A tout le monde, à personne ou au Luxembourg : mais à qui appartient vraiment l'espace ?
Le grand-duché compte devenir le leader dans le commerce des ressources minières de l'espace. Un texte encadrant l'exploitation des ressources spatiales est entré en vigueur, mardi.
"Dans dix ans, la langue officielle de l'espace sera le luxembourgeois." Etienne Schneider, vice-Premier ministre du Luxembourg, affiche sans détour l'ambition du grand-duché. Une loi encadrant l'exploitation des ressources spatiales est entrée en vigueur dans ce petit pays, mardi 1er août. Ce texte permet aux entreprises d’aller chercher des matières sur la Lune, sur des planètes ou bien sur les astéroïdes les plus proches et de les exploiter. Le Luxembourg compte, à terme, devenir le leader dans le commerce des ressources minières de l'espace. Mais est-il possible de traverser l'atmosphère et s'approprier tout ce qu'on y trouve ? Franceinfo fait le point sur les richesses qui entourent notre planète.
Théoriquement, c'est un "bien commun de l'humanité"
Le projet luxembourgeois met en colère Armel Kerrest, professeur émérite de droit public à l'Université de Bretagne Occidentale, professeur à l'Institut de droit de l'espace et des télécommunications et président de l'Association pour le développement du droit de l'espace en France.
lI n'est pas possible de s'approprier les corps célestes.
Armel Kerrest, spécialiste du droit des espaces internationauxà franceinfo
Le juriste rappelle l'existence d'un texte fondateur, entré en vigueur 1967. Il s'agit du "Traité sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique" (PDF). "C'est vraiment la Constitution, la base qui a établi toutes les règles qui sont encore valables actuellement", insiste le spécialiste.
Le texte, accepté par l'écrasante majorité de la communauté internationale, a été écrit en pleine Guerre froide. Les Etats-Unis et l'Union soviétique étaient en compétition pour la conquête de la Lune. Afin d'éviter qu'une partie ou l'autre ne s'accapare le satellite naturel de la Terre, un nouveau cadre a été établi car "dans le droit international général, s'il arrive à un endroit qui n'appartient à personne, un Etat peut se l'approprier. On appelle cela l'acquisition d'un territoire sans maître", explique Armel Kerrest.
L'article II du traité de 1967 est considéré comme fondamental. Il pose des règles totalement différentes du droit international classique : "L'espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l'objet d'appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d'utilisation ou d'occupation, ni par aucun autre moyen."
"Le traité de 1967 définit des principes : le principe général est que l'espace appartient à tout le monde, c'est-à-dire à nous tous. C'est le patrimoine commun de l'humanité, souligne Marco Ferrazzani, conseiller juridique de l'Agence spatiale européenne (ESA). Ce n'est pas parce qu'il y a le drapeau américain sur la Lune qu'elle appartient aux Etats-Unis."
Certains ont déjà commercialisé des parcelles et des pierres
L'Américain Dennis Hope affirme être le propriétaire de La Lune, Mars et de nombreux corps de notre système solaire. Comment a-t-il procédé ? Il s'est autoproclamé propriétaire de ces objets célestes, a-t-il raconté à Vice.
J’ai tout simplement envoyé aux Nations unies une lettre où je revendiquais les droits de propriété pour la Lune ainsi que les huit autres planètes et leurs lunes.
Dennis Hopeà Vice
"Aucun gouvernement de cette planète n’a jamais contesté ma revendication, un point c’est tout", souligne l'entrepreneur. En 1980, il a lancé une société, Lunar Embassy, pour revendre des parcelles de Lune ou encore de Mars. Il revendique maintenant quelque six millions de clients. Parmi eux, d'anciens présidents des Etats-Unis comme Jimmy Carter, Ronald Reagan ou encore George W. Bush.
"Cela n'a aucune valeur légale, naturellement. C'est folklorique", commente Armel Kerrest. "Le gouvernement américain n'a jamais reconnu de tels actes. (...) Et les Nations unies ne répondent qu'à des Etats, pas à des personnes privées", complète Marco Ferrazzani.
Si les titres de parcelles sont bons pour faire des confettis, des roches lunaires ont été ramenées sur Terre. La Nasa dispose de 381,7 kg, récoltées au cours de six missions entre 1969 et 1972. Certaines pièces ont été exposées à Vienne, la capitale autrichienne, en 2013.
L'agence spatiale américaine ne commercialise pas ces roches et les réserve à la science. Par exemple, des chercheurs du CNRS ont pu étudier, en 2009, un échantillon ramené par la mission Apollo 17.
Mais les pierres originaires de la Lune ont une grande valeur marchande. En 1993, trois cailloux de notre satellite ramenés par les Soviétiques ont été vendus pour 442 000 dollars (372 000 euros), rapportait le New York Times (en anglais). Un petit sac de la mission Apollo 11 encore imprégné de poussières lunaires, dont la Nasa s'est séparée par accident, a été vendu aux enchères par la maison Sotheby's (en anglais), en juillet. Montant de la transaction : 1,8 million de dollars (1,5 million d'euros), rapporte Le Figaro.
Parfois, il est fait état de ventes aux enchères de roches lunaires mais il s'agit de morceaux tombés naturellement sur Terre. Par exemple, en 2012, un morceau de sol lunaire de 1,8 kg a été vendu 255 000 euros. Il se trouvait sur la face cachée du satellite naturel. Il en a été arraché par l'impact d'un astéroïde, avant de rejoindre la Terre.
La société Moon Express compte s'engouffrer dans ce business et souhaite ramener des roches lunaires à l’horizon 2020, rapporte Numerama. "Nous avons clairement l’intention de rendre ces échantillons disponibles au niveau international pour la recherche scientifique comme pour les collectionneurs", a expliqué son fondateur Robert Richards. Une activité qui devrait rencontrer un franc succès, a estimé Robert Pearlman, responsable du site Collectspace.com : "Je ne pense pas que Moon Express aura du mal à trouver un marché."
Pour Armel Kerrest, ces ventes aux enchères et ce projet ne sont pas problématiques pour l'instant : "Cela reste marginal et ce sont de petites quantités. On ne peut pas vraiment parler de ressources à grande échelle."
Des Etats se saisissent du problème
Si le traité de 1967 pose les fondements, il n'évacue pas tous les cas de figure. Il ne prévoit pas, par exemple, l'exploitation de ressources spatiales, car à l'époque la question ne se posait pas. Les développements techniques n'étaient pas assez développés pour sérieusement envisager aller chercher de la neige ou des minéraux ailleurs que sur la Terre. "Même aujourd'hui, ces projets relèvent encore du fantasme", estime Armel Kerrest. Mais grâce aux progrès réalisés depuis cinquante ans, comme avec la mission Rosetta, l'idée fait son chemin.
"Les nouvelles lois des Etats-Unis, en 2015 [avec l'Obama Space Act], et du Luxembourg, en 2017, prévoient l'extraction de certaines ressources comme possibles mais, bien évidemment, toujours en accord avec le traité de 1967. Ce n'est ni une dérogation ni une violation du droit. Mais cela demande que l'on complète le traité de 1967 avec de nouvelles dispositions qui vont devenir nécessaires", affirme Marco Ferrazzani.
Pour lui, "c'est inévitable" : "Des Etats auront, d'ici vingt ans, les capacités d'exploiter des ressources spatiales et il faudra développer un cadre juridique adapté, mettre au point un système de partage équitable des ressources, comme c'est déjà le cas pour le partage des fréquences radio-électriques." "Ce n'est pas le Far West", martèle le juriste, insistant sur le fait que les entreprises privées seront surveillées par les Etats qui octroieront des autorisations. "Si de plus en plus d'Etats prennent ce genre d'initiative, il va y avoir une pression pour lancer le débat", abonde-t-il.
"Comment les Etats-Unis et le Luxembourg peuvent-ils autoriser l'exploitation de ressources de territoires dont ils ne sont pas souverains ? C'est extraordinaire, c'est un illogisme de base, c'est contraire au sens commun", s'énerve Armel Kerrest.
Ils jouent sur les mots de façon tout à fait anormale.
Armel Kerrestà franceinfo
"Certains Etats et certaines entreprises vont exploiter ce qui appartient à l'ensemble de l'humanité. Ce n'est pas neutre. Cela signifie que les pays en voie de développement vont encore une fois pouvoir se brosser", poursuit-il.
Une idée qui émerge : s'inspirer des fonds marins
Que vont devenir les revenus générés par ces exploitations ? Seront-ils reversés à l'ensemble des Terriens ? "On a un précédent qui marche : l'exploitation des fonds marins", note Armel Kerrest. En effet, "en droit maritime, il y a une mer territoriale qui va jusqu'à 12 milles marins (22,2 km) des côtes. Un Etat peut exploiter économiquement la mer jusqu'à 200 milles de ses côtes. Au-delà [à plus de 370 kilomètres du littoral]. Pour exploiter ces fonds marins, il y a une autorité internationale qui réglemente l'exploitation minière des grands fonds marins, veillant à ce que le milieu marin soit protégé. Dans ce cadre, elle donne des autorisations et demande qu'une petite partie des bénéfices soient reversés à l'intérêt commun : aux Nations unies", détaille Marco Ferrazzani.
"Ce type de régime n'existe pas encore pour l'espace parce que nous ne sommes pas capables, pour l'instant, de réaliser une extraction minière sur Mars ou une comète", souligne le juriste de l'ESA. Comment extraire la matière ? Quels matériaux peut-on commercialiser ? Difficile d'imaginer un cadre à une activité encore marginale. "Les cadres se fondent toujours sur l'expérience et il va être prématuré de rédiger un régime strict alors que l'on ne sait pas encore quelles sont les réalités techniques et économiques", estime-t-il.
"Je veux bien que l'on me dise que, pour l'instant, c'est du baratin théorique. Mais il est important de maintenir l'idée que l'espace appartient à tous." Armel Kerrest regrette que "les Etats hésitent à prendre position car ils se disent qu'ils auront peut-être des entreprises qui vont pouvoir tirer profit de certains corps célestes." Et de conclure : "Il n'y a plus de vision politique et humaniste."
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