Vrai ou faux Le redoublement est-il réellement efficace pour venir en aide aux élèves en difficulté ?

Si Gabriel Attal a annoncé mardi vouloir faciliter son recours pour lutter contre l'échec scolaire, les études montrent que le redoublement augmente le risque de décrochage, sauf lorsqu'il a lieu dans les classes charnières d'orientation.
Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
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Une classe d'un collège de Rieumes (Haute-Garonne), le 4 mai 2021. (ADRIEN NOWAK / HANS LUCAS / AFP)

D'une petite phrase prononcée au Congrès des maires de France à une annonce en bonne et due forme. A l'occasion de la présentation son plan pour un "choc des savoirs", mardi 5 décembre, Gabriel Attal a confirmé la remise au goût du jour du redoublement, pratique qui avait presque disparu dans les écoles. Le ministre de l'Education a promis qu'il publiera, au premier trimestre de 2024, un décret permettant à l'équipe pédagogique, et non plus aux familles, d'avoir le dernier mot pour décider du redoublement d'un élève. 

"Je veux lutter contre l'échec forcé" d'élèves poussés à accéder à la classe supérieure, a justifié Gabriel Attal. Depuis une dizaine d'années, le recours au redoublement est en forte baisse en France, qu'il s'agisse du premier ou du second degré. Selon les chiffres de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), le taux de redoublement en 5e atteignait ainsi 0,5% en 2022, contre 5% en 2000. 

L'enquête Pisa 2022 (document PDF) publiée mardi par l'OCDE révèle aussi qu'en 2003, "près de quatre élèves de 15 ans sur dix avaient redoublé au moins une fois en France", un ratio qui tombe à "seulement un sur dix" aujourd'hui. Pourquoi alors revenir en arrière ? Selon le ministre, faciliter l'accès au redoublement "s'appuie sur des travaux scientifiques qui indiquent (…) qu'une forme de redoublement peut favoriser la réussite scolaire". Pour "remettre de l'exigence à tous les étages", "la science et le bon sens" devaient être utilisés "comme boussole", assène-t-il encore. La majorité des recherches scientifiques attestent pourtant que le redoublement est souvent inefficace et stigmatisant.

Risque de décrochage scolaire

Une autre enquête de l'OCDE (document PDF), dévoilée en 2014, avance ainsi que dans la pratique, le redoublement n'apporte pas "la preuve évidente de ses bénéfices, que ce soit pour les élèves redoublants ou pour le système d'éducation dans son ensemble". Il peut même constituer "une solution coûteuse" pour l'élève, peut-on lire dans l'étude. "Les redoublants sont plus exposés au risque de décrochage scolaire ou restent plus longtemps dans le système scolaire, ce qui retarde leur entrée dans la vie active", constate l'OCDE. Un élève qui redouble est amené à revoir exactement les mêmes notions que l'année précédente. "Une fois ce redoublement passé, la suite peut être très laborieuse", remarque Pierre Merle, sociologue spécialisé dans les questions d'éducation.

"L'élève se trouve confronté à des difficultés auxquelles il n'était plus habitué durant l’année où on lui a répété un programme."

Pierre Merle, sociologue

à franceinfo

D'après le chercheur, le redoublant peut également "se sentir stigmatisé par les autres, et ce rabaissement se répercute sur ses capacités à réussir". Une étude du Centre national d'étude des systèmes scolaires (Cnesco) publiée en 2015 confirme que "le redoublement n'a pas d'effet sur les performances scolaires à long terme. (…) [Il] a, en revanche, toujours un effet négatif sur les trajectoires scolaires et demeure le meilleur déterminant du décrochage." 

A contrario, le recul du redoublement en France a permis "d'atteindre une meilleure fluidité des parcours, sans affecter la réussite des élèves qui a globalement progressé", remarquait la Depp dans une note d'information publiée en 2014. Exemple avec les examens : entre 2006 et 2013, "la proportion d'élèves 'à l'heure' obtenant le baccalauréat 'à l'heure' a connu une importante progression", passant de 67% à 77,4%. De manière générale, les pays en tête du classement Pisa, comme l'Estonie et le Japon, se caractérisent par un faible taux de redoublement. 

Les études qui vont à l'encontre de ce consensus scientifique sont rares, mais elles existent. En 2018, le sociologue belge Hugues Draelants publie ainsi un article dans lequel il affirme que les conclusions "qui aboutissent à la dénonciation pédagogique du redoublement sont fondées sur des études méthodologiquement fragiles et des méta-analyses qui tendent à occulter" le débat. Pour Pierre Merle, au contraire, "les recherches sont nombreuses et concordantes, et ont justifié dans la quasi-totalité des pays de l'Union européenne une réduction très sensible du redoublement, voire son interdiction".

Sur le site spécialisé Café pédagogique, Hugues Draelants assure toutefois ne pas vouloir "réhabiliter le redoublement, mais plutôt le dédiaboliser". Le redoublement "n'est qu'un symptôme d'un problème plus profond : les difficultés de certains enfants (…) face aux apprentissages scolaires", pointe le chercheur. 

Inégalités et alternatives

En France, la méthode actuelle s'appuie sur des travaux sévères à l'égard de l'efficacité du redoublement. La loi d'orientation de 2013 précise qu'il doit "faire figure d'exception", et un décret de novembre 2014 ajoute qu'il doit être proscrit en maternelle et utilisé avec prudence au primaire et au collège. Le redoublement ne peut intervenir que pour "pallier une période importante de rupture des apprentissages scolaires", comme un événement difficile de la vie personnelle.

A certains niveaux charnières, son recours peut être envisagé. "En troisième et en seconde, on évite que l'élève puisse être orienté vers une filière dont il ne veut pas. Le redoublement peut alors être bénéfique, car l'élève est motivé à obtenir le choix de son orientation", justifie Pierre Merle. En 2018, un décret publié à la demande de l'ancien ministre Jean-Michel Blanquer assouplissait légèrement les conditions de redoublement, sans déclencher de hausse significative du recours à celui-ci. 

Le redoublement n'est par ailleurs pas seulement la conséquence d'un niveau scolaire "faible" de l'élève. Il révèle souvent des différences sociales. D'après l'OCDE, "un élève issu d'un milieu socio-économique défavorisé sur cinq (20%) indique avoir déjà redoublé au moins une fois depuis le début du primaire, contre 7% des élèves issus d'un milieu favorisé". Le redoublement est fréquemment "la seule solution" qui s'offre à lui, puisqu'il ne bénéficie pas "de possibilités de soutien aussi précoces et efficaces que les élèves favorisés". Lorsqu'un redoublement est proposé, Pierre Merle ajoute que les parents issus d'un milieu défavorisé acceptent "davantage le verdict des professeurs" que ceux d'élèves privilégiés.

Le dernier rapport Pisa souligne enfin que le redoublement est peu répandu dans les pays où les élèves déclarent que "leurs professeurs de mathématiques [l'enquête de 2022 étant principalement axée sur cette discipline] les soutiennent et qu'ils ont de bonnes relations avec eux". Or, la France est l'un des pays "où les élèves déclarent percevoir le moins de soutien de la part de leurs enseignants".

Les pays qui ont choisi de limiter le redoublement se sont dirigés vers des alternatives, à l'instar du rattrapage en fin d'année, du tutorat ou du "looping", relève le Cnesco. Cette dernière pratique, massivement développée en Finlande, consiste, pour une même classe, à conserver le même enseignant durant plusieurs années, permettant aux élèves d'être suivis sans rupture. "Les pays les plus efficaces ne savent même pas ce que c'est que le redoublement (…) c'est la preuve de notre manque d'imagination pédagogique", résume la sociologue Marie Duru-Bellat.

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