"ChatGPT devient un allié" : ces enseignants apprivoisent l'intelligence artificielle pour améliorer leurs cours et aider leurs élèves
Ils n'ont que 14 ou 15 ans et, en classe, David Plumel leur parle déjà d'intelligence artificielle (IA). Enseignant en technologie dans la Nièvre, il a découvert ChatGPT il y a quelques semaines et a présenté l'outil à ses élèves de troisième, fin janvier. "Pour eux, c'était comme une machine qui répond à toutes leurs questions", décrit-il. Alors "plutôt que de l'interdire, je leur en ai donné l'accès, raconte le prof. Je préfère qu'ils l'utilisent devant moi de manière encadrée plutôt qu'ils fassent n'importe quoi."
Ce logiciel développé par l'entreprise américaine OpenAI est capable, en quelques secondes, de formuler des paragraphes argumentés sur n'importe quel sujet. De quoi faire craindre à certains enseignants que leurs élèves n'utilisent le programme pour tricher aux examens, voire qu'ils ne lui demandent de rédiger leurs devoirs à leur place. A ce titre, l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris a interdit à ses étudiants, fin janvier, l'utilisation du robot conversationnel sous peine de "sanctions", suivant l'exemple de plusieurs universités américaines. Loin de ces positionnements alarmistes, d'autres profs réfléchissent déjà à la meilleure manière d'intégrer cette nouvelle technologie dans leurs programmes.
"Développer l'esprit critique"
"Les élèves n'ont pas attendu l'IA pour demander l'aide de leurs parents ou trouver des réponses toutes faites sur Google et Wikipédia", rappelle Cécile Cathelin, professeure de français à Tours (Indre-et-Loire). Comme elle, la dizaine d'enseignants interrogés par franceinfo refusent de "passer à côté" de ChatGPT. "Il vaut mieux expliquer aux élèves ses défauts et limites", avance David Plumel. C'est précisément ce à quoi l'enseignant a réfléchi avant de présenter l'IA à ses élèves. "Je leur ai clairement expliqué que la machine était programmée pour fournir une réponse à chaque question, mais qu'il fallait toujours revérifier ensuite, détaille-t-il. Je leur ai aussi fait comprendre qu'elle pouvait comporter des biais."
Avec ses élèves de première, Cécile Cathelin a soumis à ChatGPT une question type bac sur Alcools, un recueil de poèmes de Guillaume Apollinaire. "Le but étant de l'utiliser comme mise en bouche d'une réflexion sur un sujet de dissertation", détaille l'enseignante. Très vite, un débat s'est ouvert dans la classe pour analyser la réponse fournie par l'intelligence artificielle.
"Confronter les élèves à ChatGPT leur permet de se rendre compte des limites de l'IA en réfléchissant à ce qu'ils auraient pu apporter de plus à la réponse, avec leurs propres connaissances."
Cécile Cathelin, enseignante en français dans un lycée de Toursà franceinfo
"C'est bien structuré et bien construit", ont noté les uns, tandis que d'autres ont naturellement pointé du doigt l'absence de citations dans les réponses de ChatGPT. Cette démarche d'analyse revient à faire des élèves de réels "acteurs" de l'argumentation qui leur est présentée, tout en renforçant leur "capacité à s'extraire des sources qu'ils utilisent", relève l'enseignante. Selon elle, cet exercice permet en somme "de développer leur esprit critique, ce qui est l'un des objectifs du lycée".
Un nouvel "assistant pédagogique"
Véritable mine d'informations, ChatGPT pourrait devenir l'assistant docile de plusieurs enseignants interrogés. Listes de ressources, questionnaires à choix multiples (QCM)… Pour préparer leurs cours, ils envisagent de mettre le robot à contribution. Gaëlle Hallez, professeure d'espagnol à Poitiers (Vienne), imagine demander à l'application de varier les énoncés d'examens, "pour différencier les évaluations selon les niveaux et difficultés de chaque élève". Le logiciel, très performant pour la programmation informatique, permet déjà à Philippe Jonin de s'entraîner sur des sujets d'examen. Avec l'aide de ChatGPT, "je suis capable de coder les énoncés (en langage informatique) en une à deux minutes, ce qui représente un grain de productivité assez incroyable", témoigne ce professeur de mathématiques sarthois.
'"ChatGPT est capable de générer un QCM en 10 secondes si l'on délimite bien le sujet."
Philippe Jonin, enseignant en mathématiques dans un lycée de la Sartheà franceinfo
Et si le robot conversationnel est capable d'aider les enseignants, il peut aussi faire office "d'assistant pédagogique" qu'un élève pourrait mobiliser lorsque le professeur n'est pas disponible. "A la maison, lorsqu'un élève a un doute sur la définition d'un terme ou s'il n'a pas bien compris un point précis du cours, il peut poser des questions à ChatGPT", détaille Philippe Jonin.
Certains ont déjà invité cet assistant virtuel en classe. Pour Grégory Michnick, enseignant de SVT (Sciences de la vie et de la Terre) dans un lycée des Hauts-de-France, l'arrivée de ChatGPT a été comme du "pain bénit". Avec ses élèves de première, il a entrepris, fin janvier, d'intégrer le programme dans un cours sur les micro-organismes. Concrètement, les élèves ont demandé à l'IA des versions de textes plus faciles à mémoriser, des quiz, ou encore des flash cards numériques (cartes qui comportent un terme au recto et sa définition au verso). "Ce travail assisté a permis de dégager du temps pour d'autres activités, comme l'entraînement à l'expression orale", ajoute le professeur, qui précise avoir passé une heure et demie en classe sur ce cours, soit deux fois moins que sans l'aide de l'IA.
Repenser les modes d'évaluation
"ChatGPT devient un allié s'il est bien utilisé", un "accélérateur" pour effectuer de nombreuses tâches "facilement automatisables", résume Alain Goudey, enseignant et directeur adjoint à l'école de commerce Neoma, qui investit l'IA depuis plusieurs années. D'ailleurs, pour Amélie Cordier, docteure en IA à l'université de Lyon, le robot pourrait bien, à plus long terme, remettre en question les modèles d'enseignement et d'évaluation des élèves. "Est-ce que c'est vraiment la synthèse d'un texte qui importe lorsqu'on enseigne à quelqu'un ?" interroge-t-elle.
"Si ce que vous demandez à vos élèves peut être remplacé par une machine, c'est que ce que vous faites n'est peut-être pas si terrible que ça."
Amélie Cordier, docteure en intelligence artificielle à l'université de Lyonà franceinfo
En tout état de cause, "il va falloir multiplier les mécanismes d'évaluation", remarque Alain Goudey. A ses étudiants, il demande "non pas de restituer des éléments de leçon sous forme de texte, mais sous forme de graphismes, de visuels ou encore de vidéos". Ainsi, même avec le secours de ChatGPT, les élèves doivent réfléchir et s'approprier le cours pour le traduire dans d'autres formats. En langues, Gaëlle Hallez pense également à favoriser l'oral avec ses élèves pour vérifier leur compréhension de certains documents. "Pour le rendu de certains devoirs, il va falloir demander à l'élève de justifier ses choix et son travail oralement", abonde David Cobac, enseignant de mathématiques à Angers (Maine-et-Loire).
Pour le moment, les enseignants intéressés sont livrés à eux-mêmes et, en dehors des établissements du supérieur qui ont interdit ChatGPT, les professeurs n'ont reçu aucune consigne concernant cet outil. Plutôt que de laisser les enseignants "bidouiller dans leur coin", Cécile Cathelin estime que la sensibilisation des élèves à l'IA devrait être intégrée durablement "au sein de leur emploi du temps". Comme ses collègues, elle attend des directives claires du ministère. Contacté par franceinfo, le ministère de l'Education nationale déclare ne pas travailler à l'intégration de ChatGPT dans les cours. Il rappelle néanmoins que le "renforcement des compétences numériques" des élèves sera "l'une des priorités de la transformation des classes de 5e, 4e et 3e" d'ici 2027, pour mieux les aider à comprendre le fonctionnement d'outils comme l'intelligence artificielle.
>> Le vrai du faux Junior répond à quatre questions sur ChatGPT
En attendant, l'engouement pour ChatGPT perdurera-t-il dans le temps ou s'agit-il seulement d'une tendance ? Difficile à dire, avance Amélie Cordier. Du côté d'Alain Goudey, c'est un autre son de cloche : le professeur estime que dans les années à venir, "l'art du prompt (autrement dit savoir poser une question correctement à une IA pour obtenir ce qu'on recherche d'elle) pourrait bien devenir une compétence en or" à enseigner aux élèves.
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