Prix Abel de mathématiques : "C'est une récompense un peu difficile à porter, je n'en dors pas la nuit quasiment", confie Michel Talagrand
"C'est une récompense un peu difficile à porter, je n'en dors pas la nuit quasiment, je transpire", témoigne auprès de France Inter Michel Talagrand, récompensé ce mercredi par le prestigieux prix Abel de mathématiques. Il explique avoir "eu beaucoup plus que ce qu'(il) mérite".
L'ancien directeur de recherche au CNRS de 72 ans, cinquième Français à remporter l'équivalent du prix Nobel dans la discipline, revient sur l'annonce de sa consécration par l'Académie norvégienne des sciences, très ému : "Mon cerveau s'est arrêté, l'information était tellement extraordinaire et inattendue". "J'ai téléphoné à mon épouse puisque elle a soutenu mon travail pendant de nombreuses années en ne me dérangeant jamais et elle méritait d'être la première à apprendre la nouvelle", confie-t-il.
Une carrière consacrée à l'analyse fonctionnelle et aux probabilités
Entré au CNRS à 22 ans après des études à l'université de Lyon, Michel Talagrand consacre sa carrière à l'analyse fonctionnelle et aux probabilités. "Les processus aléatoires sont tout autour de nous et les probabilités sont le modèle puissant pour les étudier", explique-t-il sur France Inter. "La sécurité des centrales nucléaires, la tenue des barrages par exemple, reposent sur les probabilités et mon travail sur la partie théorique, c'est-à-dire la compréhension des mécanismes fondamentaux qui permettent de construire ces modèles". S'il reconnaît que ces travaux n'ont pas "immédiatement une application pratique", il ajoute qu'ils "contribuent à la clarification et au renforcement des outils qui, eux, permettent d'avoir des applications pratiques".
"Le public ne se rend pas compte que les mathématiques sont tout autour de nous, mais leur application met parfois un certain temps. Il ne faut pas vouloir immédiatement avoir des applications."
Michel Talagrand, chercheurà France Inter
Michel Talagrand a choisi les maths "simplement par que ce (son) père était agrégé de mathématiques", d'autant qu'il était "très médiocre dans toutes les autres disciplines", raconte-t-il sur France Inter. Un choix également "par nécessité". "J'ai perdu un œil à l'âge de cinq ans, ce n'était pas trop grave, mais j'ai eu de multiples décollement de la rétine à l'âge de 15 ans et j'ai vécu des années dans la terreur de devenir aveugle", glisse-t-il. Pour "combattre cette terreur", il se "jette" dans le travail. "Une fois qu'on s'est un peu investi, ça devient de plus en plus facile et j'aurais été bien incapable de faire autre chose", ajoute-t-il.
D'élève "assez médiocre" au prix Abel
D'"assez médiocre", il devient alors "un bon élève" au lycée du Parc à Lyon et est ensuite recruté au CNRS en 1974, avant de devenir docteur en sciences mathématiques de l'Université de Paris VI. En 1978, il décroche une médaille de bronze du CNRS puis se tourne vers les probabilités. Ses travaux de recherche abordent notamment les processus stochastiques, la concentration des mesures ou encore les verres de spin, des contributions "impossibles" d'expliciter pour le grand public.
"J'ai été seulement un solitaire mais travailler seul ne veut pas dire être isolé", assure-t-il. "Il est très utile d'avoir des contacts avec d'autres (…) il suffit quelquefois d'une phrase échangée avec un collègue pour déclencher une découverte", s'amuse Michel Talagrand. Toutefois avec l'âge, il reconnaît avoir perdu en créativité : "Les idées se ralentissent, la dernière fois que j'ai éprouvé vraiment l'émerveillement d'avoir une nouvelle idée, j'avais 52 ans", confie celui qui en a maintenant 72. "Cest le temps de m'arrêter", dit le retraité, pour qui "les mathématiques sont un sport de jeunes".
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