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"Je sais comment on se sent dans ces cas-là" : pour lutter contre le harcèlement scolaire, des collégiens montent la garde en Savoie

Depuis la rentrée de septembre, le programme pHARe, qui vise à prévenir les moqueries, les insultes et les violences physiques entre élèves, est généralisé à tous les établissements scolaires.

Article rédigé par franceinfo - Thomas Giraudeau
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La cour du collège Saint-Paul, de la fondation Apprentis d'Auteuil, en Savoie, en novembre 2022. (THOMAS GIRAUDEAU / RADIO FRANCE)

Un élève sur 10 serait victime de harcèlement scolaire, en particulier au collège. Parmi les dispositifs mis en place dans le cadre du programme pHARe, expérimenté dans six académies, on trouve des ambassadeurs contre le harcèlement. Il s'agit d'élèves volontaires, formés, qui vont identifier des situations problématiques, parler aux victimes et les soutenir. Dans un collège de la Fondation Apprentis d’Auteuil, en Savoie, certains de ces ambassadeurs sont appelés Sentinelles et ont été eux-mêmes harcelés plus jeunes.

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Parmi eux, il y a Sarah. Au milieu de la cour de récréation, la jeune fille de 12 ans joue avec ses copines, un grand sourire aux lèvres. Elle revit dans le petit collège Saint-Paul, au pied des montagnes savoyardes, non loin d’Albertville. Après avoir vécu un enfer l’an dernier dans son ancien établissement, dans le Sud de la France. "J’ai été beaucoup laissée à part, isolée", raconte-t-elle. "Quand j’étais avec mes copines, un garçon venait nous embêter. Il nous prenait nos affaires, nous insultait. Il a aussi commencé à nous frapper."

"On se moquait de moi parce que je ne parlais pas très bien français. Parce que j’avais des bonnes notes, on me traitait de sale intello. Ou sinon, on m’insultait parce que j’avais deux mères."

Sarah, élève Sentinelle au collège Saint-Paul de Saint-Paul-sur-Isère

à franceinfo

Face à l'homophobie, les violences verbales et physiques, elle prévient les professeurs. Un soir, elle va voir la CPE, la conseillère principale d’éducation. Le garçon qui la harcelait l'avait poussée contre une barrière, elle s'était tordu le pied. "Ils disaient que c’était de la rigolade entre amis. Et [la CPE] a considéré que ça allait passer. Mais non, il a continué !", insiste-t-elle.

"J’étais triste, je me sentais fragile, en danger. Je n’avais plus envie d’aller au collège, j’avais même plus envie de vivre dans cette ville."

Sarah, élève Sentinelle au collège Saint-Paul de Saint-Paul-sur-Isère

à franceinfo

"Je leur dis qu'ils ne sont pas seuls"

Avec ses deux mères, elle déménage et s’installe en Savoie. Au collège Saint-Paul, elle n’est plus harcelée. "C’est une nouvelle vie, je me sens 100 fois mieux." Dans son nouveau collège, l’élève de 4e est même devenue une Sentinelle. Sarah va voir ses camarades insultés, moqués, qui s’isolent des autres élèves dans les couloirs ou dans la cour de récréation. Elle leur tend la main, les incite à parler à un adulte référent qui, lui, va sanctionner l’agresseur. "J’ai l’impression qu’en expliquant que moi aussi j’ai été victime, mes camarades me parlent plus facilement. Je sais comment on se sent dans ces cas-là.", explique Sarah. "Des fois, je me reconnais dans certains cas", complète Mia. Elle aussi a souffert, plus jeune, à l’école primaire. "C’était sur mon poids", raconte-t-elle. "On me disait que j’étais grosse, que j’étais enceinte. Ça m’a beaucoup blessé. J’avais moins confiance en moi, j’étais plus isolée."

"Une fois, j’ai aussi été frappée très fort dans le ventre, par plusieurs personnes. Je n’arrivais plus à respirer. C’est parce que je l'ai subi qu’aujourd’hui j’essaie de protéger les autres."

Mia, élève Sentinelle au collège Saint-Paul de Saint-Paul-sur-Isère

à franceinfo

Comme Sarah, l’adolescente porte un bracelet vert fluo, signe distinctif des Sentinelles. Elles ont des techniques pour repérer de potentiels cas de harcèlement : "J’essaie d’observer si je vois des gens qui peuvent se sentir isolés. Et je leur dis qu’ils ne sont pas seuls, beaucoup de gens ont déjà vécu ça. Et il ne faut pas se dire que c’est de sa faute. Moi, je l’ai pensé parfois."

Le bracelet vert fluo porté par les collégiens Sentinelle du collège Saint-Paul en Savoie.  (THOMAS GIRAUDEAU / FRANCEINFO)

En tant qu’anciennes victimes et camarades, Mia et Sarah gagnent la confiance des autres élèves. Jordan, lui, n’a pas été victime mais témoin de plusieurs violences et brimades à l’école primaire. Arrivé au collège Saint-Paul, il a tout de suite voulu devenir Sentinelle. "J’assiste parfois à des bousculades dans les couloirs, à des brimades dans le bus. Alors, je me mets à la hauteur de mes camarades. Je m’assois à côté d’eux, je leur tends la main. Et puis grâce à notre bracelet vert fluo, nous sommes reconnaissables. Ce sont parfois les élèves qui viennent nous voir."

"Ils sont nos yeux et nos oreilles"

Les Sentinelles sont des vigies indispensables pour Mickaël Gay. L’éducateur est responsable du dispositif au sein du collège, mis en place car "on a constaté une hausse du nombre d’élèves qui ont vécu des événements difficiles dans d’anciens établissements". C’est lui qui forme les collégiens Sentinelles, durant quatre jours, à identifier les situations problématiques, à aider leurs camarades. "Ils sont un peu nos yeux et nos oreilles dans les lieux où on ne peut pas aller", explique Mickaël Gay. "Dans les vestiaires, les toilettes. Dans les couloirs où un adulte n’est pas présent. Ils peuvent vraiment être partout. N'avoir que des adultes n’aurait pas le même impact du tout." Mia confirme : "On est aussi là dans le bus, à la cantine. Quand les profs ne sont pas présents."

Mickaël Gay, éducateur et documentaliste du collège Saint-Paul de Saint-Paul-sur-Isère, met à disposition des ouvrages sur le harcèlement scolaire toute l'année au CDI. (THOMAS GIRAUDEAU / FRANCEINFO)

Au-delà des élèves Sentinelles, des adultes référents – des éducateurs, des Accompagnants des élèves en situation de handicap, des personnels d'entretien – sont aussi là pour repérer des situations problématiques, et aller parler aux agresseurs. "Ce n’est pas le rôle des collégiens d’aller voir les agresseurs, pour ne pas qu’ils soient traités de balance, estime Mickaël Gay. Ils ne doivent pas non plus se comporter comme des super-héros."

Le collège compte une vingtaine d’élèves sentinelles cette année. Et les résultats sont là : les insultes, les moqueries fusent encore, mais elles remontent vite aux oreilles des Sentinelles et des adultes. "On arrive à les arrêter avant que ça aille trop loin, avant que cela devienne du harcèlement", assure le principal du collège, William Ghibaudo. Pour lui, l’avantage du dispositif Sentinelle est qu’il soit pérenne, à l’inverse d’une intervention unique d’une association, ou d’un animateur extérieur, lors de la journée nationale de lutte contre le harcèlement, le 10 novembre, qui risque d’être rapidement oubliée par les élèves.

L’établissement n’a jamais eu besoin d’en arriver jusqu’à l’exclusion temporaire d’un élève. L’éducateur a demandé aux élèves fautifs une note d’excuse, à l’attention de la ou des victimes. Puis il les fait travailler, au CDI, sur le harcèlement et comment réparer leur faute.

Harcèlement scolaire : en Savoie, des élèves "Sentinelle" veillent sur leurs camarades - Le reportage de Thomas Giraudeau

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