Quels sont les points de friction du projet de loi pour une "école de la confiance", adopté par l'Assemblée ?
Ce texte a été adopté à l'Assemblée nationale mardi, après une semaine de débats, souvent vifs. Ce premier texte du quinquennat sur l'école, qui a crispé certains syndicats du corps enseignant, a aussi nourri les critiques de l'opposition.
Instruction obligatoire dès 3 ans, refonte de l'évaluation, rôle étoffé des surveillants... Huit jours après le début de son examen, l'Assemblée nationale a adopté, mardi 19 février, le premier grand texte sur l'école du quinquennat Macron. Ce projet de loi "pour une école de la confiance", porté par le ministre de l'Education, Jean-Michel Blanquer, entend répondre à deux enjeux : "élever le niveau général des élèves" et promouvoir "la justice sociale". Mais le projet suscite une forme de défiance chez plusieurs syndicats du corps enseignant. Il a aussi nourri les critiques des oppositions qui ont majoritairement voté contre, ou se sont abstenus, lors du vote solennel en première lecture.
Une instruction obligatoire dès l'âge de 3 ans
Le projet de loi veut une instruction obligatoire pour les enfants dès l'âge de 3 ans, contre 6 actuellement. "Nous serons le pays [de l'UE] qui positionne l'âge de l'instruction obligatoire le plus tôt dans la vie", se félicite ainsi le ministre de l'Education, Jean-Michel Blanquer. Dans les faits, cette mesure ne concernera que 26 000 nouveaux enfants à la rentrée prochaine, selon une étude d'impact du ministère, car 98,9 % de cette classe d'âge font déjà l'objet d'une instruction.
Cette obligation impose par ailleurs aux collectivités de financer les maternelles privées sous contrat, ce que l'Etat prévoit de compenser. Le coût de cette mesure est évalué entre 100 et 150 millions d'euros, selon Le Monde, qui cite respectivement les calculs du ministère et du Comité national d'action laïque.
Dans l'hémicycle, la gauche a dénoncé un "cadeau" à l'enseignement privé. Les députés LR ont vu une "injustice" dans cette obligation de financement par les collectivités. Cet abaissement d'âge, inédit depuis 1882, a aussi été critiqué à droite au nom de la "liberté de choix des parents". Au final, l'amendement imposant cette mesure a été adopté par les députés à 95 voix contre 11 en première lecture.
Des "missions d'enseignement" pour des surveillants
Les surveillants d'établissement (assistants d'éducation) pourront exercer des "missions d'enseignement" à condition de préparer les concours au métier d'enseignant et d'être au minimum en deuxième année de licence. Ils toucheront alors 693 euros par mois pour huit heures consacrées à ces missions (963 euros en Licence 3 et 980 euros en Master 1). Au total, 1 500 personnes seront concernées lors de la première année et ce nombre pourrait atteindre 3 000 en 2021. Jean-Michel Blanquer affirme que cette mesure permettra d'élargir le "vivier" de recrutement des enseignants et d'être un "vecteur d'ascension sociale".
La députée LREM Fannette Charvier, co-rapporteure du texte, estime que "confier des missions ne veut pas dire remplacer" et ajoute que "cela pourra commencer par du soutien scolaire, des petits groupes" ou l'aide aux devoirs. Elèves et syndicats ne sont pas convaincus par cette mesure. Pendant les débats, le ministre a présenté ce dispositif comme "éminemment social", mais la gauche y a d'abord vu une "précarisation".
Un devoir "d'exemplarité" pour les enseignants
Des enseignants étaient également préoccupés par l'examen du premier article du projet de loi, qui rappelle le devoir "d'exemplarité" des enseignants et le respect que doivent leur manifester en retour élèves et familles.
Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l'établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l'éducation.
Article 1 du projet de loi "école de confiance"
Certains soupçonnent une volonté de "museler" leur liberté d'expression, alors que des mouvements comme les "stylos rouges" ou #PasDeVague ont émergé fin 2018 sur les réseaux sociaux, afin respectivement d'obtenir un meilleur statut des enseignants et de dénoncer les violences scolaires.
A priori, rien de nouveau, car les agents publics ont "une obligation d'obéissance et de loyauté envers leur institution", rappelle dans Libération Antony Taillefait, professeur spécialiste du droit des fonctionnaires. Ce dernier s'interroge tout de même sur les motifs d'un tel rappel et souligne que les agents ont la possibilité de s'exprimer — "il faut simplement un ton correct et la critique argumentée". De son côté, le syndicat SNUipp-FSU a lancé une pétition pour rappeler que "la liberté d'expression est pour les agents une garantie démocratique qui protège les usagers des services publics et protège les finalités de l'intérêt général".
A l'Assemblée, les oppositions ont été vives sur ce premier article. Les trois groupes de gauche ont tenté de le supprimer, déplorant que cette loi débute dans la "défiance" avec une volonté de "museler" les profs. A droite, plusieurs élus ont formulé des doutes sur l'utilité de cet article, considéré comme de la "communication" par le député LR Fabien Di Filippo. Jean-Michel Blanquer a défendu cette mesure "de principe" avec "un petit peu de tristesse", en reprochant à ses détracteurs de droite comme de gauche d'"entretenir" la crise de défiance que connaît le pays.
Un nouveau conseil d'évaluation de l'école
La création du conseil d'évaluation de l'école, pour jauger l'efficience des politiques éducatives, braque aussi les syndicats. Ils ont critiqué le "manque d'indépendance" du nouvel organisme en pointant sa composition. Sur quatorze membres, dix seront des représentants du ministre ou choisis par lui. Cette nouvelle structure doit remplacer le conseil d'évaluation du système scolaire (Cnesco), créé en juillet 2013.
Ce conseil évaluait le système scolaire français en s'appuyant souvent sur des exemples tirés de ce qui se fait à l'étranger. Dès le mois d'octobre 2018, le syndicat Sgen-CFDT s'était ému de la progression programmée d'un organe dont il louait l'indépendance. Les députés d'opposition ont également soulevé des réserves sur "l'indépendance" du nouveau conseil d'évaluation de l'école, mais la mesure n'a pas autant été débattue que d'autres articles du projet de loi.
Vers des classes de collège regroupées avec des écoles
Le regroupement des classes d'un collège et d'une ou plusieurs écoles au sein d'établissements "des savoirs fondamentaux", adopté en commission via un amendement, a aussi suscité des inquiétudes. Francette Popineau, secrétaire générale du syndicat enseignant SNUipp, redoute que les méthodes du collège soient importées au sein du primaire. "On risque de perdre la proximité avec les enfants et avec les parents", estime-t-elle dans les colonnes de La Croix. Dans l'hémicycle, les députés se sont préoccupés du sort des écoles rurales. Les petites écoles, notamment, pourraient ainsi atteindre une taille critique.
Remplacer "père et mère" par "parent 1 et parent 2" dans les formulaires scolaires
Un ajout au texte, venu de LREM, a aussi fait couler beaucoup d'encre : le remplacement des mentions "père et mère" par "parent 1 et parent 2" dans les formulaires scolaires. "Cet amendement vise à ancrer dans la législation la diversité familiale des enfants dans les formulaires administratifs soumis à l'école", a expliqué la députée Valérie Petit (LREM) à l'origine du texte. L'élue du Nord a rappelé que nombre de formulaires d'état civil, d'inscription à la cantine ou d'autorisation de sortie scolaire portent toujours les mentions père et mère, en ne tenant pas compte du vote de la loi pour le mariage pour tous et de l'existence de familles homoparentales.
Le ministre de l'Education et une co-rapporteure du texte ont donné un avis défavorable à cet amendement. Jean-Michel Blanquer a jugé la formulation "pas idéale" et Anne-Christine Lang (LREM) compte proposer en nouvelle lecture la possibilité d'entourer les bonnes mentions parmi "père, père, mère, mère". La droite y a vu une mesure "dogmatique" et "discriminatoire".
Des drapeaux français et européens dans les salles de classe
Une autre mesure était inattendue. Les députés ont complété et adopté un amendement d'Eric Ciotti, député LR, pour rendre obligatoire la présence dans les classes du drapeau tricolore et du drapeau européen, ainsi que des paroles de l'hymne national. Des "marcheurs", pour qui les drapeaux au fronton des écoles étaient suffisants, ont été, selon l'un d'eux, "un peu surpris".
Cette mesure a eu l'aval de Jean-Michel Blanquer. Selon Mediapart, le ministre a considéré que l'amendement concernant "l'apprentissage effectif de l'hymne national" était "un progrès par rapport aux objectifs pédagogiques". A gauche, des élus ont reproché à la majorité de parler plus de "chiffons" que d'école. Michel Larive, de La France insoumise, a fustigé une inquiétante "dérive nationaliste". Selon lui, le lever de drapeau "doit rester dans les casernes". En Seine-Saint-Denis, au lycée Paul-Eluard, l'annonce a laissé les élèves comme les enseignants pour le moins circonspects.
D'autres amendements venus de la droite, et auxquels Jean-Michel Blanquer ne s'est pas montré hostile sur le fond, ont en revanche été retoqués, sur le port de l'uniforme, ou du voile par les accompagnateurs scolaires. Signé à nouveau par Eric Ciotti, l'amendement sur le voile a suscité des tensions. Après une discussion au sein de la majorité, Jean-Michel Blanquer a appelé à voter contre, au nom de "l'efficacité". Pour Boris Vallaud (PS), avec sa "bienveillance" sur les drapeaux ou le voile, le ministre a donné "à voir ce qui était sa ligne politique". Les communistes ont dénoncé un "dévoiement" de la laïcité, placée "sous l'angle identitaire et non de l'égalité".
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