeur

Une équipe de chercheurs américains a découvert des fossiles très bien conservés, datés de 66 millions d’années. Leur étude, publiée dans la revue "Proceedings of the National Academy of Sciences" a un retentissement majeur dans la communauté scientifique. 

Article rédigé par franceinfo - Auriane Guerithault
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le scientifique américain Robert DePalma sur le site de Tanis, dans le Dakota du Nord (Etats-Unis), le 5 août 2018. (ROBERT DEPALMA / KANSAS UNIVERSITY / AFP)

Séisme dans la recherche paléontologique mondiale. Une équipe de chercheurs travaille depuis cinq ans sur un site du Dakota du Nord (Etats-Unis) dans lequel ils ont découvert des fossiles de poissons extrêmement bien conservés et des restes de dinosaures datant de plus de 66 millions d'années. Dans une étude publiée dans la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences (article en anglais), ils ont exposé leurs résultats.  

Les paléontologues cherchent, depuis quarante ans, à préciser les effets de l'impact d'un gigantesque l'astéroïde sur l'extinction massive des espèces, il y a 66 millions d'années. Voici pourquoi la découverte de ce site dans le nord des Etats-Unis est importante pour la recherche.

Parce qu'elle confirme le scénario du tsunami après la chute d'un astéroïde

La découverte de cette strate de 1m30 d'épaisseur sur le site nommé Tanis dans le Dakota du Nord permet d'affirmer que la chute d'un astéroïde, il y a 66 millions d'années, a déclenché un tsunami de très grande ampleur. "L’épaisseur de la couche montre que le tsunami était très fort avec plusieurs grandes vagues, qui ont amené énormément de sédiments qui se sont accumulés avec une vitesse très rapide", analyse Sylvie Crasquin, directrice du Centre de recherche en paléontologie de Paris, contactée par franceinfo. 

La théorie selon laquelle l'astéroïde qui a heurté la Terre a provoqué une extinction de 75% des espèces terrestres, notamment les dinosaures, a été formulée dès les années 1980 par le scientifique Walter Alvarez. L'impact de ce corps céleste (d'une dizaine de kilomètres de diamètre) a creusé un cratère de près de 180 km de large plus connu sous le nom de Chicxulub, et qui s'étend aujourd'hui pour partie sur terre, sur la péninsule mexicaine du Yucatan, et pour partie en mer, dans le golfe du Mexique. La zone de recherches de l'Américain Robert DePalma et de onze autres scientifiques se trouve à 3 000 km de ce cratère. 

"On travaille sur cet impact depuis près de quarante ans et c’est la première fois qu’on trouve un site qui permette de constituer ainsi les effets immédiats du phénomène.", explique Eric Buffetaut, paléontologue, directeur de recherche émérite au CNRS. Grâce à l’étude de la strate, il est possible de décrire de manière précise comment l'impact de l'astéroïde, suivi d'un gigantesque tsunami, a eu un effet dévastateur sur les espèces terrestres. 

On n'a presque jamais l'occasion d'affiner à ce point le moment d'un événement de l'histoire géologique, c'est très, très rare.

Robert DePalma

au "New Yorker"

Grâce à cette découverte, les scientifiques ont pu élaborer un scénario très crédible pour expliquer le déroulement de l’événement. L'état des fossiles et la preuve que le tsunami a bien eu lieu a permis d’évaluer sa vitesse pour comprendre comment l’enfouissement de ces espèces s’est déroulé.

La chute de l'astéroïde sur Terre a provoqué, outre des séismes majeurs (d'une magnitude supérieure à 10), un énorme tsunami. Une succession de vagues géantes d'une dizaine de mètres de haut ont atteint une mer intérieure qui recouvrait en partie ce qui est maintenant le Mid West, dont le Dakota du Nord. En engloutissant une rivière proche abritant des poissons, le tsunami en a inversé le courant. Des torrents de pierres et de débris se sont abattus sur eux, avant qu'une deuxième vague ne vienne les enterrer. Ils se sont ensuite fossilisés au fil des millénaires.

La paléocéanographe américaine Molly Range a tenté de reproduire dans une vidéo une reconstitution de la sucession de vagues qui ont enfoui très rapidement les différentes espèces existantes à ce moment.

Parce que de nouvelles espèces ont été découvertes 

Le site découvert par l'équipe de Robert DePalma est un véritable trésor pour la communauté scientifique. Dans la couche de 1m30 d'épaisseur, on trouve des fossiles de poissons, des restes de mosasaures (un reptile marin géant) ainsi qu'un fragment de hanche de tricératops (le célèbre dinosaure herbivore cornu à la collerette osseuse). "Plusieurs spécimens se révèlent être de nouvelles espèces, et d'autres sont les meilleurs exemplaires de leur genre”, s'est réjoui Robert DePalma, auteur principal de l’étude publiée ce lundi. "Les fossiles sont extraordinairement préservés, en trois dimensions au lieu d'être aplatis", ajoute Robert DePalma. 

Des fossiles de poissons vieux de 66 millions d'années découverts dans un excellent état de conservation par une équipe de chercheurs américains, sur le site de Tanis, dans le Dakota du Nord.  (ROBERT DEPALMA / KANSAS UNIVERSITY)

"Il y a un matériel végétal incroyable, tous entrelacés et imbriqués", indique Robert DePalma dans un article du New Yorker qui retrace précisément les différentes étapes de la fouille du site et des découvertes depuis le début des recherches, en 2012. "Il s’agit d’un gisement de fossilisation, autrement dit un moment instantané de vie, extrêmement bien préservé. En plus il s’agit d’un mélange de faune continentale et d’organismes marins, ce qui est exceptionnel", analyse Sylvie Crasquin. La conjonction de la chute de l'astéroïde et du tsunami explique l'état dans lequel ont été retrouvés les fossiles. La rapidité de la vague qui a englouti ces espèces les a, en quelque sorte, figés, ce qui explique leur très bonne conservation. “ Les parties molles des espèces sont très bien préservées, ce qui est très rare”, explique Sylvie Crasquin. 

Parce que l'étude est saluée par la communauté scientifique... à quelques bémols près

La découverte de l'équipe scientifique a été saluée par la communauté des chercheurs dans le domaine. Le directeur de recherche émérite au CNRS Eric Buffetaut juge cette "découverte très intéressante, très importante, [elle] apporte des éléments supplémentaires pour démontrer la réalité du phénomène". Le géologue américain Walter Alvarez, père de la théorie de l'astéroïde dans les années 1980 et ponte de la discipline, s'est même associé à l'étude. 

Mais si les recherches de Robert DePalma sont reconnues comme solides, certains scientifiques s'interrogent sur la méthode de publication. "Tout le monde est perplexe face au grand nombre de choses inhabituelles annoncées… alors que la plupart n’apparaissent pas dans l’article [paru dans la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences]", a réagi Kirk Johnson, directeur du muséum d’histoire naturelle Smithsonian, à Washington. Dans le premier article il n'est ainsi pas fait mention ni des dinosaures, ni des fossiles découverts. Kirk Johnson qualifie tout de même l'étude d'"intéressante"

Toutefois, la découverte d'un tel site reste un événement majeur pour la recherche scientifique. "C'est ce que l'on appelle un gisement exceptionnel dans le jargon, explique Sylvie Crasquin. Il en existe très peu dans le monde, il y en a un en Allemagne ou encore le site de La Voulte-sur-Rhône [en Ardèche] en France."  

Et les scientifiques comptent bien profiter de cette opportunité. Robert DePalma a déjà annoncé que les recherches se poursuivraient durant "des décennies" et des articles sont encore à suivre. Tanis n'a probablement pas encore révélé tous ses secrets. 

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