Procès Neyret : quatre ans de prison requis contre le "grand flic" qui a croqué dans la "pomme"
Au cours d'un réquisitoire de plus de quatre heures, les deux procureures ont insisté, lundi, sur le fait que l'ancien numéro 2 de la PJ lyonnaise s'est laissé corrompre par des escrocs. Le parquet a requis quatre ans de prison dont dix-huit mois avec sursis.
Dans la salle surchauffée de la 18e chambre du tribunal correctionnel de Paris, alors que la pluie tambourine aux vitres, une image surgit dans les têtes. Celle de Michel Neyret en train de "faire le beau au bord de la piscine", de "se faire masser", et "de rouler en Ferrari", cheveux aux vents, lunettes de soleil sur le nez, lors d'une belle journée. La procureure Annabelle Philippe est en train de reproduire une conversation téléphonique entre deux figures du milieu lyonnais, Gilles Bénichou et Stéphane Alzraa. L'ancien numéro 2 de la police judiciaire lyonnaise l'écoute, tête baissée, assis sur sa chaise de prévenu. "On l'a pour dix ans !", s'exclame l'un des deux cousins. L'arrestation du policier a mis fin à ce "beau" projet.
Selon la magistrate, Michel Neyret est bel et bien "coupable" d'avoir mordu dans "la pomme" tendue par "le serpent" Gilles Bénichou et cédé aux sirènes de Stéphane Alzraa, "corrupteur actif" de l'ex-"grand flic", qui a su déceler toutes "ses failles" et son "talon d'Achille" ("les belles voitures"). Pour cela, la magistrate a requis quatre ans de prison dont dix-huit mois avec sursis à l'encontre de Michel Neyret, lundi 23 mai. Si le tribunal suit ces réquisitions, l'ancien limier, qui a déjà fait huit mois de détention provisoire, pourrait voir sa peine aménagée et ne pas retourner en prison.
"La fin justifie les moyens"
Il n'empêche. C'est un réquisitoire sévère qu'a dû encaisser l'ancien ponte de la police. Souvent prostré, les yeux mi-clos, il a esquissé parfois un sourire nerveux à l'évocation de ses "pratiques délétères" à l'égard de ses "prétendus informateurs". A la question centrale qui a animé ce procès - l'affaire Neyret est-elle le produit d'un système révolu ou la dérive d'un seul homme ? - l'accusation, incarnée par Anabelle Philippe et sa consœur Aude Puret, a apporté sa réponse, cinglante :
Ce procès n'est pas celui de la police judiciaire, mais celui de la philosophie particulière de Michel Neyret.
Le "système Neyret", comme l'ont défini les deux magistrates, se résume en une anaphore : "C'est l'histoire d'un électron libre agissant avec un sentiment de toute-puissance. C'est l'histoire sulfureuse entre un policier et ses informateurs. C'est l'histoire d'un jeu de rôle dans lequel les frontières deviennent poreuses pour disparaître complètement. C'est l'histoire d'un grand flic qui devient voyou." Pour Annabelle Philippe, la "philosophie" de Michel Neyret pourrait aussi tenir en une phrase : "La fin justifie les moyens."
"Quelle est cette fin ?", poursuit la procureure. Sans contester "le mérite" ni "les résultats exceptionnels" du prévenu au cours de sa brillante carrière, elle pointe le glissement opéré dans son parcours. Sur la période correspondant aux faits reprochés, qui court de février à septembre 2011, il ne s'agit plus "de l'intérêt du service, mais de l'intérêt personnel de Michel Neyret". Une évolution logique et "cohérente", selon l'accusation, pour ce "fils de personne", qui a toujours fixé "ses propres règles". "Il n'y a qu'un seul Michel Neyret", estime Annabelle Philippe.
"Inventaire à la Prévert"
D'anciens collègues, entendus la semaine dernière, ont pointé la faute professionnelle commise, selon eux, par la hiérarchie du gradé pour l'avoir laissé beaucoup trop longtemps au même poste (patron de la brigade de recherche et d'intervention, BRI), dans la même ville (Lyon), sans réel garde-fou. Les magistrates en conviennent. Mais elles n'en voient pas moins, dans le comportement de Michel Neyret, "serviteur de l'Etat", "une atteinte majeure à l'ordre public" qui vient "piétiner l'Etat de droits", qu'il s'agisse du volet "trafic de stupéfiants" ou "corruption".
Dans le premier, Aude Puret dénonce des "méthodes anciennes, occultes et dangereuses de rémunération en nature" d'indics, quitte à "demander à ses subordonnés de commettre des infractions pénales". Dans le second, Annabelle Philippe égrène "l'inventaire à la Prévert" des "cadeaux" perçus par Michel Neyret en échange des services rendus à ses "prétendus" "tontons", des indics, et ce "sans poser la moindre question".
"Dans ce dossier, le policier se transforme en 'informateur policier'. Il protège des personnes qui ne sont pas des informateurs, mais des escrocs, tacle la procureure. Entre avril et septembre 2011, dix voyages lui sont offerts." A ces voyages - d'une valeur de "30 000 euros" avait calculé le président du tribunal - s'ajoutent "les prêts de voitures de luxe, les masseuses, les montres Cartier et Chopard, la malle de vêtements" (contestée par Michel Neyret) et "l'argent en liquide" (également contesté). Puis vient "la création d'une société offshore" par Gilles Bénichou en Suisse, accompagné de Nicole Neyret. Annabelle Philippe y voit une "étape importante" pour "montrer la gradation du processus de corruption".
L'ampleur de ce dossier de corruption, il est là, en Suisse, au Panama et à Dubaï.
Pizza aux truffes
"Ses corrupteurs ont compris qui était Michel Neyret, reprend la magistrate. Qu'il n'était pas aguerri face à la délinquance financière." Mais selon l'accusation, l'ex-star de l'antigang n'a pas péché par seule incompétence face à des escrocs de haut de vol : "Ce pacte de corruption, il le conteste, mais néanmoins, il l'a accepté. Vous ne vous êtes pas laissé berner, vous vous êtes laissé corrompre, Michel Neyret." Pour la magistrate, cette affaire pose une question vertigineuse : "C'est quoi un grand flic ? Si c'est ça, l'image d'un grand flic, il était peut-être temps qu'on dise haut et fort la réalité de la légende de Neyret", répond-elle.
Après plus de quatre heures de réquisitoire, le principal intéressé a relevé la tête pour écouter le quantum des peines requises. De six à dix mois avec sursis pour ses trois anciens subordonnés, cinq ans avec mandat d'arrêt pour Gilles Bénichou et Stéphane Alzraa, absents à ce procès, douze mois avec sursis pour sa femme, Nicole, assise à ses côtés... Dans une écoute téléphonique, celle-ci avait lancé à propos d'un des informateurs de son époux : "Il a intérêt de me payer une bonne pizza aux truffes !" Un "euphémisme", selon l'accusation, pour qualifier des "rétributions" qui ont fini par coûter bien plus cher aux indics et finalement au couple d'un point de vue judiciaire. Après les plaidoiries de la défense, mardi, le jugement devrait être mis en délibéré.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.