A quoi va ressembler le "temps d'échanges" sur le racisme et l'antisémitisme à l'école demandé par Emmanuel Macron ?

Après le viol d'une fille juive de 12 ans à Courbevoie, les enseignants en école élémentaire et au collège devront évoquer en classe le racisme, l'antisémitisme et les violences sexistes et sexuelles d'ici la fin de l'année scolaire, a confirmé le ministère de l'Education, jeudi.
Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
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Une intervention sur le harcèlement scolaire, dans une école de Perpignan (Pyrénées-Orientales), le 22 avril 2022. (ARNAUD LE VU / HANS LUCAS / AFP)

Une organisation dans l'urgence. Sur demande d'Emmanuel Macron, "un temps d'échanges, d'enseignement et de réflexion sur le racisme et l'antisémitisme" devra avoir lieu, dans les écoles élémentaires et collèges, d'ici la fin de l'année scolaire, a confirmé, jeudi 20 juin, la ministre de l'Education. Ce moment de discussion devra également aborder "la question des violences sexistes et sexuelles", détaille Nicole Belloubet dans une lettre envoyée aux enseignants, et consultée par franceinfo.

Cette requête présidentielle intervient après le viol et l'agression antisémite d'une adolescente de 12 ans à Courbevoie (Hauts-de-Seine), pour lesquels trois mineurs sont mis en examen. L'affaire, qui survient en pleine campagne pour les élections législatives, a suscité de nombreuses réactions politiques.

Le ministère promet des supports documentaires

Les enseignants de primaire auront jusqu'au 5 juillet pour trouver le bon moment pour cette intervention. Au collège, il faudra aller plus vite : les cours s'arrêtent au plus tard le vendredi 28 juin, les établissements accueillant ensuite les épreuves du brevet. Les lycéens seront eux exemptés d'office, le baccalauréat ayant déjà démarré. Le ministère prône la souplesse, conseillant de choisir le "moment le plus adapté au contexte de l'établissement" et laissant aux enseignants le soin de choisir "les termes les plus adaptés". Il promet aussi de mettre à leur disposition, dès vendredi sur son site internet, des supports documentaires.

Les syndicats ne se montrent pas convaincus. C'est la "débrouille" qui primera, en fonction du temps disponible et de l'âge des élèves, affirment-ils. Evoquer "une agression atroce, mais dont on ne sait rien, puisque l'enquête est en cours" est "problématique", estime Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc). "On va avoir du mal à répondre aux questions des élèves à ce sujet."

"On essaiera de faire des rappels sur ce que sont le racisme et l'antisémitisme et dire pourquoi c'est interdit par la loi, en s'appuyant sur ce que nos élèves savent déjà", anticipe de son côté Jérôme Fournier, secrétaire national du Syndicat des enseignants-Unsa. "Pour les enseignants qui vont être confrontés à des réactions d'enfants à ce fait divers, il faudra en discuter avec eux, et ne pas évacuer la parole de l'élève. Mais sinon, ce temps d'échange va passer à l'as" dans certaines classes, imagine Guislaine David, cosecrétaire générale et porte-parole du SNUipp-FSU, le principal syndicat du premier degré.

"On n'a pas attendu cette demande pour agir"

Beaucoup déplorent la "désorganisation" créée par cette demande de dernière minute. "L'école est une institution qui travaille sur le temps long, et qui organise les connaissances qu'elle doit transmettre dans une réflexion menée par chaque professeur", commente Jean-Rémi Girard.

"On ne va pas improviser une séquence sur l'antisémitisme fin juin, surtout quand on l'a déjà faite en novembre par exemple."

Jean-Rémi Girard, président du Snalc

à franceinfo

L'apprentissage des discriminations est plus "facile quand il arrive au cours du programme, ou qu'il est incarné, avec des situations qui se passent dans la classe ou qui touchent les élèves dans leur quotidien, abonde Jérôme Fournier. La difficulté, là, c'est que ça arrive comme un cheveu sur la soupe. On risque aussi de créer des craintes chez des élèves qui sont passés à côté de ce fait divers, que les parents ont peut-être choisi de protéger."

Surtout, les syndicats estiment que la demande présidentielle méconnaît le travail réalisé sur le sujet au cours de l'année scolaire. "La lutte contre les discriminations est au programme du premier et du second degré. Et les enseignants peuvent être confrontés au racisme et à l'antisémitisme dans la cour d'école, et pas seulement quand il y a des drames, rappelle Guislaine David. On n'a pas attendu cette demande pour agir !"

"L'école ne peut pas tout"

En classe, le rapport à l'autre et les différences sont abordés dès la maternelle, par exemple au travers d'albums illustrés. Les élèves de primaire, de collège et de lycée, bénéficient, eux, d'heures spécifiques d'enseignement moral et civique, où l'égalité et l'étude des discriminations figurent au programme. La semaine d'éducation contre le racisme et l'antisémitisme, organisée chaque année dans les établissements scolaires en mars, permet aussi d'approfondir ces thèmes lors de projets transversaux. "Ce n'est pas parce qu'on va faire une heure [en plus] sur ce sujet que le problème de l'antisémitisme et du racisme va être réglé", prévient Guislaine David. "L'école ne peut pas tout, renchérit Jérôme Fournier : elle fait déjà beaucoup, mais c'est un apprentissage qui se joue aussi en famille."

Enfin, s'ils partagent "l'horreur" de la classe politique sur "le crime commis" contre cette adolescente, ces enseignants dénoncent néanmoins une "instrumentalisation" de l'école à des fins politiques. "C'est un pur coup de com avant les élections législatives", lance ainsi Guislaine David. "On n'aurait pas été dans le contexte de la campagne [électorale], on ne nous aurait peut-être pas demandé de le faire", avance aussi Jérôme Fournier.

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