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Astronaute, cosmonaute, spationaute, taïkonaute... Que cachent ces différentes appellations ?

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le Français Thomas Pesquet (à droite), le Russe Oleg Novitsky (au centre) et l'Américaine Peggy Whitson (à gauche) saluent la foule à Baïkonour, en Russie, avant leur décollage pour la Station spatiale internationale, le 17 novembre 2016. (KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP)

Entre vestiges de la Guerre Froide et regain de la compétition spatiale internationale, franceinfo revient sur les différentes façons de nommer les voyageurs de l'espace.

Thomas Pesquet est-il un "astronaute", un "cosmonaute" ou un "spationaute" ? A partir de la fin avril, le Français va passer six mois à bord de la Station spatiale internationale (ISS). Il sera en colocation avec d'autres personnes originaires de différents pays. Mais quel mot précis convient-il d'utiliser pour parler d'eux ? "Etymologiquement, ils sont tous valables pour désigner un voyageur de l'espace", explique auprès de franceinfo Edouard Trouillez, lexicographe aux éditions Le Robert. 

"Astronaute" vient des mots grecs astron (étoile) et nautes (navigateur). "Cosmonaute" trouve lui son origine dans les mots grecs kosmos (univers) et nautes. "Spationaute" est en revanche un mot hybride avec un mot latin spatium (espace) et, encore une fois, nautes. En fait, la différence entre tous ces termes réside uniquement dans les passeports des personnes concernées.

"C'est le seul métier où différents mots sont utilisés selon la nationalité de la personne."

Edouard Trouillez, lexicographe

à franceinfo

"'Astronaute' est le mot le plus ancien", souligne Edouard Trouillez. Il a été utilisé et mis en avant par les Américains lors de la Guerre Froide. "Cosmonaute", lui, a été promu par les Soviétiques. Quant au terme "spationaute", il a été poussé par la France, mais son usage est "moins répandu", note Edouard Trouillez.

Un conflit sémantique hérité de la Guerre Froide

"Pendant la Guerre Froide, dire 'cosmonaute' faisait référence aux Soviétiques et à tout ce qui va avec : l'idéologie communiste, le Grand Soir... explique à franceinfo Arnaud Saint-Martin, sociologue, chargé de recherche au CNRS, et spécialiste des questions spatiales. De l'autre côté, 'astronaute' faisait référence aux Américains avec les militaires de l'US Air Force, comme Neil Armstrong, et tout l'héroïsme qui accompagne le patriotisme américain."

"Chaque puissance spatiale historique a construit un certain rapport à l'aventure spatiale. Et chacune a nommé différemment les préposés aux vols spatiaux, dans un jeu de soft power."

Arnaud Saint-Martin, sociologue

à franceinfo

Selon le sociologue, la "guerre sémantique" entre Américains et Soviétiques s'est accompagnée d'un "travail très conscient (...) d'affermissement et de consolidation pour acter la différence entre les deux termes".

Mais avec la chute de l'URSS et la prédominance du programme spatial américain, le terme "astronaute" a fini par s'imposer. "Ces distinctions tendent à s'effacer avec la multiplication des vols spatiaux réunissant des membres d'équipage de nationalités différentes et astronaute devient plus fréquent que ses deux synonymes", écrit Le Larousse. En effet, la cohabitation d'Américains, de Russes et d'Européens au sein de la Station spatiale internationale peut suggérer l'idée d'un effacement de cette différenciation.

Thomas Pesquet, par exemple, utilise en conférence de presse le terme "astronaute". Un usage, qui peut sembler presque naturel, mais qui n'est pas sans lien avec le contexte. "Ce n'est pas étonnant. Il part [pour l'ISS] à bord d'une capsule Crew Dragon de SpaceX, qui est américain. Il est entraîné en Amérique, le lancement a lieu en Floride : les Etats-Unis sont la puissance invitante", souligne Arnaud Saint-Martin.

Nouvelles puissances et nouveaux noms

Si les différentes dénominations semblent a priori s'estomper, d'autres termes émergent quand même. "Taïkonaute" a par exemple été utilisé pour la première fois en français en 1999, selon Le Robert. Le mot vient du chinois taikong pour cosmos et désigne un voyageur spatial chinois. Plus récemment, le terme "vyomanaute", du sanskrit vyoman (ciel), est apparu pour désigner un voyageur spatial de nationalité indienne.

L'éclosion de ces nouveaux mots traduit, selon Arnaud Saint-Martin, la "fragmentation de la politique spatiale internationale avec l'émergence de nouvelles puissances". La Chine, par exemple, fournit d'importants efforts en envoyant une sonde sur la face cachée de la Lune ou en s'intéressant à la planète Mars. Pékin et Moscou ont d'ailleurs annoncé, début mars, coopérer en vue de la mise en place d'une base lunaire.

>> Quatre questions sur le projet de base lunaire lancé par la Chine et la Russie

Pour Arnaud Saint-Martin, la création de nouveaux termes pour les voyageurs spatiaux "fait partie d'un ressort rhétorique un peu incontournable parce qu'il y a eu ce précédent avec les 'astronautes' et les 'cosmonautes'". En résumé, quand un Etat, ou un acteur privé, souhaite s'affirmer comme une puissance spatiale, il a besoin de le consolider par des mots, pour exister et se différencier.

Des tensions toujours présentes

Après la course à l'espace de la Guerre Froide est venue la période de "l'exploration spatiale". En façade, cette ère semblait plus pacifique, même si "les tensions ne sont jamais vraiment redescendues" entre les Etats-Unis et la Russie, affirme Arnaud Saint-Martin, estimant que nous glissons vers une nouvelle "conquête spatiale".

Dans cette compétition, les Américains font donc face à de nouveaux acteurs avec lesquels ils maintiennent d'âpres relations. "Les gens de la Nasa n'ont pas le droit d'échanger avec leurs homologues chinois", remarque Arnaud Saint-Martin.

"S'ils échangent ne serait-ce qu'un e-mail professionnel avec un ingénieur chinois, c'est de la trahison, de l'espionnage, c'est passible de prison. C'est ça la réalité de la politique spatiale internationale : c'est extrêmement tendu."

Arnaud Saint-Martin, sociologue

à franceinfo

Dans cette arène à l'échelle planétaire, les termes "taïkonaute" et "vyomanaute" vont-ils finir par se faire une place dans le langage courant, voire supplanter les autres ? Si selon Arnaud Saint-Martin nous allons beaucoup entendre parler du premier dans les années à venir, Edouard Trouillez estime qu'il est difficile de l'anticiper : "La langue représente le monde. Son évolution est imprévisible parce que l'histoire est imprévisible."

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