Grenelle de l'éducation : les augmentations "ne vont concerner qu'un très petit nombre de collègues"
Toutes les organisations regrettent l'abandon du projet de loi de programmation pluriannuelle qui aurait permis de pérenniser l'effort du gouvernement en matière salariale dans les années à venir.
"Tout ça pour ça." Les représentants syndicaux ne cachent pas leur frustration après l'annonce des mesures issues du Grenelle de l'éducation, mercredi 26 mai, par le ministre Jean-Michel Blanquer. Entre octobre et février, des concertations en forme d'ateliers thématiques avaient réuni syndicats, professeurs, personnel d'encadrement, mais aussi représentants du monde associatif et acteurs de la société civile, comme l'écrivain Daniel Pennac ou le pédopsychiatre Marcel Rufo. L'objectif était ambitieux : "transformer" la profession et inventer "le métier d'enseignant au XXIesiècle".
Au total, 438 propositions ont été émises par les participants, qui ont abouti à 12 engagements de la part du ministre. Mais le résultat laisse un sentiment très mitigé. "On était très en attente des annonces et on s'étonne un peu du résultat : en définitive, le Grenelle n'a pas apporté énormément de choses", regrette Guislaine David, cosecrétaire générale et porte-parole du SNUipp-FSU, syndicat majoritaire dans le premier degré.
"Le gâteau n'est pas suffisant"
Mesure phare du Grenelle, la revalorisation salariale des enseignants a bien été annoncée, avec une enveloppe de 700 millions d'euros pour le budget de 2022. Sur cette somme, 100 millions contribueront à financer "la montée en puissance des mesures déjà décidées", a expliqué Jean-Michel Blanquer, et 200 millions seront dédiés à la protection sociale complémentaire, avec une aide de 15 euros accordée à chaque agent de la fonction publique qui souscrira à une mutuelle santé. Enfin, 400 millions seront effectivement consacrés aux nouvelles revalorisations.
La répartition de cette enveloppe sera discutée avec les organisations syndicales tout au long du mois de juin. Elle devrait essentiellement être dédiée aux professeurs en début de carrière, qui ont déjà bénéficié de 400 millions d'euros supplémentaires cette année avec l'ambition de "rendre attractif le métier d'enseignant". "L'objectif est d'arriver avant 2025 à ce que plus aucun professeur ne gagne moins de 2 000 euros par mois", a déclaré Jean-Michel Blanquer en conférence de presse.
Mais les syndicats se montrent plutôt critiques sur cette enveloppe. "Avec 400 millions, on reste très contraints", regrette Stéphane Crochet, secrétaire général du SE-Unsa. Sophie Vénétitay, du Snes-FSU, premier syndicat d'enseignants des collèges et lycées, regrette également que "le gâteau ne soit pas suffisant" et s'inquiète du "partage" de cette somme qui ne va "concerner qu'un très petit nombre de collègues".
"La profession a beaucoup donné ces derniers mois. On a maintenu les écoles ouvertes, les enseignants étaient en première ligne et ils avaient besoin de reconnaissance. J'ai peur qu'ils ne la trouvent pas dans cette annonce."
Guislaine David, cosecrétaire générale et porte-parole du SNUipp-FSUà franceinfo
Jean-Michel Blanquer a rappelé son ambition de rattraper le retard de la France en matière salariale sur les autres pays développés : les salaires des enseignants français sont inférieurs de 7% en début de carrière à la moyenne des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). "Sur une base pluriannuelle, l'objectif est de rejoindre le peloton de tête des pays de l'OCDE", a martelé le ministre.
Mais le terme "pluriannuel" est trompeur car il n'y aura finalement pas de loi de programmation, contrairement à ce que réclamaient les syndicats. Sans surprise, puisqu'ils avaient été prévenus ces dernières semaines. Mais la déception n'en reste pas moins forte. Cette loi aurait permis de financer sur plusieurs années les augmentations des enseignants en les "gravant dans le marbre", souligne Sophie Vénétitay. "Elle nous aurait permis d'obtenir des augmentations tous les ans et de ne pas être tributaires des alternances politiques", ajoute Guislaine David. "Au-delà de ces 400 millions, on n'aura pas d'objectif de revalorisation plus lointain pour les enseignants, donc c'est très inquiétant. Le ministre compare beaucoup avec les autres pays de l'OCDE, mais on ne grimpe pas assez vite pour s'aligner sur eux", regrette-t-elle.
Stéphane Crochet insiste notamment sur le cas des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), dont la "rémunération les place en dessous du seuil de pauvreté". Son syndicat souhaite pousser pour que des objectifs de long terme soient fixés à leur égard. Lors des négociations en juin avec le ministère, "ils seront notre priorité", insiste-t-il.
L'épineuse question des remplacements
Jean-Michel Blanquer a aussi promis d'améliorer la "continuité pédagogique" avec "des moyens de remplacement accrus" dans le premier degré. Dans les collèges et les lycées, l'objectif sera "que tout élève ait eu, en fin d'année, le nombre de cours qu'il doit avoir". Le non-remplacement des enseignants absents est un sujet brûlant pour les fédérations de parents d'élèves. C'est même le "problème numéro un de l'Education nationale", selon Rodrigo Arenas, porte-parole de la FCPE. "C'est vraiment un enjeu fort, notamment en terminale", renchérit Hubert Salaün, représentant de la Peep, qui assure être très régulièrement interpellé par des parents inquiets de voir des "trous" dans les emplois du temps de leurs enfants. Les causes de ces absences sont multiples : surveillance et correction d'examens, jury d'épreuves orales, formations, congés maternité ou arrêts maladie. Le problème est tel que la FCPE a lancé un site internet participatif pour recenser les heures non remplacées.
Pour pallier ce problème, Jean-Michel Blanquer propose de recourir aux heures supplémentaires pour les professeurs ou assistants d'éducation et mise sur les cours en ligne. Une idée qui laisse très sceptiques les syndicats. "Ce n'est pas avec des heures supplémentaires qu'on va assurer correctement le remplacement d'un collègue par un autre, qui va devoir improviser et faire ça au pied levé", pointe Sophie Vénétitay. Ils sont également plusieurs à se demander ce que signifie concrètement le recours à l'enseignement numérique. "Est-ce qu'il s'agit de faire des cours en visio avec les collègues présents ?" questionne cette dernière. "Il va falloir beaucoup plus de détails pour avancer", prévient Bruno Bobkiewicz, proviseur de la cité scolaire Berlioz de Vincennes (Val-de-Marne) et secrétaire national du SNPDEN-Unsa.
Pour les syndicats interrogés, il est clair que le problème ne pourra pas être résolu autrement qu'en recrutant davantage et en revalorisant le métier d'enseignant. "Certains territoires n'attirent pas", rappelle Hubert Salaün, de la Peep, citant sa région en exemple : la Picardie, qui souhaiterait des rémunérations plus incitatives à l'embauche. "Actuellement, les salaires d'entrée ne sont pas de nature à inciter à devenir prof, un métier difficile", ajoute Rodrigo Arenas.
Des précisions attendues courant juin
Sur le reste des annonces, les représentants syndicaux attendent globalement plus de précisions sur des mesures qu'ils jugent souvent très "floues". Ils sont notamment assez circonspects sur le huitième engagement du ministre : renforcer les pouvoirs du chef d'établissement et permettre plus d'autonomie aux équipes des collèges et lycées pour développer leurs projets. "Concrètement, ça veut dire quoi ? Des moyens supplémentaires ?" s'interroge le proviseur Bruno Bobkiewicz, qui souligne les grandes attentes du côté des équipes de direction. "Chez nos adhérents, la priorité numéro un, ce n'est pas la rémunération, ce sont les conditions de travail", insiste-t-il.
Jean-Michel Blanquer a également rappelé sa volonté "d'individualiser" la gestion des ressources humaines pour que les enseignants de ce ministère qui compte un million d'agents ne se sentent plus considérés comme "des numéros". Pour Stéphane Crochet, si ces annonces sont "bienvenues", elles pourraient toutefois "décevoir" si le ministère n'embauche pas davantage de personnel, en sous-effectif "dans les établissements et les rectorats". Sophie Vénétitay soupçonne le ministre de vouloir "donner plus de pouvoir aux hiérarchies locales pour décider des carrières des uns et des autres. Pour nous, c'est problématique, car le local peut laisser place à l'arbitraire."
Certaines propositions avancées mercredi soir ont en revanche été jugées "satisfaisantes", comme l'augmentation du taux d'enseignants accédant à la "hors-classe", une promotion à l'ancienneté. Le ministère a annoncé la hausse de ce taux de 17% à 18%, soit 1 700 bénéficiaires supplémentaires en 2021.
Les prochaines semaines seront déterminantes pour les syndicats, qui seront attendus à des réunions thématiques au ministère pour discuter et définir la répartition de l'enveloppe de 400 millions d'euros. "Jusqu'au dernier moment, on va chercher à obtenir des clarifications et des avancées", assure Stéphane Crochet. Les syndicats seront particulièrement vigilants sur certains "chiffons rouges", notamment concernant les heures supplémentaires obligatoires ou la formation continue imposée pendant les vacances scolaires.
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