: Infographies Rentrée : pourquoi y a-t-il autant d'élèves scolarisés dans des établissements privés en Bretagne et dans les Pays de la Loire ?
"Oui, j'ai été à l'école privée." Le jour de sa nomination en tant que ministre de l'Education nationale, à la mi-juillet, Gabriel Attal a tenté d'apaiser un début de polémique concernant son parcours scolaire au sein d'un établissement privé. Durant son discours de passation avec son prédécesseur, Pap Ndiaye, le jeune ministre de 34 ans a justifié le choix de ses parents de ne pas l'envoyer sur les bancs de l'école publique, "comme des millions de parents le font chaque année".
Le nouveau ministre de l'Education nationale n'est pas le seul dans cette situation. En France, la part d'élèves scolarisés dans le privé, qu'il s'agisse d'établissements sous tutelle du ministère ou hors contrat, s'élevait à 16,9% à la rentrée 2021. Avec 21,07% d'entre eux inscrits dans un collège ou un lycée privés, cette part est plus importante dans le second degré que dans le primaire (13,38%). Une disparité qui peut être attribuée aux stratégies d'évitement mises en place par les élèves et leurs parents pour échapper à la carte scolaire, ainsi qu'aux choix d'établissements en fonction des options, parfois plus attrayantes dans le privé.
Dans certains départements, le nombre d'élèves qui étudient dans le privé explose, aussi bien dans le premier que dans le second degré, comme le montre le graphique ci-dessous. C'est le cas de l'ouest de la France, et particulièrement des départements du Morbihan et de la Vendée.
En Bretagne, la part d'élèves inscrits dans le privé s'élevait ainsi à 40,5% en 2022. Ce chiffre représente 236 524 élèves répartis dans 2 953 établissements. Au niveau départemental, ce taux monte jusqu'à 50,2% dans le Morbihan et 51,1% en Vendée, dans les Pays de la Loire, soit plus de la moitié des élèves scolarisés dans le privé. Un record.
L'influence du catholicisme
"Pour comprendre, il faut remonter dans le temps. Aussi loin que l'on puisse le mesurer, on observe un solide bastion de l’enseignement catholique dans l'académie de Rennes", pointe Samuel Gicquel, enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l'université Rennes-II et spécialiste du sujet. Les données d'une enquête parue en 1898 et produite par la commission de l’enseignement de la Chambre des députés, comme le bilan plus récent dressé par la commission Lapie (PDF), mise en place en 1959 pour préparer la loi Debré sur les rapports entre l'Etat et les établissements privés, montrent la prégnance de cet enseignement en Bretagne et Pays de la Loire.
L'un des éléments d'explication est à aller chercher du côté de la place de la religion dans ces régions. L'implantation des écoles privées "recouvre largement la carte de la pratique religieuse", et notamment catholique, détaille un document de travail du ministère de l'Education nationale datant de 2015 (PDF). À l’origine, ce sont donc bien les motivations religieuses qui poussaient les parents à scolariser leurs enfants dans des établissements privés.
Pour autant, "les liens entre les deux sont complexes et ne peuvent pas se réduire à un sens de causalité univoque", explique ce même rapport. Certains contre-exemples existent, comme l'est de la France où, malgré des pratiques religieuses historiquement importantes, la part d'élèves scolarisés dans l'enseignement privé reste relativement faible, comme le montre la carte ci-dessous. Ceci peut notamment s’interpréter par le fait que l’enseignement public y a été développé de façon plus précoce.
À l’inverse, l'enseignement privé s'est développé très tôt sur la zone géographique rattachée au rectorat de Rennes. Les figures de proue de cette mouvance sont les frères de l'instruction chrétienne de Ploërmel, dans le Morbihan. Cette congrégation religieuse fondée en 1918 s'est donnée pour but de former des maîtres chrétiens et d'ouvrir des écoles dans les campagnes bretonnes.
Prêtre et prof
"Il faut avoir en tête qu'à l'époque, les enseignements publics et privés ne fonctionnaient pas de la même manière, détaille Samuel Gicquel. D'un côté, le public opérait verticalement : les décisions étaient prises en haut et on allouait des moyens en fonction des besoins que l'on distinguait. Dans le privé, c'était l'inverse. L'enseignement était pensé sur le terrain, des écoles étaient créées là où il y avait un besoin social."
Mais pour ouvrir des écoles, il faut des enseignants, et c'est là que se situe toute la spécificité du territoire breton. Entre 1850 et 1950, "on observe un nombre beaucoup plus important de vocations, c'est-à-dire d'engagement dans la vie religieuse, en Bretagne que dans d'autres régions françaises", explique le chercheur. Résultat : on retrouve un nombre particulièrement important de prêtres en Bretagne, comme le souligne Samuel Gicquel dans son ouvrage Prêtres de Bretagne au XIXe siècle, publié en 2008.
En vertu de la loi Falloux adoptée en 1850, qui prévoit une plus grande reconnaissance de l'enseignement confessionnel, les évêques saisissent cette opportunité pour permettre aux prêtres de diversifier leurs activités pastorales et d'enseigner dans les écoles, élargissant drastiquement leur champ d'action.
"Une réputation d'excellence"
Ce facteur religieux explique les origines de la prédominance du privé entre 1850 et 1950. Mais comment comprendre sa persistance alors que l'on observe un décrochage religieux important en France ? "Pendant des décennies, ce sont les motivations religieuses qui primaient. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas mais la réputation d'excellence est restée, même dans les populations rurales", développe le chercheur. "Les familles se tournent vers le privé car elles recherchent un accompagnement pédagogique avec des enseignants qui accueillent les élèves en prenant en compte leur singularité", ajoute Philippe Delorme, secrétaire général de l'enseignement catholique.
Un basculement s'est donc opéré. Aujourd'hui, les parents ont le sentiment que l'enseignement catholique va mieux s'occuper de leurs enfants que l'enseignement public. "Ce sentiment peut s'expliquer par l'héritage évangélique lié à la religion catholique, où une attention plus grande est apportée à l'individu", détaille Samuel Gicquel. Pour autant, les établissements privés d'hier n'ont que peu de choses à voir avec ceux d'aujourd'hui. "Il y a trente ans, la totalité des élèves étaient catholiques, ce qui n'est plus du tout le cas en 2023. La proposition de foi est présentée de manière différente. L'idée est surtout de faire découvrir la religion, moins de la pratiquer", explique Philippe Delorme.
Une dernière explication porte sur les frais de scolarité. En Bretagne, ils sont plus faibles que la moyenne pour intégrer une école privée. À l'origine, les différentes congrégations avaient pour objectif d'éduquer les populations les moins aisées. Cette vision initiale de l'enseignement a perduré dans la région, ce qui en fait une option moins coûteuse que dans les grandes métropoles françaises. "Pour l'académie de Rennes, il faut tordre le cou à l’image du lycée catholique huppé de centre-ville. Ce type d’établissement existe, certes, mais l’enseignement catholique breton ne saurait y être réduit, quelle que soit la période", développe Samuel Gicquel. Selon le secrétaire général de l'enseignement catholique, les parents dépensent en moyenne 200 euros par an pour la scolarisation de leur enfant dans le premier degré dans un établissement sous contrat.
Une "désertification" de l'école publique ?
Reste la question de la diversité en matière d'offre éducative. Dans certaines communes, l'absence d'école publique oblige les parents à parcourir plusieurs kilomètres pour scolariser leurs enfants. "On a identifié le nord du Finistère, les alentours de Quimper, l’est de l’Ille-et-Vilaine et la zone autour de Ploërmel et de Josselin, dans le Morbihan", listait Stéphane Gouraud, secrétaire général du Comité académique de l’enseignement catholique (Caec) de Bretagne, dans un article de Ouest-France publié en mai 2023.
Dans ce contexte, les familles ont une propension plus importante à choisir l'enseignement privé, souvent plus proche car possédant un important maillage territorial dans la région. Un constat confirmé par une étude de la revue institutionnelle Education & Formations datant de 2018 : "Les familles qui choisissent l’école privée sont souvent celles dont le domicile est situé à une distance similaire des écoles privée et publique les plus proches, ou bien pour lesquelles l’école privée est plus proche du domicile que l’école publique."
Cette situation appelle à une réflexion sur l'amélioration de l'offre éducative publique dans certaines communes. "Le problème, c'est que le bâti scolaire est géré par la commune et qu'il n'y a pas d'obligation juridique d'accès à un établissement public dans un certain périmètre. S'il n'y a pas de demandes effectuées par les parents d'élèves, il n'y aura pas d'offres", conclut Patricia Le Gall, attachée de presse au ministère de l'Education nationale. Originaire de Bretagne, elle reconnaît tout de même : "C'est vrai qu'il y a une forme de désertification [de l'école publique] dans la région."
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