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"Pourquoi les garçons sauvent les filles dans les films ?" : on a suivi un atelier contre le sexisme dans un collège

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Lors d'un atelier de lutte contre le sexisme mené par l'association Dans le genre égales, le 5 décembre 2017 au collège Henri-Matisse, à Paris.   (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Dès 2018, un "module d'enseignement" visant à lutter contre le sexisme et les violences faites aux femmes doit voir le jour dans chaque école publique française. Franceinfo s'est rendu dans un collège parisien où est déjà organisé un atelier sur le sujet.

"L'idée, c'est vraiment de débattre. On s'écoute et on ne juge pas les autres." Anne Plouët, chargée de mission au sein de l'association Dans le genre égales, se présente, avec son collègue Jean-Michel Taliercio, face à la classe de 5e B, intriguée. En cet après-midi de décembre au collège Henri-Matisse, dans le 20e arrondissement de Paris, ces quelque 25 élèves de 12 et 13 ans s'apprêtent, pour la première fois cette année, à recevoir une leçon d'antisexisme

Dans cette vaste salle de classe, Anne Plouët évoque l'objectif de cet atelier et de son association : "La promotion de l'égalité entre filles et garçons, entre hommes et femmes." "On va regarder un film, puis on va définir les mots 'stéréotype' et 'sexisme'" avant d'engager le débat, annonce-t-elle. Dans les rangs, silence et chuchotements. 

Jean-Michel Taliercio discute avec des élèves de cinquième au collège Henri Matisse, à Paris, lors d'un atelier de lutte contre le sexisme, le 5 décembre 2017.  (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Dans cet établissement de 500 élèves, "l'égalité, on en est loin" et la lutte contre le sexisme est une "priorité", martèle Patricia Jourdy. La principale du collège cite en exemple un élève de quatrième qui, récemment, a soufflé à un camarade qu'il était "mignonne" pour mieux l'humilier. En cinquième, "on se pousse, on s'attrape par le cou. On montre qu'on est un petit garçon, et qu'on est donc plus fort", regrette-t-elle. Alors Patricia Jourdy multiplie les actions. Sur des fenêtres, des affiches réalisées par les élèves défendent une "destinée sans cliché". "Un homme danseur, une femme boxeuse, les stéréotypes sont K.O !", insiste l'une d'elles. Et, depuis trois rentrées, l'établissement invite l'association Dans le genre égales à parler d'égalité et à démonter le sexisme auprès de ses jeunes. 

Il faut déconstruire, à l'heure où ce n'est pas toujours évident de construire

Patricia Jourdy

à franceinfo

En salle 103 A, la séance de cinéma commence. Anne Plouët et Jean-Michel Taliercio lancent le visionnage de leur documentaire, réalisé à Paris en 2011. Le synopsis ? Porte de la Chapelle, l'association a planté une caravane itinérante, ouverte aux jeunes et aux résidents du quartier. Des filles, des garçons, mais aussi des hommes et des femmes adultes, viennent s'asseoir dans ce "salon" ouvert, afin de parler d'égalité, d'inégalités et de stéréotypes de genre. Pendant dix jours, Dans le genre égales a filmé leurs questions et leurs échanges. 

Des notes prises par une élève lors d'un atelier prônant l'égalité entre les filles et les garçons, mené par l'association Dans le genre égales, le 5 décembre 2017 au collège Henri-Matisse, à Paris.  (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Dans la classe, les regards sont rivés vers l'écran. Les élèves écoutent une adolescente, légèrement plus âgée qu'eux, qui se demande pourquoi "on voit toujours la femme comme celle qui fait les tâches ménagères". Puis, toujours dans le documentaire, un jeune homme réagit à une discussion sur les tenues des filles. "Quand tu vois une meuf en minijupe, en décolleté plongeant, tu vas penser à quoi, à ton avis ?" s'amuse-t-il. Certains collégiens chuchotent, interloqués. Quand des images de publicités défilent à toute allure, montrant des femmes quasi nues pour vendre des baladeurs ou des télévisions, c'est toute la classe qui s'exclame, d'un même ton choqué et gêné.

Tarzan et les pubs pour déodorants

Parfois, la surprise laisse place au rire franc. Comme quand le documentaire montre une image de Tarzan hurlant, pour se moquer d'une supposée force supérieure des hommes. Ou quand une publicité vantant un déodorant pour hommes évoque les conditions "extrêmes" de leur quotidien. Car le film interroge aussi les élèves sur les identités masculines. Dans la caravane, un garçon confie "qu'un homme au foyer, ce n'est pas commun". "Pleurer, c'est humain, sauf pour les garçons", assure un autre jeune devant la caméra. Les collégiens écoutent, attentifs. Avant d'applaudir à la fin du documentaire

Nous voulons leur faire comprendre que nos rôles dans la société ne sont pas dus à notre sexe, mais à une image de la femme et de l'homme que la société veut maintenir. Les enfants détestent l'injustice, donc c'est plus facile.

Anne Plouët

à franceinfo

Jean-Michel Taliercio s'empare d'un marqueur. "Nous allons définir trois mots, expose-t-il. Alors, on parle de quoi quand on parle d'égalité ?" Les mains se lèvent. "Que les femmes et les hommes aient les mêmes droits", énonce Léa*. "Il y a les discriminations, par exemple, les racistes", lance Lucas* dans le fond de la salle. Jean-Michel Taliercio valide la première réponse, inscrivant "mêmes droits" au tableau.  

Jean-Michel Taliercio, de l'association Dans le genre égales, explique à des élèves de cinquième ce que signifie le terme "sexisme", le 5 décembre 2017, au collège Henri-Matisse, à Paris.  (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

L'animateur s'attaque ensuite à la définition du sexisme. Le mot captant l'intérêt des jeunes, les bavardages reprennent. "En général, c'est contre les femmes", tente une adolescente. "Souvent, on dit que l'homme est supérieur à la femme", confirme une autre élève. Jean-Michel Taliercio écrit "supériorité des sexes" au marqueur. "Ça mène aux discriminations, décrypte-t-il. Et ces discriminations, elles mènent à quoi ? A une différence de traitement."

Puis, place à la définition des stéréotypes. Les réactions sont immédiates. "On raconte quelque chose sur l'autre, sans forcément que ce soit vrai", répond un garçon avec assurance. "Et vous en connaissez, des clichés ?" interroge Jean-Michel Taliercio. "L'homme qui part à la guerre !" lance une élève. "Une publicité montrant une femme faisant du bricolage !" s'amuse un de ses camarades. La cloche sonne. Les élèves foncent vers le couloir, pendant que les intervenants préparent la suite. 

C'est super, ils ont plein de questions ! Les enfants sentent quand quelque chose n'est pas normal. Quand une petite fille entend qu'une femme est moins bien payée, elle pose une question.

Jean-Michel Taliercio

à franceinfo

Une question écrite par une élève, lors d'un atelier de lutte contre le sexisme au collège Henri-Matisse, le 5 décembre 2017, dans le 20e arrondissement de Paris.  (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

De retour de la récré, Anne Plouët et Jean-Michel Taliercio distribuent les post-it. Les chaises ont été disposées en cercle pour mieux discuter. Les adolescents doivent écrire leurs interrogations sur les inégalités et les clichés entre filles et garçons. Ils débattront ensuite, avec un bâton de parole. 

"On avait envie d'être sauvées par un prince"

Plusieurs post-it convergent autour d'une même question, posée à voix haute par l'animateur. "Pourquoi ce sont toujours les garçons qui sauvent les filles dans les films ?" "C'est l'image qu'on donne aux enfants", répond une élève. Face à elle, Thomas* réalise que "dans James Bond, il n'y a pas d'agents secrets femmes. Les femmes, elles l'amadouent avec leur féminité !" Jean-Michel Taliercio rebondit : "L'histoire d'Adam et Eve, c'est déjà ça !" explique-t-il, soulignant les clichés de la femme faible ou tentatrice face à l'homme d'action. "Mais quand on était petites, on avait envie d'être sauvées par un prince", s'interroge une élève. "Ce n'est pas toute seule que tu as pensé ça", sourit l'intervenant, relevant l'influence des contes de fées. "On pourrait changer ces images !"

Une élève de cinquième et plusieurs de ses camarades lors d'un débat avec des animateurs de l'association Dans le genre égales, le 5 décembre 2017, au collège Henri-Matisse, à Paris.   (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Jean-Michel Taliercio pioche un nouveau post-it. "L'égalité, ça ne sert à rien", lit-il, demandant aux élèves de lever la main s'ils sont d'accord. Sam*, l'auteur du message, se manifeste timidement. "Jamais il n'y aura une égalité totale entre les hommes et les femmes !" Une fille s'insurge : "Sans égalité, les hommes seront toujours plus avantagés que les femmes." L'animateur creuse le sujet, appelant les élèves à lui citer des avancées en matière de droits des femmes. Une élève répond par le droit de vote, tandis que les autres tentent de se souvenir de sa date. Thomas rappelle "qu'avant, les femmes ne pouvaient rien faire sans l'accord de leur mari, de leur père ou de leur frère." "Et si on revenait en arrière ?" se demande Jean-Michel Taliercio. "Ce n'est pas mon problème !" réagit Sam, volontiers provocateur. Protestations dans la salle. Mais il est 16h30, la séance est levée. Avec sept autres ateliers prévus dans l'année, ces élèves, visiblement concernés, pourront bientôt reprendre le débat. 

"Nous, on n'aime pas faire la vaisselle"

"C'est bien pour le respect entre nous", confie Laure* à la sortie de son premier cours contre le sexisme. "Ça m'a beaucoup touchée qu'on parle de ça, poursuit Claire*. Les garçons peuvent défendre leurs opinions, les filles aussi. Et nos idées peuvent évoluer." Bien sûr, certains élèves ne changent pas d'avis après ces deux heures. Sam, l'auteur du post-it sur l'inutilité de l'égalité, est convaincu qu'"il n'y aura jamais le même niveau entre filles et garçons". Pourquoi ? L'adolescent peine à l'expliquer, mais lance que "nous, on n'aime pas faire la vaisselle ou le ménage, alors qu'on a l'impression que les filles aiment ça".  

Patricia Jourdy perçoit pourtant un changement dans les mentalités. Depuis l'arrivée de ces ateliers, et grâce à certaines mesures prises par le collège, les propos sexistes fusent de moins en moins dans les couloirs. Avec ces actions, les élèves "sont plutôt conscients de ce qui doit être dit", constate-t-elle. La principale prépare aussi une marche exploratoire avec trente collégiennes, afin de connaître les lieux publics où ces jeunes filles ne se sentent pas les bienvenues. "Elles sont très motivées, se félicite Patricia Jourdy. Je ne pensais pas qu'elles étaient aussi conscientes des lieux où elles redoutent d'aller."

Malgré tout, "dans les gestes, le vernis craque encore vite", alerte la principale, convaincue de la nécessité de poursuivre ces modules. À l'issue de l'atelier, Jean-Michel Taliercio, lui, se veut confiant. "Il y a des avis sexistes, mais je n'ai pas senti de grosse posture dans ce sens", explique-t-il. La preuve qu'en quelques mois, "ça peut bouger". 

* Les prénoms ont été modifiés, les élèves étant mineurs. 

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