Espace : cinq questions sur les tempêtes solaires, qui doivent se multiplier au cours de l'année et pourraient avoir des conséquences sur Terre

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Une éruption solaire géante capturée par la sonde Solar Orbiter, le 15 février 2022. (SOLAR ORBITER / EUI TEAM / ESA & NASA)
Le Soleil connaît des cycles d'activité d'environ onze ans, dont le pic est attendu entre fin 2024 et début 2025. Les particules qu'il éjecte à très haute vitesse lors de ses éruptions pourraient perturber le fonctionnement de nos satellites et nos infrastructures électriques.

Les habitants des zones polaires (et même ceux de latitudes moins extrêmes) vont en voir de toutes les couleurs. Les aurores boréales et australes vont se multiplier dans les mois qui viennent, car les éruptions solaires, à l'origine de ces spectacles nocturnes, vont être particulièrement nombreuses. 

Une tempête solaire "extrême", la première de ce niveau depuis 2003, a justement commencé à frapper la Terre vendredi 10 mai, générant d'impressionnantes aurores boréales. Le géomagnétique a été mesuré au niveau 5, soit le niveau maximum sur l'échelle utilisée, a annoncé l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA).

Les tempêtes solaires sont liées à l'activité du Soleil, qui connaît des cycles de onze ans et se trouve en ce moment dans une phase de forte activité. Le pic est attendu vers la fin de l'année 2024 ou au début de 2025, précise Frédéric Pitout, astronome adjoint à l'Institut de recherche en astrophysique et planétologie (Irap). D'ici là, l'activité va aller crescendo. Elle pourrait même avec des conséquences concrètes sur notre quotidien. Explications.

1 Quelle est l'origine des éruptions solaires ?

Les éruptions solaires sont les manifestations du "magnétisme changeant" du Soleil. Ce dernier, résume Frédéric Pitout, se comporte comme un gigantesque aimant qui, lors de chaque cycle, change de direction. Cette importante modification s'accompagne d'une hausse de son activité, visible aux taches apparaissant à sa surface.

L'Agence spatiale européenne a publié, le 13 février, deux images du Soleil prise par sa sonde Solar Orbiter. La première a été prise en février 2021, alors que le minimum d'activité le plus récent remonte à décembre 2019. La surface de notre étoile semble relativement homogène.

Image du Soleil prise par la sonde Solar Orbiter en février 2021. (ESA & NASA / SOLAR ORBITER / EUI TEAM)

La seconde a été prise en octobre 2023. A cette période, le Soleil n'était pas encore aussi actif qu'en février 2024. Toutefois, le panorama est nettement différent de l'image précédente. Ici, des taches grandes et nombreuses sont bien identifiables.

Image du Soleil prise par la sonde Solar Orbiter en octobre 2023. (ESA & NASA / SOLAR ORBITER / EUI TEAM)

Ces taches, témoins de l'activité de notre Soleil, sont les foyers des éruptions solaires – les scientifiques emploient le terme d'"éjections de masse coronale" (EMC). Lors de ces événements, le Soleil expulse du plasma, du "gaz très chaud chargé électriquement", synthéthise Frédéric Pitout. On parle de tempêtes solaires quand la puissance de ces phénomènes est élevée.

2 Quelle est la taille d'une éruption solaire ?

L'échelle d'une éruption solaire est astronomique. Les taches solaires peuvent faire plusieurs fois le diamètre de la Terre (qui est d'environ 12 750 km). Celle qui a généré la forte éruption du 22 février (appelée AR3590) faisait environ 16 fois le diamètre de notre planète, selon le médiateur scientifique Pierre Henriquet. Il s'agissait d'une éruption de classe X, la catégorie la plus puissante sur cinq degrés : A, B, C, M et X (chaque palier étant dix fois plus intense que le précédent).

Les filaments qui s'élèvent des taches lors des éruptions solaires peuvent s'étendre sur des dizaines de milliers de kilomètres. La Nasa, l'agence spatiale américaine, a partagé une image permettant de comparer la taille de la Terre et l'éruption de classe X du 21 février. 

3 Que se passe-t-il lorsqu'une tempête solaire atteint la Terre ?

Le Soleil libère constamment des éléments, des particules très lentes, de basse énergie. C'est ce qui forme en partie le vent solaire, dans lequel baigne l'environnement de notre étoile. Cette bulle, appelée héliosphère, est très étendue, comme l'illustre cette image de la Nasa.

Illustration de la Nasa montrant où se trouvent les sondes Voyager 1 et Voyager 2 par rapport à notre système solaire et à l'héliosphère. (NASA / JPL-CALTECH)

Les particules des éruptions solaires, elles, sont "très fortement accélérées, parfois à des fractions de la vitesse de la lumière" (environ 300 000 km par seconde), remarque le spécialiste Frédéric Pitout. Certaines peuvent mettre plusieurs jours à nous parvenir quand les plus véloces peuvent arriver en une quinzaine d'heures, alors que le Soleil se trouve en moyenne à près de 150 millions de kilomètres.

Une aurore boréale vue depuis la ville norvégienne de Hamar, le 7 novembre 2023. (JORGE MANTILLA / NURPHOTO / AFP)

Hautement énergétiques, ces particules heurtent la barrière magnétique de la Terre, que l'on appelle la magnétosphère. Elles la traversent et finissent par entrer en contact avec l'atmosphère terrestre. C'est là qu'elles donnent lieu aux fameuses aurores boréales (dans l'hémisphère nord) ou australes (dans l'hémisphère sud). 

4 Quels dégâts les éruptions solaires pourraient-elles engendrer sur Terre ?

Derrière les lumières féériques des aurores boréales et australes se cachent de potentiels problèmes pour nos infrastructures électriques et nos satellites, en cas d'éruption solaire particulièrement violente, prévient auprès de franceinfo Olivier Katz, prévisionniste au Centre opérationnel de météorologie de l'espace des Alpes.

"En cas de forte éruption solaire, tout ce qui est ferreux, qui peut conduire l'électricité et qui est très long sur Terre, comme les pipelines ou les câbles électriques, peut être touchés par des surtensions. On peut imaginer des black-out."

Olivier Katz, prévisionniste en météo de l'espace

à franceinfo

Une tempête solaire extrême "pourrait affecter des infrastructures critiques et mettre un coup d'arrêt à certaines zones économiques", abonde l'expert Quentin Verspieren, coordinateur du projet Protect au sein de l'ESA.

Le dernier épisode violent documenté remonte à 1859. Il est surnommé l'événement de Carrington, du nom de l'astronome britannique qui l'a étudié. Lors de cette éruption, il y avait tellement d'életricité générée que des télégraphes avaient été endommagés et des personnes avaient pu communiquer via ces systèmes de transmission de messages, alors qu'ils étaient débranchés, relève Olivier Katz. Il souligne que des aurores boréales avaient également été observées très loin des pôles, au niveau des Caraïbes.

Un événement aussi puissant que celui de Carrington au XXIe siècle "serait susceptible de mettre hors service la quasi-totalité des satellites en orbite et d'affecter sévèrement les réseaux électriques", écrit La Cité de l'espace, rapportant les conclusions d'une étude de 2013 pour l'assureur Lloyd's. Pour la seule Amérique du Nord, la facture des pertes pourrait s'éléver à quelque 2 600 milliards de dollars.

Une tempête solaire d'une violence inouïe est passée à côté de la Terre en 2012. Elle aurait pu "renvoyer la civilisation contemporaine au XVIIIe siècle" si elle avait atteint notre planète, selon la Nasa. Un événement extraordinairement puissant pourrait endommager au sol des installations critiques que l'on mettrait une ou deux générations à réparer ou à remplacer, prévient Oliver Katz.

Le foisonnement des appareils électroniques et notre utilisation toujours plus croissante de dispositifs s'appuyant sur des données satellitaires nous rendent plus vulnérables que jamais aux tempêtes solaires. "Lorsque vous utilisez Google Maps pour trouver votre itinéraire et vous rendre dans un restaurant, la carte a été faite avec des satellites d'observation de la Terre. Pour le petit point bleu qui vous localise, et le calcul du meilleur trajet, vous utilisez des satellites de navigation", souligne l'expert Quentin Verspieren. 

Ce type de recherche peut être fait dans le monde entier grâce à des satellites de télécommunications, poursuit le coordinateur du projet Protect de l'ESA, relevant que l'on sait par ailleurs si on doit prendre ou non son parapluie grâce à des satellites de météo. "Finalement, ce geste qui peut sembler anodin utilise des données satellitaires qui viennent d'infrastructures qui coûtent des centaines de milliards d'euros en cumulé", souligne-t-il.

Rien qu'une perturbation des services satellitaires de navigation et de timing, qui fonctionnent ensemble, auraient des conséquences en cascade. Les réseaux électriques, à l'échelle de pays ou de continent, les réseaux de transports ou encore de télécommunications sont également coordonnés avec ces satellites et seraient affectés, insiste-t-il.

"Le système financier international, et le système bancaire en général, est réglé avec ça. Les bourses seraient bloquées et on ne pourrait pas retirer d'argent aux distributeurs ou payer par carte."

Quentin Verspieren, de l'Agence spatiale européenne

à franceinfo

Si notre dépendance est grande et les potentiels impacts importants, les spécialistes contactés par franceinfo appellent à ne pas sombrer dans le catastrophisme, insistant sur la rareté d'événements pouvant être hautement problématiques.

5 Sommes-nous capables d'anticiper les tempêtes solaires ?

Notre connaissance du magnétisme du Soleil est encore loin d'être parfaite. Par exemple, son pic d'activité était attendu pour 2025, mais il pourrait finalement survenir un peu avant, ce qui montre nos lacunes. Le processus d'apparition des taches solaires, tout comme leur comportement précis, demeure encore mystérieux. Il nous est également encore difficile d'évaluer le temps de parcours des particules éjectées lors des éruptions. "Nous avons encore énormément d'incertitudes", concède Quentin Verspieren.

Toutefois, le savoir progresse, grâce à des missions en cours, comme celle de Solar Orbiter, et vont encore s'étoffer avec la mission Vigil de l'ESA, en 2030. L'objectif est notamment d'affiner nos prévisions de météo de l'espace pour que les autorités puissent lancer des alertes et prendre des mesures de précaution en cas de sévère tempête solaire. Il pourrait s'agir, par exemple, de clouer les avions au sol le temps nécessaire (plusieurs heures ou plusieurs jours) pour éviter les problèmes si les systèmes de navigation satellite venaient à être perturbés ou interrompus.

Quentin Verspieren ajoute que des discussions ont commencé, à l'échelle du continent européen, pour qu'une entité avec les compétences adéquates soit opérationnelle pour le prochain cycle, dans onze ans. Avant cela, la vigilance est de mise jusqu'au pic d'activité à venir.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.