Drone, manque d'oxygène et météo extrême : comment mesure-t-on le mont Blanc ?
"Ça intéresse tous les Français puisque c'est la seule altitude que le grand public connaît aujourd'hui et qu'on a appris dans nos livres d'école !" Denis Borrel est géomètre à Viuz-en-Sallaz (Haute-Savoie). Après trois expéditions depuis 2017, il est devenu le président de la commission pour la mesure du mont Blanc en 2023, qui s'est déroulée en septembre. L'altitude actualisée du mont Blanc, le plus haut sommet de l'Europe occidentale, a été révélée ce jeudi 5 octobre : il culmine désormais à 4 805,59 mètres.
>> Trois choses à savoir sur l'altitude du mont Blanc, qui a perdu plus de trois mètres depuis 2010
Le mont Blanc est mesuré tous les deux ans depuis 2001. La dernière datait de 2021, avec une altitude de 4 807,81 mètres. Entre 2010 et 2023, le toit de l'Europe a baissé de plus de cinq mètres. En moyenne, il perd une dizaine de centimètres par an depuis 2001 selon les géomètres-experts.
Ces derniers mesurent en réalité le manteau neigeux au sommet du mont Blanc, qui évolue selon le vent. Ces mesures permettent aussi de fournir des données fiables pour les experts, comme les glaciologues et les climatologues.
Quatre jours d'expédition
Pour cette mesure de 2023, l'expédition est partie de Chamonix le 14 septembre dernier pour une durée de quatre jours d'ascension et de relevés. Les 22 participants, dont sept guides, sont partis avec trois GPS en poche. Le premier mesure l'arrête du sommet du mont Blanc afin de connaître son point le plus haut. Un deuxième GPS, statique sur le sommet, réalise des mesures pendant deux heures, avec des données affinées ensuite, au centimètre près, par l'Institut géographique national (IGN), avec une marge d'erreur de dix centimètres. Un troisième GPS, mobile, arpente le sommet pour avoir des mesures de la calotte glaciaire. Les comparer aux mesures précédentes permet d'analyser l'évolution du volume de glace.
Les GPS permettent d'obtenir des données précises en deux heures seulement. Selon Denis Borrel, il ne serait pas possible de recueillir ces données sans ces nouvelles technologies, car il faudrait rester plus longtemps au sommet, tout en supportant le froid extrême (entre −10 et −30°C).
"Cette année, on était plutôt sous le signe d'une féminisation de l'expédition, explique Denis Borrel, président de la commission pour la mesure du mont Blanc en 2023. La profession se féminise, et il y avait cinq femmes géomètres-experts avec nous sur les 22 participants à monter au sommet."
Une mesure inédite par drone
C'est une première en France : cette année, les experts ont emmené un drone pour réaliser des mesures aériennes et obtenir une modélisation en 3D de la calotte au sommet du mont Blanc. "Un point a été pris tous les deux centimètres carrés sur une surface de 100 mètres par 100 mètres au sommet", indique Denis Borrel.
"Le survol par drone nous a permis de sortir un milliard de points en cinq minutes !"
Denis Borrel, géomètre-expertà franceinfo
Cette mesure par drone a nécessité des autorisations de la préfecture, des mairies de Chamonix et de Saint-Gervais, mais aussi de la Direction de la sécurité et de l'aviation civile, avec un plan de vol prédéfini. Ces autorisations sont accordées pour un quart d'heure de vol. "Ce genre de vol ne peut pas dépasser les 20 minutes, soit l'autonomie des batteries utilisées aujourd'hui sur ces drones".
Grâce au drone, les experts pourraient à l'avenir analyser également l'évolution du volume de neige en-dessous du sommet. "On aimerait bien descendre à 4 700 mètres pour voir finalement s'il y a aussi un abaissement du volume et de l'épaisseur de neige éventuelle sur ces zones plus basses. Aujourd'hui, on ne compare que des données qui sont acquises au-dessus de 4 800 mètres", explique le géomètre.
Le mont Blanc n'a pas été mesuré pendant 40 ans
Avant le lancement de ces expéditions en 2001, aucune mesure du mont Blanc n'avait été réalisée en 40 ans. "Les dernières cartes IGC [de l'Institut national de l'information géographique et forestière] dataient des années 1950-1960", s'étonne Denis Borrel. Les premiers relevés datent des années 1750. "A l'époque, ils posaient un prisme au sommet sur une canne et depuis le bas de la vallée, plusieurs personnes visaient ce fameux prisme. Par triangulation et géométrie, ils arrivaient à en déduire les coordonnées du sommet, détaille le géomètre-expert. Ensuite, ils ont fait monter différents instruments de triangulation optique [par laser], voire des baromètres, qui calculaient la pression atmosphérique et qui en déduisaient, avec la température, l'altitude du mont Blanc."
Le développement et l'intensification des expéditions à partir de 2001 s'explique, notamment, par la prise de conscience du réchauffement climatique. "Avant, ils estimaient qu'il n'y avait pas d'importance à connaître l'altitude précise du mont Blanc car le réchauffement climatique n'était pas forcément d'actualité. Or, aujourd'hui, on s'aperçoit que les glaciers fondent de plus en plus haut dans les vallées, que des poches d'eau se créent et que le permafrost fond également de plus en plus haut."
Peut-on justifier la diminution d'une dizaine de centimètres par an par le réchauffement climatique ? "Le lien, ce sont les scientifiques qui vont nous le donner, les glaciologues et les météorologues, qui vont analyser ces données", répond Denis Borrel. Toutes les mesures sont disponibles sur le site 4810.eu.
"Des larmes" et 30% d'oxygène en moins au sommet
Ces experts sont les seuls à passer autant de temps au sommet du mont Blanc. Atteindre le sommet n'est jamais un moment anodin. "C'est grisant, admet Denis Borrel. Déjà, à l'arrivée, ce sont des embrassades et des accolades. Il peut y avoir des larmes de la part de certains qui n'étaient jamais montés sur le toit de l'Europe occidentale."
Mais les larmes sont vite séchées car il faut aller vite pour réaliser les mesures."La partie émotion est vite effacée par la partie technique. On est là pour un temps donné et on a toute une batterie de mesures à réaliser, sachant qu'on est quand même sujets à l'hypoxie à cette altitude : il y a 30% d'oxygène en moins donc les réflexes et la réflexion sont altérés."
Le défi de cette mesure 2023 était l'utilisation du drone à 4 800 mètres. "On a une portance qui est bien moindre à cette altitude. Donc il faut vérifier que les batteries soient bien chargées au maximum, que tous les paramètres soient OK pour que la portance du drone soit suffisante pour assumer dix minutes de relevés à cette altitude."
Un quart d'heure à 2h30 au sommet, selon la météo
L'entraînement physique et la préparation matérielle ne suffisent pas à la réussite de l'expédition. Les conditions météorologiques, parfois imprévisibles, peuvent réduire le temps passé au sommet du mont Blanc. "Quand on est montés au printemps, il y avait un vent tel que les conditions avaient commencé à devenir un peu plus draconiennes, se souvient Denis Borrel. On est donc restés un quart d'heure au sommet."
Cette expédition en septembre s'est heureusement déroulée avec une météo idéale. Les 22 participants ont pu rester jusqu'à deux heures et demie au sommet.
Un champion olympique avec les experts
Pour cette expédition, les géomètres-experts ont été accompagnés de Martin Fourcade. "Pour le passionné de montagne que je suis, le mont Blanc demeure une source inépuisable de fascination, empreint de sa dimension mythique, a confié le quintuple champion olympique de biathlon, avant l'expédition. En tant qu'athlète de haut niveau, j'ai passé une décennie à évoluer dans un univers régi par des données chiffrées, entre chronomètre, distances et vitesse... Ainsi, l'opportunité exceptionnelle de participer à la mesure 2023 me touche profondément."
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