Annonces de Gabriel Attal : "Le redoublement est la preuve de notre manque d'imagination pédagogique", estime une spécialiste de l'éducation

"Ce n'était pas "mieux avant" car on demande toujours plus à l'école. Les élèves apprennent plus de choses aujourd'hui", précise aussi Marie Duru-Bellat, sociologue.
Article rédigé par franceinfo
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Un cours de mathématiques au collège. Photo d'illustration. (FRED HASLIN / MAXPPP)

"Le redoublement est la preuve de notre manque d'imagination pédagogique", estime mardi 5 décembre Marie Duru-Bellat, sociologue et professeure à SciencesPo, spécialiste de l'éducation et de l'enseignement supérieur, invitée sur franceinfo. Elle a réagi à la série de réformes engagée par Gabriel Attal pour "remettre de l'exigence" à l'école, au collège et au lycée en renforçant notamment l'enseignement des mathématiques et du français.

franceinfo : La baisse du niveau des élèves français en maths et en français, révélée par le classement PISA, est-elle une surprise ?

Marie Duru-Bellat : Il y a une évolution, mais elle était attendue. C'est ce qu'ont montré les enquêtes qui ont été faites sur l'effet covid sur les élèves français. Dans tous les pays, il y a une baisse. En France, je ne dirai pas que la baisse est spectaculaire.

Est-ce que les élèves d'aujourd'hui sont moins bons que ceux des générations précédentes ?

Ce n'était pas "mieux avant" car on demande toujours plus à l'école. Les élèves apprennent plus de choses aujourd'hui.

"Les élèves sont plus compétents en histoire-géo ou en économie, sans doute en langues aussi, que les élèves d'il y a 20 ou 30 ans."

Marie Duru-Bellat, sociologue, spécialiste de l'éducation

à franceinfo

On a plutôt accru la charge sur les élèves et on a rendu beaucoup de programmes plus abstraits. C'est ça qui caractérise les programmes de mathématiques, plutôt qu'une baisse de niveau : c'est plus abstrait et donc c'est peut-être plus difficile à faire passer. Mais sinon, on demande toujours plus à l'école, on rajoute des choses, il y a l'éducation à la sécurité routière, etc. Donc, on ne peut pas dire que globalement le niveau a baissé, il faut regarder matière par matière.

Gabriel Attal parle d'un "électrochoc" avec ses mesures, est-ce de ça dont l'école a besoin ?

On parle régulièrement d'électrochocs, avec des rapports qui disent qu'il faut tout changer... Mais je pense que ce qui serait plus exigeant, mais plus difficile, c'est de réfléchir à ce que l'école fait pour accueillir de manière satisfaisante tous les élèves, et pour s'harmoniser avec la vie de leurs parents. Parce que l'école, on l'a bien vu pendant le confinement, est vraiment articulée avec la vie des adultes et là, il faudrait sans doute plus de réflexion.

Et ça n'est qu'une question de moyens ?

Non, ce n'est pas seulement une question de moyens, parce que les enquêtes Pisa l'ont de nouveau montré : il y a des pays qui dépensent beaucoup moins que nous pour l'éducation, et dont les élèves réussissent mieux. Donc ce n'est pas qu'une question de moyens. Les moyens jouent, évidemment, mais il n'y a pas que ça. Ce n'est pas magique.  

Le redoublement décidé en dernier recours par l'équipe enseignante, est-ce que cela vous semble aller dans le bon sens ? Un redoublement peut-il être positif ?

Ce qu'il faut dire sur le redoublement, déjà, puisqu'on est sur des comparaisons internationales, c'est que c'est une spécificité française. Les pays les plus efficaces ne savent même pas ce que c'est que le redoublement ! Ça n'a jamais existé, ça n'existe pas. Donc, je pense que c'est la preuve de notre manque d'imagination pédagogique. On ne sait pas gérer les difficultés précoces des élèves. Il y a des difficultés dès les petites classes et la formation des enseignants en France donne trop peu d'importance à ces considérations pédagogiques. Comment fait-on pour faire réussir des élèves ? Les enquêtes sur les enseignants européens montrent aussi que les enseignants français se plaignent de ça. Ils disent : 'on ne se sent pas bien armés pour gérer l'hétérogénéité des élèves'.

"Le problème est plutôt, me semble-t-il, du côté de la formation des enseignants."

Marie Duru-Bellat, sociologue, spécialiste de l'éducation

à franceinfo

C'est-à-dire qu'un redoublement est aussi le reflet d'une incapacité des enseignants, dans les circonstances actuelles, à faire progresser l'élève ? 

Faire redoubler un élève, c'est s'imaginer qu'il a des difficultés dans toutes les matières. Il faudrait sans doute être beaucoup plus fin, plus nuancé, identifier les matières... et voir aussi s'il n'y a pas des effets négatifs, psychologiques, du redoublement chez les élèves qui contrecarrent ce qu'ils pourraient gagner sur le plan scolaire.

Autre annonce, celle de stages de réussites qui peuvent être recommandés ou prescrits par les enseignants. Selon vous, c'est une bonne mesure pour faire progresser les élèves en difficulté ?

Ça peut être une solution, mais il faut faire attention à ce que les élèves ne se sentent pas stigmatisés, car ils se comparent beaucoup entre eux. Mais je pense que la meilleure des solutions, c'est d'agir dès les petites classes. On sait que dès le CP, il y a des inégalités de réussite. Et c'est à ce stade-là qu'il faut intervenir plutôt que, à quinze ans, d'imaginer des cours de rattrapage.

Des groupes de niveaux dès la sixième et la cinquième pour les enseignements de maths et de français, est-ce que cela pose la question de la mixité scolaire ? 

Oui, absolument. Le risque principal des groupes de niveau, parce qu'il y en a à l'étranger, c'est que ça se transforme en des filières dont on ne pourrait plus sortir. Et à ce moment-là, on en revient finalement à la même problématique que le redoublement. Je pense que ce qui caractérise le système français et qui explique, pour une part, ces inégalités sociales spécialement importantes chez nous, c'est justement que le système éducatif n'est pas le même selon les endroits. Il y a une différence de qualité de l'offre scolaire qui est très importante et qui sans doute se creuse. Il y a des écoles où plus personne ne veut mettre ses enfants. Il y a des écoles et notamment dans les grandes agglomérations où il y a des parents "bien informés" qui fuient dans l'enseignement privé. Ça, c'est aussi le problème : le système éclate et il y a des écoles où personne ne veut aller, où les enseignants sont remplaçants ou absents parce que les conditions de travail sont très difficiles et là, le niveau des élèves est très faible.

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