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"Expliquer la laïcité aux enfants, ce n'est pas comme débiter un cours par cœur"

A l'occasion de la Journée de la laïcité, le 9 décembre, les écoles sont invitées à proposer des activités à leurs élèves. Le collège Jean-Bauhin, à Audincourt (Doubs), organisait des ateliers mardi. Francetv info y a assisté.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Une élève de 5e du collège Jean-Bauhin d'Audincourt (Doubs), lors d'un atelier sur la laïcité le 8 décembre 2015. (VIOLAINE JAUSSENT / FRANCETV INFO)

Iliès trace au crayon à papier les contours d'un cœur sur une feuille rose bonbon. Puis il le découpe. Il s'applique. Il doit ensuite coller le cœur au milieu d'une autre feuille, blanche, pour en faire une carte pop-up. "C'est un cœur pour la fraternité", commente avec fierté ce garçon de 12 ans aux yeux pétillants. Il réalise cette carte dans le cadre de huit ateliers sur la laïcité. Ils sont organisés mardi 8 décembre, au collège Jean-Bauhin d'Audincourt (Doubs), un établissement classé en REP (Réseau éducation prioritaire, anciennement ZEP) et situé dans l'aire urbaine Belfort-Montbéliard. Seuls les 230 élèves de sixième et de cinquième y participent. "C'est le meilleur âge pour leur en parler", insiste le principal, Toufik Chergui.

Quand on demande à Iliès pourquoi il a choisi la fraternité, il prend un air sérieux. "C'est pour montrer qu'on est tous frères malgré nos religions. Un juif, c'est pas lui qui a décidé d'être juif. Un Palestinien, c'est pas lui qui a décidé d'être palestinien. Mais ils sont quand même frères", affirme-t-il sans se démonter. A ses côtés, Imani, très grande pour ses 13 ans, a elle aussi choisi de représenter la fraternité. Timide, elle se cache derrière ses longs cheveux. "Peu importe notre physique, on a tous le même cœur. On doit se respecter entre nous", souffle-t-elle. Un peu plus loin, Abel, 12 ans, a choisi de dessiner une colombe, "parce que les élèves du collège n'appliquent pas toujours la paix".

Garder sa neutralité tout en n'éludant pas les questions

"On a demandé aux élèves de choisir une des valeurs prônées dans la charte de la laïcité affichée dans les écoles depuis 2013", explique Fabienne Verguet, professeure d'histoire. Elle anime cet atelier avec une professeure d'arts plastiques. Les enseignants se sont mobilisés sur la base du volontariat. La moitié a accepté. "Cela me posait problème de dire non, mais, en même temps, dire oui, c'est compliqué. Expliquer la laïcité aux enfants, ce n'est pas comme débiter un cours par cœur", explique un professeur de sciences de la vie et de la terre, un peu gêné. Sa crainte était de ne pas avoir les "armes" pour répliquer aux propos d'un élève vindicatif sur une religion. Il n'a pas encore reçu de formation sur le sujet.

Au collège Jean-Bauhin d'Audincourt (Doubs), lors d'un atelier sur la laïcité le 8 décembre 2015. (VIOLAINE JAUSSENT / FRANCETV INFO)

Ce n'est pas le cas de sa collègue Fabienne Verguet. Après les attentats de janvier, François Hollande souhaitait que le 9 décembre, la Journée de la laïcité soit célébrée dans tous les établissements scolaires. Elle a saisi l'occasion pour demander à sa hiérarchie de monter un projet, après avoir suivi une formation sur la laïcité au printemps et en septembre. A son tour, maintenant, de former des enseignants dans toute l'académie de Besançon. L'objectif, annoncé par la ministre de l'Education début novembre, est de former ainsi 300 000 enseignants dans toute la France d'ici la fin de l'année.

La formation permet de se préparer à des cas concrets en classe. Malgré tout, le matin même, la remarque d'un élève a pris l'enseignante au dépourvu. C'était lors de la lecture de la charte de la laïcité. Le premier article stipule que la France respecte toutes les croyances. "Non, c'est pas vrai, le FN est contre la religion musulmane !" a rétorqué l'élève. "Pour le moment, le FN n'est pas au pouvoir. La loi telle qu'elle est écrite est appliquée. La loi française condamne les propos racistes", a finalement répondu Fabienne Verguet. "Mais ce n'était pas évident. On doit respecter notre neutralité de fonctionnaire, d'enseignant. Et en même temps, il faut répondre aux questions justes posées par les gamins."

"L'important, c'est qu'ils vivent la laïcité dans le collège"

Soudain, de l'agitation au centre de la salle de classe. Les têtes se tournent vers Thibault. Il assène un coup de poing dans l'épaule de l'élève assis devant lui. La professeure d'histoire intervient.

- "Hé ! On n'avait pas dit qu'on n'utilisait pas la violence ?

- C'est lui qui m'insulte, qui vient me chercher.

- Donc avec toi, c'est la loi du plus fort ? Tu sais que des adultes peuvent intervenir…"

Thibault se calme. "Tu vas donner une mauvaise image du collège", lui lance un de ses camarades. L'adolescent de 13 ans est seul à une table. Il regarde avec dépit sa carte pop-up. "Soit quelqu'un la prend, soit je la jette. Je l'ai faite parce que c'était au tableau et que c'était facile." Il hausse les épaules, baisse la tête. La laïcité, Thibault ne sait pas "trop quoi en penser".

De fait, pour certains élèves, le message a un peu de mal à passer. Comme dans l'atelier "Médias et vidéos", où les collégiens étaient invités à créer une bande-annonce sur la Journée de la laïcité. Ce que Marie retient surtout, c'est "le fait d'avoir filmé". "On va y revenir", promet Gilles Bulabois, inspecteur pédagogique et référent laïcité pour l'académie de Besançon. "L'important, c'est qu'ils vivent la laïcité dans l'établissement." C'est lui qui a choisi les projets parmi ceux qui étaient proposés. Celui du collège Jean-Bauhin l'a séduit car les familles y sont associées. "J'ai souhaité un échange avec les parents", souligne le principal.

"Il n'y a que ça pour éviter l'amalgame musulman-terroriste"

Les parents, justement, sont conviés à 17h30. Pendant une heure, ils assistent à des discours sur l'histoire de la laïcité, des saynètes sur toutes les religions, l'athéisme et l'agnosticisme, et, clou du spectacle, l'interprétation de la chanson Imagine de John Lennon avec des paragraphes réécrits en français par les élèves. "Ma fille est enchantée. Du coup, elle me pose plein de questions. J'essaye d'y répondre avec mes mots", réagit Laetitia.

Au collège Jean-Bauhin d'Audincourt (Doubs), lors d'un atelier sur la laïcité le 8 décembre 2015. (VIOLAINE JAUSSENT / FRANCETV INFO)

De son côté, Azzedine salue "une bonne initiative". "Mais il ne fallait pas attendre un attentat pour agir. Je suis de la communauté tunisienne. On a beaucoup souffert, car on a dû se justifier d'être musulman, et pas terroriste, déplore-t-il. Je vois sur les panneaux qu'on parle de la laïcité mais surtout des valeurs de la République." Il désigne les affiches confectionnées par les élèves et accrochées aux panneaux dans le hall d'entrée. "Ce n'est pas pareil, il faut bien expliquer pour qu'ils comprennent", ajoute-t-il en parlant des collégiens. "Il n'y a que ça pour éviter l'amalgame terroriste-musulman", acquiesce Yoann. Il insiste : "En parler, c'est bien, mais il faut réussir à ce que ce soit appliqué à l'école."

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