"Je regarde plusieurs fois par jour" : Pronote, Educ'horus... Quand les logiciels de vie scolaire rendent "esclaves de la note"

Les logiciels de gestion de la vie scolaire comme Pronote ou Educ'horus permettent aux parents de suivre la scolarité de leurs enfants directement en ligne. Emplois du temps, devoirs, absences et notes sont ainsi accessibles depuis un smartphone. Problème : parents et élèves y deviennent parfois un peu trop accros.
Article rédigé par Joanna Yakin
Radio France
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Des lycéens planchent sur l'épreuve écrite de philosophie de la session 2023 du baccalauréat général. (NICOLAS GUYONNET / HANS LUCAS via AFP)

"C'est top d'avoir ça". Juliana est maman d'une collégienne de 12 ans scolarisée en classe de 5e et ne tarit pas d'éloges sur Pronote, le logiciel de vie scolaire qui lui permet de suivre le quotidien au collège de sa fille. "Je suis dessus plusieurs fois par jour, minimum deux fois, ne serait-ce que pour regarder son planning ou la présence des professeurs", confie-t-elle. Cette maman consulte également assidûment les notes de sa fille dès qu'elles tombent sur le logiciel. "Je trouve ça bien pour savoir où pêche l'enfant et agir plus rapidement sur telle ou telle matière", explique-t-elle, "ça implique énormément les parents dans la vie scolaire de l'enfant, ce qui n'était pas le cas avant".

Sa fille Anta est tout aussi souvent connectée sur Pronote, et pas uniquement pour y consulter les devoirs. "Tous les jours, dès que je rentre du collège, je pose mon sac, je prends mon goûter et je vais directement voir ma moyenne générale. Là, elle a un peu baissé, je suis à 12,7 alors qu'avant elle était à 13. J'étais choquée et un peu triste", confie-t-elle. La collégienne avoue aussi ressentir un peu de stress avec ce logiciel qui peut même parfois permettre à ses parents de découvrir une note avant elle. "J'ai un peu peur si j'ai des mauvaises notes...".

"Cela génère du stress et de l'angoisse permanente"

Cela fait maintenant un peu plus d'une dizaine d'années que ces espaces numériques partagés entre établissement et familles existent. Du côté des enseignants, le bilan est mitigé. "C'est un formidable outil de suivi pour les parents et les profs, mais c'est aussi un outil qui génère aussi beaucoup de stress et d'angoisse permanente", témoigne Pierre Priouret, professeur de mathématiques dans un lycée de Toulouse et membre du syndicat SNES. Claire Fortassin, professeur de philosophie en Seine-Saint-Denis, également membre du SNES, abonde. "Le recours à des plateformes sur lesquelles les notes sont rentrées directement et accessibles à distance a tendance à faire des notes l'alpha et l'omega des apprentissages", déplore-t-elle.

Cette professeure dénonce cette "instantanéité de la note" qui a tendance à rendre "les élèves esclaves de la note" et "accroître le stress". "Sachant qu'une note ce n'est jamais une note seule, une note va avec un commentaire, une appréciation, une note ne dit pas forcément la même chose selon le moment de l'année où on se trouve. Ça, c'est complètement écrasé, ce sont des choses qui disparaissent complètement de Pronote et ça devient aussi un peu alarmant sur le rapport qu'on a à nos élèves quand on devient une machine à mettre des notes", regrette-t-elle.

"On s'éloigne de l'apprentissage qui permet de s'émanticiper."

Claire Fortassin, professeur de philosophie

à franceinfo

"Il arrive même qu'on ait un message si par exemple on rentre des notes dans le week-end, alors même que l'élève n'a pas consulté sa copie, soit d'un élève soit d'un parent disant 'je ne comprends pas ma note' ou 'je ne comprends pas la note de mon enfant' alors qu'ils n'ont pas la copie sous les yeux", témoigne la professeure.

"Un contrôle en permanence"

Pour contrer ces effets, certains enseignants s'adaptent et trouvent des parades. Pour "préserver la relation pédagogique", Pierre Priouret explique qu'il "paramètre la publication des notes pour rendre d'abord la copie". Claire Fortassin, elle, a décidé de ne plus entrer les notes à l'instant T mais plutôt d'attendre la fin du trimestre. Ces professeurs estiment que cette place démesurée donnée à la note a été renforcée par l'introduction du contrôle continu au lycée, ce que confirme Manès Nadel, président de l'Union Syndicale lycéenne. "Si les notes ont une telle importance, si elles génèrent un tel stress, c'est parce que, de fait, elles sont importantes. Plus l'échéance de Parcoursup se rapproche, plus on est attentif à ça et ça amène à ce que les lycéens soient eux-mêmes tendus vis-à-vis de ça, les regardent en permanence et soient même plus prompts à protester", assure le lycéen.

"Les notes ne sont plus aujourd'hui un caractère qui permet d'évaluer notre progression au fil de l'année mais bien un critère qui correspond en fait à un contrôle en permanence."

Manès Nadel, président de l'Union Syndicale lycéenne

à franceinfo

Dans une synthèse de travaux du Centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco) rendue publique en 2023, on lit que l'évaluation représente une source de stress pour un élève sur deux. Dans leur note, les experts déplorent une évaluation trop focalisée sur la note et sur la moyenne et appellent à repenser les méthodes de contrôle, rappelant que l'évaluation peut-être "la meilleure des choses" quand elle est "au service des apprentissages" mais aussi "la pire des choses" lorsqu'elle engendre "découragement, détérioration de la performance, baisse de l’estime de soi et de la motivation."

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