Ecrans souples, chargeurs ultrarapides, eau potable… Découvrez le graphène, "le matériau du XXIe siècle"
Le graphène est à l'origine de nombreuses découvertes scientifiques récentes. Est-il pour autant le "matériau du futur" ? Franceinfo fait le point.
Plus solide que l'acier, plus conducteur que le cuivre et plus souple que le caoutchouc… Depuis qu'il a été isolé en 2004, le graphène est présenté par certains dans la communauté scientifique comme "le matériau du XXIe siècle". Composé de carbone pur, il est déjà présent dans certains smartphones, écrans ou équipements sportifs.
Lundi 3 avril, une équipe de scientifiques de l'université de Manchester (Royaume-Uni) a annoncé avoir mis au point une sorte de "tamis" à base de graphène capable de désaliniser l'eau de mer, rapporte la revue Nature (en anglais). Une petite révolution, à en croire les chercheurs, au regard des enjeux climatiques. Le graphène pourra-t-il pour autant transformer notre monde ? Franceinfo fait le point.
Le graphène, c'est quoi au juste ?
Le graphène se présente sous la forme d'un feuillet d'atomes de carbone organisés comme "du grillage à poules", explique Laëtitia Marty, physicienne spécialiste du graphène au CNRS, à franceinfo. Composé de carbone pur, c'est la plus fine couche du graphite, le principal constituant des mines de crayons. Même si les scientifiques connaissaient son existence depuis longtemps, il a fallu attendre 2004 pour que ce matériau soit réellement isolé, explique l'université de Manchester (en anglais).
Une découverte… grâce à un rouleau de scotch. "Deux scientifiques ont collé un bout de scotch sur un morceau de graphite et l'ont décollé à plusieurs reprises pour arracher les couches successives et obtenir sa plus fine couche : le graphène", raconte Laëtitia Marty. Six ans plus tard, les deux scientifiques à l'origine de cette expérience, Konstantin Novoselov et Andre Geim, ont obtenu le prix Nobel de physique pour leur découverte. "Un nouveau monde de matériaux s'ouvrait à nous, un monde dont nous ignorions tout", décrit Andre Geim à la BBC (en anglais).
Minéral, le graphène peut se trouver dans la nature, à partir de graphite extrait de mines au Brésil ou à Madagascar, explique Libération. Mais il peut aussi être synthétisé à partir de gaz "comme le méthane ou l'acétylène". Pour le moment, il fait surtout l'objet de recherches scientifiques et industrielles. De premiers objets l'utilisent, mais en infime quantité, comme les raquettes de tennis, les vélos ou encore certains téléphones portables.
Mais à quoi ça peut bien servir ?
Le graphène est un matériau flexible, léger, ultrarésistant, transparent et l'un des meilleurs conducteurs électriques connus, détaille Le Journal du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). "De nombreux matériaux possèdent une ou deux de ces propriétés, mais le graphène les possède toutes, ce qui en fait un composé unique", reprend Laëtitia Marty.
"L'énorme intérêt du graphène est que nous pouvons lui donner les propriétés que nous voulons, décrit la scientifique. Ce matériau peut se coupler à de nombreux autres et améliorer les performances finales de tous les composants." "Le graphène n'est souvent pas la solution à lui tout seul, confirme Le Journal du CNRS. C'est un ingrédient parmi d'autres pour les matériaux du futur."
Le site scientifique cite le cas des fuselages d'avions. Aujourd'hui, les fibres de carbone utilisées permettent de les rendre légers et résistants, mais elles ont un inconvénient : si l'appareil est frappé par la foudre, le courant aura du mal à s'évacuer avec ce matériau, beaucoup moins conducteur que l'aluminium, par exemple. "Les constructeurs sont obligés de rajouter une protection métallique" pour évacuer la foudre, précise Annick Loiseau, physicienne au Laboratoire d'étude des microstructures. Les scientifiques pourraient user du graphène pour doper la conductivité des matériaux utilisés dans l'aéronautique.
Autre exemple, si le graphène, transparent, ne réfléchit pas la lumière, il peut… en produire. Des scientifiques américains ont ainsi réussi à fabriquer une ampoule à incandescence avec des rubans de graphène : "En faisant passer du courant dans le graphène, celui-ci chauffe et fabrique de la lumière, suffisamment fort pour que cela crée un éclairage", décrit Laëtitia Marty. De futures ampoules pourraient ainsi être commercialisées à base de graphène, avec une puissance électrique moindre, mais avec une durabilité plus grande que celle d'une diode électroluminescente (LED).
Comment pourrait-il changer l'avenir ?
Avec toutes ces qualités, le graphène va-t-il révolutionner notre environnement ? Pour le moment, il est surtout utilisé dans la téléphonie, car il possède toutes les propriétés de l’oxyde d’indium-étain ("ITO" en anglais) utilisé dans les écrans des smartphones et tablettes. "Ce composé se raréfie, est cher, cassant et toxique, explique Laëtitia Marty. Le graphène pourrait donc le remplacer avec l'avantage d'être synthétisable."
Certaines entreprises misent donc sur ce matériau pour l'avenir, à l'image du Coréen Samsung qui a conçu un prototype de smartphone avec un écran souple, décrit Le Journal du CNRS. La société britannique FlexEnable a aussi élaboré un smartphone qui s'enroule autour du poignet comme une montre et dont l'écran à cristaux liquides permet de regarder des vidéos.
Le graphène est aussi à l'origine de batteries internes ou externes rechargeables très rapidement. La société britannique ZapGo a ainsi présenté un chargeur de batterie sans fil en graphène pour téléphones portables et tablettes, qui se charge en cinq minutes. En février 2016, elle en avait produit 2 000 exemplaires, distribués à la presse ou vendus à des clients en pré-commande, note l'Agence France Presse (AFP).
Si le carbone est pointé du doigt dans le réchauffement climatique, il pourrait, sous forme de graphène, résoudre certains enjeux environnementaux, détaille la BBC (en anglais). Début avril, une équipe de l'université de Manchester a ainsi mis au point un "tamis" en graphène capable de désaliniser l'eau de mer. "Nous avons fabriqué une membrane de graphène que nous avons posée dans l'eau de mer, décrit Rahul Nair, directeur de l'étude, à franceinfo. Le matériau est perméable et laisse passer l'eau, mais filtre le chlorure de sodium, le composé du sel." En filtrant l'eau, ce "tamis" pourrait aider des millions de personnes n'ayant pas accès à l'eau potable.
La biomédecine n'est pas en reste, puisque le graphène est aussi utilisé dans des thérapies contre le cancer ou dans la recherche sur l'ADN, note Le Journal du CNRS. "Le graphène possède la faculté de s’accumuler dans les tumeurs", explique à la revue scientifique Alberto Bianco, de l’unité CNRS Immunopathologie et chimie thérapeutique. Bien que les chercheurs n'aient pas encore analysé l’origine exacte de cette propriété, ils espèrent s’en servir pour cibler les cellules cancéreuses.
Doit-on s'attendre à voir du graphène partout ?
D'ores et déjà, le matériau fait l'objet d'une course mondiale entre les pays et les industries : si 50 brevets ont été déposés en 2004, il y en a eu environ 9 000 en 2014, selon des statistiques du gouvernement britannique. La Chine possède 2 204 brevets et Samsung, 407, note la BBC (en anglais). Bruxelles a retenu en 2013 un projet de recherche autour du graphène, le Graphene Flagship, qu'elle a doté d'un budget d'un milliard d'euros sur dix ans.
Mais malgré toutes ces innovations, difficile de prédire un futur composé uniquement de graphène. Son coût d'exploitation est très élevé, notamment dans la fabrication des écrans de téléphone qui nécessitent un graphène pur, difficile à obtenir. "Nous pensons avoir besoin de dix années supplémentaires pour atteindre le moment où de nombreux appareils vont arriver sur le marché", explique Andrea Ferrari, directeur du centre dédié au graphène à l'université de Cambridge (Royaume-Uni), à l'AFP.
Le graphène possède aussi quelques concurrents. En 2014, une équipe européenne de chercheurs a réussi à créer du germanène, un cousin du graphène mais qui n'existe pas dans la nature. S'il s'avère moins cher à produire, il pourrait sérieusement mettre ce dernier en danger, précise Sciences et Avenir.
Autre problème à long terme, peu de scientifiques sont capables de prédire la fin de vie du graphène. "On ne sait pas encore comment il pourrait se dégrader et repartir dans la nature, prévient Laëtitia Marty. S'il n'est pas toxique en soi pour l'homme, il pourrait l'être lorsqu'il est couplé à d'autres composants." Alberto Bianco, coordinateur d'un des volets du Graphene Flagship, résume la problématique dans Libération : "On ne peut pas dire qu’il y a un danger, mais on ne peut pas dire non plus qu’il n’y en a pas."
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