Harcèlement scolaire : "Demandez d'abord si quelque chose ne va pas à l'école", recommande la pédopsychiatre Nicole Catheline
Les récents suicides de deux collégiennes, Chanel et Dinah, viennent rappeler que tous les élèves peuvent être concernés par le harcèlement à l'école. Franceinfo a interrogé une psychiatre spécialiste des troubles de la scolarité, pour expliquer aux parents comment agir.
Fin septembre, Chanel, 12 ans, s'est pendue à son domicile, dans le Pas-de-Calais. Une semaine plus tard, Dinah, 14 ans, s'est donné la mort dans les mêmes circonstances à Mulhouse (Haut-Rhin). Deux décès de collégiennes et un point commun : le harcèlement scolaire. Ces drames viennent rappeler que tous les élèves peuvent être concernés. Comment reconnaître ces situations ? Comment aider son enfant ? Franceinfo a interrogé la pédopsychiatre Nicole Catheline, spécialiste des troubles de la scolarité.
Franceinfo : Comment peut-on se rendre compte qu'un enfant est victime de harcèlement ? Quels sont les signes révélateurs ?
Nicole Catheline : Tout changement de comportement brutal chez votre enfant doit vous alerter. S'il dort moins bien, s'il se plaint de maux de tête, si ses notes baissent, s'il a des accès de colère, s'il mange moins... Cela ne veut pas dire qu'il y a forcément du harcèlement derrière, mais il faut s'en préoccuper.
A partir de quand commence le harcèlement scolaire ?
Généralement, on décrit une intention agressive qui dure et qui se répète. Mais la définition est en train d'être revue au niveau mondial pour inclure la notion de groupe, qui est jusque-là minimisée. Dans les faits, le harcèlement peut prendre la forme de violences verbales ou morales : des insultes, des moqueries, un rejet d'un groupe... Mais il peut aussi prendre la forme de violences physiques : des coups, des vols, des bousculades...
Il y a souvent une dynamique de groupe avec un élève un peu charismatique qui va entraîner les autres. C'est à celui qui aura l'idée la plus "créative" pour embêter la victime, au point que plus personne ne verra sa souffrance.
Y a-t-il une bonne manière d'aborder le sujet avec son enfant ?
Oui, absolument. Votre enfant peut avoir peur de parler, alors ne le brusquez pas. Si vous débarquez dans sa chambre et que vous lui lancez quelque chose comme 'alors, tu es harcelé ?', ça va créer l'effet inverse. Allez-y doucement, demandez-lui d'abord si quelque chose ne va pas à l'école, si quelqu'un l'embête. Il est essentiel de lui faire comprendre que, quoi qu'il dise, il n'a rien à craindre.
"Dites-lui que vous allez décider ensemble d'entamer ou non des démarches, que ce sera toujours avec son accord, qu'il sera toujours tenu au courant de tout."
Nicole Cathelineà franceinfo
Pourquoi c'est important de le prévenir de toutes les démarches ?
Ce point est très important car l'enfant pense qu'il est seul. Il faut le rassurer sur ce qu'on va faire. Si vous allez voir le harceleur sans lui en parler, il va craindre le côté "balance". Si vous allez voir l'enseignant, il va craindre d'être la risée de la classe. L'effet serait alors dévastateur.
Justement, une fois que l'enfant est d'accord pour agir, quelle personne faut-il aller voir en premier ?
La situation doit se régler entre adultes et il y a des étapes à respecter. Commencez par aller voir l'enseignant. Mais là encore, soyez vigilants sur les mots que vous employez : le professeur pourrait croire que vous l'accusez de n'avoir rien vu, d'avoir laissé faire. Demandez-lui plutôt s'il n'aurait pas constaté quelque chose, remarqué un problème... Si vous sentez que l'échange est compliqué, rapprochez-vous alors de la vie scolaire de l'établissement, le directeur de l'école, le proviseur... Et si ça coince toujours, il faut alors directement, et sans attendre, se rapprocher du référent académique. Il y en a au minimum deux par rectorat. Cette personne a la possibilité d'intervenir auprès de l'établissement et de proposer des solutions.
Il existe aussi des services d'écoute spécifiques pour parler du harcèlement scolaire, accessibles gratuitement*...
Oui, il en existe deux. Le premier, c'est le 30 20 (du lundi au vendredi, sauf jours fériés, de 9 heures à 20 heures et le samedi de 9 heures à 18 heures), mis à la disposition des élèves, des familles et des professionnels pour signaler les situations de harcèlement entre élèves). Le second, c'est le 30 18, le numéro vert Net écoute (du lundi au samedi de 9 heures à 20 heures). Les écoutants au bout du fil ne feront rien sans votre accord. Ils se chargeront d'alerter les référents académiques uniquement si vous leur en donnez l'autorisation.
Faut-il demander à son enfant de nous accompagner dans ces démarches ?
Là encore, c'est à vous de lui poser la question et c'est à lui de décider. S'il veut être présent au rendez-vous que vous aurez avec son enseignant ou le proviseur, très bien, qu'il vienne. S'il ne préfère pas, très bien aussi, respectez sa volonté. Il est en tout cas très important de respecter toutes ces étapes.
"Même si vous connaissez les parents de l'enfant harceleur, oubliez absolument l'idée d'aller leur en parler directement. Il y a de fortes chances que la personne en face de vous soit dans le déni."
Nicole Cathelineà franceinfo
Et justement, que dois-je faire si mon enfant est harceleur ou si on me rapporte des faits le laissant penser ?
Vous n'allez probablement pas le croire, en tout cas au début. C'est la fameuse histoire du "les autres enfants oui, mais le mien, impossible !". Quand on découvre que son enfant a harcelé quelqu'un, il faut pourtant essayer de comprendre pourquoi il agit ainsi, il faut lui proposer un accompagnement, d'un pédopsychiatre par exemple. Cela va peut-être vous paraître étrange mais il faut aussi aider le harceleur, l'idée n'est pas d'en faire un ange, simplement de faire en sorte qu'il arrête et qu'il aille mieux.
En combien de temps peut se régler une situation de harcèlement scolaire ?
Tout dépend de l'âge. Mais si on a pris le problème au tout début, ça peut se régler rapidement, dans les quinze jours. Si ça dure depuis longtemps, c'est plus compliqué car il peut y avoir des séquelles psychologiques, surtout quand on a touché à l'intime, quand des photos ont circulé. Les réseaux sociaux ont d'ailleurs accentué cet aspect. Ils sont devenus un outil supplémentaire pour harceler. C'est rapide, efficace, facile. Mais c'est aussi des preuves qui peuvent être utilisées contre le harceleur. Là encore, ne prenez pas de force le téléphone de votre enfant s'il est harcelé, il aura l'impression d'être encore plus coupé de tout, l'impression qu'on dit des choses encore pire sur lui. Proposez-lui à l'inverse de vous montrer ces messages. On y revient : il doit avoir une confiance totale dans ses parents.
* Il existe aussi la ligne https://www.netecoute.fr/ pour les jeunes victimes de violences numériques. D'autres informations sont également disponibles sur le site du ministère de l'Education nationale.
Si vous avez besoin d'aide, si vous êtes inquiet ou si vous êtes confronté au suicide d'un membre de votre entourage, il existe plusieurs services d'écoute anonymes. La ligne Suicide écoute est joignable 24h/24 et 7j/7 au 01 45 39 40 00. D'autres numéros et de nombreuses informations sont également disponibles sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé.
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