Enseigner en anglais à la fac, est-ce absurde ?
L'Assemblée nationale examine à partir de mercredi le projet de loi sur l'enseignement supérieur. Dans le texte, la mesure qui autorise l’enseignement en langue étrangère à l’université fait polémique.
Un projet de loi qui fait réagir aussi bien l’Académie française que le Front national et le Parti communiste, la chose n'est pas courante. L'Assemblée nationale examine, à partir de mercredi 22 mai, le projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche. Si celui-ci vise à augmenter les chances de réussite des étudiants, une mesure en particulier soulève une vague de protestations, y compris au sein de la majorité : autoriser l’enseignement en langue étrangère à l'université.
Dans les faits, l'article 2 du projet de loi (PDF) de Geneviève Fioraso, la ministre de l'Enseignement supérieur, élargit les exceptions à la loi dite "Toubon", qui fait du français la langue de l'enseignement, des examens, des concours et des thèses. Mais nombre d'observateurs y voient l'abandon du français face à l'omniprésent anglais. Donner des cours à l'université en anglais, une absurdité ?
Une mesure destinée à rendre les universités attractives
Avec cet article du projet de loi, l'objectif de Geneviève Fioraso est d'améliorer l’attractivité de l’enseignement supérieur français vis-à-vis des étudiants étrangers. En dispensant certains cours, ou cursus, en anglais, les universités françaises espèrent hisser la part des étudiants étrangers de 12% à 15% à l'horizon 2020, et rester compétitives face aux universités anglo-saxonnes. Autre avantage de la mesure : inciter les étrangers à venir en France permettra de "diffuser le français partout dans le monde", estime le ministre de l'Education, Vincent Peillon.
Mais pour le député socialiste des Français de l'étranger Pouria Amirshahi, qui a mené la fronde contre la mesure au Palais-Bourbon, cette stratégie n’est pas la bonne. Contacté par francetv info, il explique que la France a plus intêret à miser sur le vivier de la francophonie que sur l'enseignement en anglais, qui n'attirera pas l’élite des étudiants : "Pensez-vous qu'un étudiant chinois qui veut apprendre l'anglais va venir en France ?", interroge-t-il.
Un système qui existe déjà dans les grandes écoles
Pour Geneviève Fioraso, la polémique relève d'une "formidable hypocrisie". Selon elle, modifier à la marge la loi Toubon permettra de mettre fin à "une inégalité de fait" entre grandes écoles et universités. "Depuis quinze ans, dans les (grandes) écoles, on contrevient à la loi Toubon sans que personne ne trouve à y redire", a-t-elle ainsi indiqué sur Canal +. En autorisant à l’université les formations partiellement en anglais que proposent les grandes écoles, le gouvernement cherche à doter les étudiants des mêmes possibilités que dans les écoles privées.
C'est précisément ce que dénonce le professeur au Collège de France Antoine Compagnon. Dans une tribune publiée par Libération, ce spécialiste de Marcel Proust et de l’histoire de la littérature relève que donner des cours en anglais revient à généraliser ce qui "se faisait déjà à Sciences Po, désormais le modèle des modèles, et, sans trop le dire, de plus en plus ailleurs".
Un risque d'appauvrissement de l'enseignement
Personne ne remet en question l'importance pour les étudiants français de maîtriser l'anglais. Mais, souligne le député Pouria Amirshahi, ce n'est pas l’objectif de cette mesure. "On confond l'apprentissage de l’anglais, et celui en anglais. Ce n’est pas la même chose", affirme l’élu PS, en précisant être favorable à la maîtrise de l’anglais et au plurilinguisme.
Selon les détracteurs de l'article 2, enseigner en "globish", cet anglais d’aéroport que tout le monde parle, ne sert pas le niveau en langue étrangère des étudiants. La mesure risquerait même d'appauvrir l'enseignement dispensé dans les universités hexagonales, en forçant certains professeurs à faire cours dans une langue qu'ils ne maîtrisent pas. Un avis que partage une intervenante en marketing dans plusieurs écoles de commerce, contactée par francetv info. Première concernée, elle avoue avoir du mal à "illustrer et digresser en fonction de l’actualité" lorsqu’elle enseigne en anglais, et estime que ses élèves suivent ses cours pour progresser en marketing, pas en anglais.
Dernière crainte des opposants, que cette mesure aboutisse au recrutement d’enseignants anglo-saxons en France, ou au départ des chercheurs français devenus anglophones vers des pays où ils seront mieux payés.
La France n'est pas le seul pays à s'interroger sur l'enseignement en anglais à l’université : selon Pouria Amirshahi, l’Allemagne revient de la politique du tout-anglais. Et récemment, la Finlande s’est émue d'une annonce de l'école de commerce d'Helsinki, qui compte abandonner à la rentrée 2013 les deux langues officielles du pays, le finnois et le suédois, au profit de l'anglais, rapporte Le Point.
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