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Au tribunal, la solitude de Michel Neyret face à sa chute

L'ancien numéro 2 de la PJ lyonnaise comparaît depuis trois jours devant le tribunal correctionnel de Paris pour corruption, trafic d'influence et de stupéfiants et violation du secret professionnel.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Michel Neyret devant le tribunal correctionnel de Paris, le 2 mai 2016. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCETV INFO)

L'image en dit long. Michel Neyret est assis sur sa chaise, au bout du banc des prévenus, la tête penchée et appuyée sur une main. A la barre, trois de ses anciens collègues et coprévenus font bloc. Des dîners avec des informateurs ? "Jamais, pas même un café", dit l'un. Des informations fournies à des indics ? Et puis quoi encore ! "C'est l'informateur qui doit donner des renseignements, pas l'inverse", répond un autre.

Dans son procès, comme à la fin de sa carrière, Michel Neyret est seul. Jugé depuis trois jours devant le tribunal correctionnel de Paris pour corruption, violation du secret professionnel et trafic de stupéfiants, l'ancien numéro 2 de la police judiciaire lyonnaise, est confronté à un exercice délicat : commenter sa propre chute. Un exercice d'autant plus difficile à comprendre que ceux qui y ont œuvré ne sont pas là.

Gilles Bénichou et Stéphane Alzraa, escrocs de haut vol qui ont bénéficié des (nombreux) services de l'ex-flic, ont refusé de comparaître. Le premier, installé à Villeurbanne (Rhône), attend tranquillement que le procès se termine. Le second a profité d'une permission de sortie de prison pour se faire la malle et se cacherait en Israël.

"Informateurs" ou "amis"?

Lâché depuis longtemps par ces deux corrupteurs présumés, dont on ne sait plus s'il faut les appeler "informateurs" ou "amis", Michel Neyret doit faire face seul au dossier, à ses charges importantes, et aux questions incisives du président Olivier Géron. "Que de précautions et d’interventions au bénéfice de Stéphane Alzraa", a-t-il souligné mardi, après avoir examiné la liste des services rendus par l'ancien directeur adjoint de la PJ de Lyon au cousin de Gilles Bénichou, mais aussi à toute la galaxie d'individus gravitant autour des deux hommes. Parmi les faits reprochés on retrouve des consultations de fichiers de police, notamment Interpol, des sollicitations de collègues et de magistrats du parquet pour des "interventions bienveillantes" ou encore des informations fournies sur des procédures en cours...

Tout cela sans "renseignement opérationnel" en retour. Alors que le président s'en étonne à plusieurs reprises, Michel Neyret dévoile sa cuisine en matière de "manipulation" d'informateurs, qui s'apparenterait à la maturation d'un bon vin : "Stéphane Alzraa était un informateur en devenir, une relation naissante. D'où des interventions plus importantes que pour mes autres contacts, déjà acquis." "C'est un peu la faute à pas de chance si l'enquête est tombée à ce moment-là, alors ?", ironise Olivier Géron.

Autre objection, soulevée cette fois-ci par la procureure Annabelle Philippe : pourquoi se rapprocher d'individus qui évoluent dans la sphère de la grande délinquance financière, bien loin du terrain de prédilection de Michel Neyret, le grand banditisme et les stupéfiants ?

"Je cherchais à faire une grosse affaire"

On touche le cœur du problème et l'ancien ponte de la police a bien du mal à s'en expliquer.  Attrapant le micro du pupitre pour donner plus de portée à sa voix étonnamment fluette, il évoque "l'imbrication" entre le milieu des escroqueries, du grand banditisme et de la criminalité. "Je m'intéressais à l'environnement de Stéphane Alzraa et Gilles Bénichou. Pas forcément pour moi mais pour d'autres services de police qui travaillaient sur ces domaines", argue-t-il sans convaincre. Sa femme, Nicole Neyret, prévenue à ses côtés, donne une version moins policée : "Il n'arrêtait pas de dire 'Je vais rentrer dans le milieu juif (sic), je suis content'". "Je cherchais vraiment à faire une grosse affaire sur le dos de Stéphane Alzraa", rectifie son mari.

On a l'impression que les renseignements vous les donnez, mais vous n'en demandez pas.

Le président du tribunal, Olivier Géron

La ligne de défense de Michel Neyret est d'autant plus difficile à tenir que l'intéressé ne connaissait visiblement pas en détail la teneur des infractions commises par ses informateurs et leurs relations. Leurs noms apparaissent pour la plupart dans la fraude à la taxe carbone, l'une des escroqueries du siècle. Les signaux, pourtant, sont nombreux, relève la procureure. Stéphane Alzraa, qui lui demande de se renseigner sur un mandat d'arrêt émis contre lui, évoque "7 millions d’euros bloqués quelque part". "C'était peut-être le moment d'ouvrir les yeux, lui lance Annabelle Philippe. Stéphane Alzraa n'avait qu'un seul objectif, pouvoir circuler pour continuer à commettre ses infractions." Le président enfonce le clou : "On a l’impression qu’il n’y a pas de jugement de votre part, pas d’analyse de la situation."

"Manipulé" par Benichou

Acculé, Michel Neyret fait acte de contrition. Douloureusement. "Je constate avec tristesse et angoisse que la confiance que j'avais placée dans ces personnes était déplacée. Elles ont profité de ma situation, en ont abusé." L'ex-star de l'antigang lyonnais, qui franchissait une forêt de caméras avec le sourire en arrivant à ce procès, a perdu de sa superbe. "ll est métamorphosé", confirme en marge de l'audience le journaliste du Progrès Richard Schittly, qui a longtemps fréquenté l'ancien patron de la BRI de Lyon avant d'écrire un livre sur sa chute.

"J'ai du mal à l'admettre", répète le prévenu à l'envi. "J’ai fait preuve d’une imprudence absolue, j'ai manqué de professionnalisme", ajoute celui dont la carrière a été couronnée par la Légion d'honneur en 2004. Un "aveuglement" lié, selon lui, à la personnalité de son principal interlocuteur à l'époque, Gilles Bénichou. Cette figure de la "jewish connection" lyonnaise est présentée depuis plusieurs jours comme un "mythomane", "hâbleur", n'hésitant pas à se faire mousser en utilisant le nom de Michel Neyret à tort et à travers dans ses conversations téléphoniques. 

Je pense que monsieur Benichou a été un grand manipulateur

Michel Neyret

devant le tribunal correctionnel de Paris

Une "délinquance astucieuse"

Michel Neyret, le manipulateur d'informateurs, manipulé à son tour, tel une marionnette. Le président Olivier Géron a du mal à l'entendre : "J'ai du mal à croire qu'un policier avec votre ancienneté et votre carrière puisse se faire berner par un indic escroc", lâche-t-il derrière ses lunettes. "Avec Gilles Bénichou et Stéphane Alzraa, j'ai voulu reproduire le schéma que j'avais l'habitude d'appliquer avec mes informateurs dans le grand banditisme", tente Michel Neyret. Une méthode de renseignement basé sur "le ratio intérêt/entorse" (à la règle) et sur le trio "voyou-policier-magistrat". "Mais quand j'ai voulu toucher à cette forme de criminalité financière, cette délinquance astucieuse, j'ai mal maîtrisé", confesse l'homme.

En somme, Michel Neyret, décrit comme étant d'une intelligence rare par son avocat Yves Sauvayre, aurait pêché par incompétence en se frottant à ces escrocs bling-bling, plus habitués à manier la fraude fiscale que les armes. L'accusation a une autre thèse. "Ce n'est pas le stade des réquisitions mais je vais vous dire le fond de ma pensée", déclare la procureure. "J'ai tendance à croire que vous ne vous êtes pas fait berner mais que vous vous êtes laissé corrompre et que ça vous a aidé à fermer les yeux." Pont de l'Ascension oblige, le tribunal n'examinera ce volet corruption que lundi prochain. Au programme, les cadeaux, voyages et autres avantages dont ont bénéficié par Michel Neyret et son épouse. 

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