Affaire Bygmalion : l'article à lire pour comprendre le procès du financement de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012
L'ancien chef de l'Etat comparaît à partir du 20 mai devant le tribunal judiciaire de Paris pour "financement illégal de campagne électorale", avec 13 autres prévenus.
Le marathon judiciaire se poursuit pour Nicolas Sarkozy. Après sa récente condamnation à trois ans de prison (dont un ferme) dans l'affaire des "écoutes", l'ancien président est de retour au tribunal, à partir du jeudi 20 mai pour "financement illégal de campagne électorale".
Treize autres prévenus comparaissent dans le procès de l'affaire Bygmalion, un scandale politico-financier autour d'un système de fausses factures destinées à masquer des dépenses de campagne du candidat Nicolas Sarkozy lors de la présidentielle de 2012. Depuis l'ouverture de l'information judiciaire en 2014, les principaux protagonistes de l'affaire se renvoient la responsabilité de la fraude. Les juges doivent désormais trancher.
Ce procès, programmé plus de quatre ans après la clôture de l'information judiciaire, devait avoir lieu en mars mais il avait été reporté, l'avocat de l'un des prévenus, Jérôme Lavrilleux, étant hospitalisé pour Covid-19.
Qu'est-ce que l'affaire Bygmalion ?
Il s'agit d'une affaire de financement illégal de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2012, au moyen d'un système de fausses factures émises par Event & Cie, une filiale du groupe Bygmalion.
Le 15 février 2012, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, déclare sa candidature à un second mandat. En retard dans les sondages à seulement deux mois du premier tour, il mise sur une campagne éclair pour battre son rival François Hollande. Selon les témoignages recueillis au cours de l'instruction, l'équipe de campagne de Nicolas Sarkozy prévoit d'organiser une quinzaine de meetings. Mais le rythme s'emballe : de la modeste réunion publique aux grand-messes de Villepinte ou de la Concorde, il prononce 44 discours en deux mois et demi. Soit une moyenne de quatre par semaine.
Pour organiser la plupart de ces meetings, il est fait appel à l'entreprise Bygmalion et sa filiale Event & Cie, avec lesquelles l'UMP a l'habitude de travailler. Bastien Millot, président de Bygmalion, est un fidèle de Jean-François Copé, alors secrétaire général du parti présidentiel, et de son directeur de cabinet, Jérôme Lavrilleux, également directeur de campagne adjoint de Nicolas Sarkozy.
Les enquêteurs ont découvert que le montant maximal de dépenses autorisé (22,5 millions d'euros) avait été allègrement dépassé, atteignant 42,8 millions d'euros. Afin que les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy restent officiellement dans les clous, Event & Cie a accepté de sous-estimer le montant des factures des meetings. Les sommes restant à payer ont fait l'objet de fausses factures, réglées directement par l'UMP à Event & Cie, sous couvert de l'organisation d'événements fictifs ou au prix artificiellement gonflé.
Outre l'infraction liée au dépassement du plafond de dépenses autorisé qui vise Nicolas Sarkozy, les autres prévenus doivent répondre de complicité et d'autres chefs plus sévèrement réprimés, parmi lesquels faux, usage de faux, abus de confiance ou escroquerie.
Comment le scandale a-t-il éclaté ?
Tout commence le 27 février 2014. A la une de l'hebdomadaire Le Point, un gros titre : "Sarkozy a-t-il été volé ? L'affaire Copé". Le magazine propose une "enquête sur l'argent de la campagne présidentielle de 2012" et surtout des "révélations sur la 'petite entreprise' qui a ruiné l'UMP". Dans le viseur, Bygmalion aurait "chargé la mule sur certaines prestations facturées à l'UMP", avec des prix atteignant "parfois le double des tarifs habituels". Dans le rôle du coupable, le secrétaire général de l'UMP, Jean-François Copé, accusé d'avoir dilapidé l'argent de son parti pour engraisser ses amis de Bygmalion.
L'analyse du Point se révèle rapidement erronée. Le magazine est d'ailleurs condamné pour diffamation contre Jean-François Copé, qui n'a pas été mis en examen dans l'affaire Bygmalion. Car le 14 mai 2014, une autre bombe est lâchée, cette fois par Libération. Le journal a eu accès aux factures réglées par l'UMP à Event & Cie, début 2012, et y a découvert que le parti avait déboursé 12,7 millions d'euros pour l'organisation de 55 conventions dont la plupart n'ont jamais eu lieu. "Des frais de campagne déguisés ?" s'interroge Libération, soulignant que s'ils avaient été intégrés au compte de campagne, ces millions auraient fait exploser le plafond de dépenses autorisées pour la présidentielle.
Ces nouvelles révélations consternent au sein de l'UMP. Des responsables thématiques censés avoir participé à ces conventions déclarent n'en avoir aucun souvenir. Le dossier connaît un tournant le 26 mai quand Patrick Maisonneuve, l'avocat de Bygmalion, convoque la presse : "Ce qui a été facturé sous le libellé 'conventions', ce sont les meetings de campagne de Nicolas Sarkozy. Bygmalion a été amené à établir des factures qui ont été imputées à l'UMP, alors qu'elles auraient dû l'être à l'Association de financement de la campagne du candidat Sarkozy."
Quelques heures plus tard, Jérôme Lavrilleux est présent sur le plateau de BFMTV. "Il y a eu un dérapage sur le nombre d'événements organisés dans le cadre de cette campagne", reconnaît-il, les yeux humides. Tout juste élu député européen, il dit prendre sa "part de responsabilité" et dédouane Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé, avec lesquels il n'a "jamais eu à discuter de ce genre de sujet".
Pourquoi les dépenses de la campagne de 2012 ont-elles été dissimulées ?
En France, les dépenses électorales sont très encadrées. Afin d'assurer une égalité entre les candidats, indépendamment de leurs fortunes personnelles, les dépenses de campagne sont plafonnées. Pour la présidentielle de 2012, les candidats n'avaient pas le droit de dépasser 16,851 millions d'euros, ou 22,509 millions d'euros en cas de qualification pour le second tour. Un montant censé être contrôlé par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
Dès les premiers meetings de Nicolas Sarkozy en 2012, son équipe prend conscience du risque financier. Les factures s'empilent : pour la réunion du 16 février à Annecy, Event & Cie réclame 250 000 euros, 750 000 euros pour celui du 19 février à Marseille. Le directeur de campagne, Guillaume Lambert, juge les montants excessifs et demande à l'entreprise de réduire la voilure pour les meetings suivants.
Pas suffisant : début mars, deux notes internes alertent sur le risque de dérapage. En tablant sur 15 meetings, le budget dépasse déjà de 642 000 euros le plafond autorisé. "Cette situation (…) impose une stricte limitation des dépenses restant à engager (…), en particulier en ce qui concerne les dépenses de meeting", écrit ainsi le cabinet d'expert-comptable chargé de contrôler les comptes de la campagne dans un document adressé à Guillaume Lambert et Philippe Briand, président de l'Association de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy. L'expert-comptable préconise également "une interdiction absolue d'engager toute dépense complémentaire par rapport aux dépenses budgétées qui sont d'ores et déjà supérieures au plafond légal".
Ces alertes ne sont pas entendues. Après avoir suspendu sa campagne pendant quatre jours (comme d'autres candidats) en raison de la tuerie perpétrée par Mohammed Merah à Toulouse, Nicolas Sarkozy décide d'accélérer, à raison d'une réunion publique par jour. Son équipe s'exécute. Les meetings se poursuivent, toujours plus grandioses.
Désobéir au chef ou risquer de mettre les finances de la campagne dans le rouge ? Dans cette fuite en avant, le choix est fait : truquer les comptes en maquillant à la baisse les montants des meetings versés à Event & Cie, avec l'accord de l'entreprise. Selon les enquêteurs, l'instauration de ce système "était la seule manière de laisser la campagne se dérouler conformément aux volontés du candidat, sans qu'il en subisse les conséquences".
Comment fonctionnait le système de fausses factures ?
Les enquêteurs n'ont pu mettre la main sur les factures de la campagne de Nicolas Sarkozy, la plupart ayant été détruites. Ils ont cependant pu s'appuyer sur le contenu d'une clé USB remise à la justice par Guy Alves, l'un des dirigeants de Bygmalion. S'y trouvait notamment un fichier trahissant la double comptabilité.
Dans l'émission "Envoyé spécial", sur France 2 en 2016, le patron d'Event & Cie, Franck Attal, en avait dévoilé le contenu. En face de chaque prestation, deux montants apparaissaient : le prix réel, réclamé par l'entreprise et un prix fictif, six ou sept fois inférieur à la réalité, facturé à l'équipe de campagne de Nicolas Sarkozy. Le manque à gagner était payé directement par l'UMP, via de fausses factures portant sur des prestations fictives. Ces fausses factures n'étaient pas intégrées au compte de campagne.
L'enquête a également permis de mettre au jour un deuxième mécanisme de fraude, intervenu en fin de campagne. Malgré les dissimulations comptables à grande échelle, les responsables de la campagne s'étaient rendu compte que le plafond de dépenses serait quand même dépassé. Plus de 3 millions d'euros de dépenses (n'ayant cette fois rien à voir avec Bygmalion) ont donc été retranchés pour être pris en charge par l'UMP.
Au total, le coût de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012 a atteint 42,8 millions d'euros, presque le double de la limite de 22,5 millions d'euros.
Qu’est-ce qui est reproché à Nicolas Sarkozy ?
L'ancien président est poursuivi pour "financement illégal de campagne électorale", un délit réprimé par l'article 113-1 du code électoral. Le juge d'instruction lui reproche d'avoir signé le compte de campagne falsifié, puisque sous-estimant largement les dépenses réelles du candidat. Il risque pour cela un an de prison et 3 750 euros d'amende. Pour justifier son renvoi devant le tribunal, la justice souligne qu'il n'a pas tenu compte des signaux d'alerte budgétaire, choisissant au contraire d'accélérer le rythme de ses meetings.
Son directeur de campagne, Jérôme Lambert, assure notamment lui avoir transmis une note des experts-comptables datant du 7 mars, qui pointait déjà le risque d'un dépassement du plafond légal. Une affirmation récemment répétée, face caméra, dans "Complément d'enquête", sur France 2.
Quelle est sa ligne de défense ?
Durant toute la procédure, Nicolas Sarkozy a contesté sa mise en examen sur le fondement du principe non bis in idem, qui veut qu'un justiciable ne puisse pas être jugé deux fois pour les mêmes faits. L'ancien président estime avoir déjà été sanctionné pour le dépassement de ses dépenses de campagne en 2013, lorsque le Conseil constitutionnel avait rejeté ses comptes et lui avait infligé des pénalités financières. Le redressement de l'époque portait toutefois sur quelques centaines de milliers d'euros et n'avait rien à voir avec les fausses factures de Bygmalion. La Cour de cassation a refusé en 2019 d'annuler le renvoi devant le tribunal, qui aura donc à étudier l'argument de Nicolas Sarkozy.
Il explique en outre qu'en tant que candidat à la présidentielle, il ne lui revenait pas personnellement de s'intéresser aux détails des comptes de campagne. "Il y a 46 cartons de factures. Fallait-il que je me plonge dans les 46 cartons ? La vérité, c'est que je n'ai rien lu", a-t-il déclaré devant le juge. "Les comptes de campagne présidentielle, ça doit faire 300 pages. Il n'y a pas un candidat qui regarde ça, de François Hollande à Nicolas Sarkozy, en passant par François Asselineau", jure auprès de franceinfo son ami et ancien ministre Brice Hortefeux.
Nicolas Sarkozy souligne enfin qu'il n'est pour rien dans le choix de Bygmalion, dont les dirigeants étaient des proches de Jean-François Copé et de son fidèle lieutenant Jérôme Lavrilleux. Depuis que le scandale a éclaté en 2014, des soutiens de Nicolas Sarkozy insinuent régulièrement que les versements liés aux fausses factures ont pu être détournés au profit du clan Copé plutôt que de financer secrètement la campagne présidentielle. Une théorie battue en brèche par l'enquête.
Qui sont les 14 prévenus ?
Outre Nicolas Sarkozy, treize prévenus vont défiler à la barre. A l'inverse de l'ancien président, ils sont tous soupçonnés d'avoir participé d'une manière ou d'une autre à la mise en place du montage frauduleux, ou d'en avoir eu connaissance sans donner l'alerte. L'enquête n'a en revanche pas permis de d'identifier avec certitude le ou les commanditaires. Parmi les infractions retenues contre ces prévenus, tantôt désignés comme auteurs, tantôt comme complices : faux et usage de faux, abus de confiance et escroquerie. Ils risquent jusqu'à cinq ans de prison.
Personnage-clé de ce procès, Jérôme Lavrilleux, portait la double casquette de directeur adjoint de la campagne et de directeur de cabinet de Jean-François Copé, et ses relations d'amitié avec les dirigeants de Bygmalion n'étaient un secret pour personne. Il comparait aux côtés de trois autres cadres de l'UMP : le directeur général Eric Cesari, la directrice des ressources Fabienne Liadzé et le directeur de la communication Pierre Chassat.
Trois membres du staff du candidat sont jugés : le directeur de campagne et haut fonctionnaire Guillaume Lambert, et les deux responsables de l'Association de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy (AFCNS), Philippe Briand et Philippe Blanchetier. Les quatre dirigeants de Bygmalion (Bastien Millot, Guy Alves, Sébastien Borivent) et de la filiale Event & Cie (Franck Attal). Deux experts-comptables du cabinet Akelys, Marc Leblanc et Pierre Godet, complètent le casting.
J'ai eu la flemme de tout lire, vous pouvez me faire un résumé ?
Nicolas Sarkozy et 13 autres prévenus doivent être jugés pendant un mois à partir du 17 mars, pour leur implication présumée dans l'affaire Bygmalion. Ce nom est celui de l'entreprise chargée d'organiser les meetings du président sortant, candidat à sa réélection, lors de la présidentielle de 2012. Après les aveux très médiatisés de l'ancien directeur de campagne adjoint, Jérôme Lavrilleux, en 2014, l'enquête judiciaire a permis de mettre au jour un vaste système de maquillage des comptes de campagne. Au total, plus de 42 millions d'euros avaient été dépensés, bien au-delà de la limite de 22,5 millions prévue par la loi.
C'est ce dépassement qui est reproché à Nicolas Sarkozy, qui affirme pour sa défense ne pas s'être plongé dans ses comptes de campagne. Il risque un an de prison pour "financement illégal de campagne électorale". Les treize autres prévenus, soupçonnés d'être impliqués de près ou de loin dans la mise en place de cette fraude, risquent des peines plus lourdes.
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