Résultats des évaluations nationales de 6e et 4e : "Le collège n'est pas pensé pour tous les élèves"
Que disent réellement les résultats des évaluations nationales au collège, rendus publics mardi 14 novembre par le ministère de l'Education nationale ? Gabriel Attal a estimé lundi, dans les colonnes du Parisien, qu'ils étaient "inquiétants" pour les élèves de 4e, qui ont passé ces tests en septembre pour la première fois. "Un peu plus de la moitié des élèves ne lisent pas convenablement et, en mathématiques, plus de la moitié ne maîtrisent pas la résolution de problèmes et la géométrie", a-t-il regretté. Cependant, "les résultats progressent" dans les classes de 6e.
Les évaluations des acquis, qui ont aussi été passées par les CP, CE1 et CM1, permettent d'une part au professeur de situer le niveau de chacun de ses élèves, d'autre part au ministère de disposer d'une vue d'ensemble, et, en conséquence, "d'adapter la politique éducative", selon un communiqué du ministère. Mais ces épreuves sont questionnées, voire critiquées, par le corps enseignant, notamment sur leur légitimité à apporter des statistiques fiables. Pour Maud Valegeas, co-secrétaire fédérale de SUD-Education, "ces évaluations sont peu inclusives". Les élèves ont par exemple été évalués sur leur capacité à comprendre un texte en lien avec un test de fluence, autrement dit leur aptitude à lire vite.
"Le lien entre compréhension et vitesse de lecture n'est pas probant. Cela pénalise par ailleurs les élèves en situation de handicap."
Maud Valegeas, co-secrétaire fédérale SUD-Educationà franceinfo
Les conditions de déroulé des épreuves diffèrent également en fonction des établissements. Dans le collège de Seine-Saint-Denis où elle travaille, Maud Valegeas affirme que, cette année, "il a été difficile de réunir 24 ordinateurs en état de marche" pour les élèves de 4e, alors que les épreuves étaient numériques. Parce que les résultats sont variables d'une année à l'autre, Jérôme Fournier, secrétaire national du SE-Unsa, prend ces bilans avec des pincettes. "Il y a des petites progressions, parfois des petites baisses, mais ce n'est jamais flagrant. Pour les élèves de 4e, il faudra vérifier si cela bouge l'année prochaine", estime le responsable syndical. "Ces évaluations donnent des indications, c'est précieux, mais il faut être prudent dans les conclusions que l'on peut en tirer", estime Jean-Paul Delahaye, ancien directeur général de l'enseignement scolaire.
Manque de moyens et classes standardisées
Pour interpréter justement ces évaluations, et particulièrement le "mauvais" bilan des collégiens en 4e, la prise en compte d'un contexte reste essentielle. "Les élèves de 4e ont certainement payé le lourd tribut des confinements", avance Jérôme Fournier, qui ne nie pas pour autant que les résultats ne sont "pas bons". Ces élèves étaient en classe de CM1-CM2 au plus fort de la crise du Covid-19, tout comme ceux qui sont aujourd'hui en 6e étaient en CE1-CE2, des années durant lesquelles les apprentissages sont essentiels.
Mais contrairement aux élèves de 6e, ceux de 4e dans les réseaux d'éducation prioritaire (REP) n'ont pas bénéficié des dédoublements en CP et CE1. "En maths cette année, on voit une progression des résultats en 6e. On peut penser que les mesures de dédoublement portent leurs fruits", souligne Jérôme Fournier. Cet argument a lui-même été repris par Gabriel Attal lundi. "Il y a aussi l'âge qu'il ne faut pas négliger. En 4e, les comportements changent un peu : certains trouvent mieux leur place dans un groupe en étant un mauvais élève", remarque Jérôme Fournier.
En toile de fond, les enseignants sont nombreux à dénoncer surtout de mauvaises conditions d'apprentissage. Pour eux, les élèves ne doivent pas porter la responsabilité d'un dysfonctionnement du système. "Qui aurait pu prédire qu'on aurait des élèves en difficulté alors que les classes de collège en France sont les plus surchargées en Europe, qu'il y a des professeurs qui ne sont pas remplacés, qu'il y a des grands trous dans la scolarité des élèves ?" a réagi mardi, au micro de franceinfo, la secrétaire générale du syndicat enseignant Snes-FSU Sophie Vénétitay. Selon Jean-Paul Delahaye, la situation est particulièrement critique au collège. "Il n'est pas une priorité quant à l'attribution des moyens. La Cour des comptes le signale depuis 2003", interpelle l'inspecteur général honoraire.
"Depuis la mise en place du collège unique, il ressemble furieusement à un petit lycée adapté aux élèves qui se destinent à la filière générale."
Jean-Paul Delahaye, inspecteur général honoraireà franceinfo
Avant 1975, les collégiens étaient affectés dans des classes en fonction de leur projet d'études, avec d'un côté ceux qui souhaitaient s'arrêter au brevet, de l'autre ceux qui se destinaient à aller au lycée. "Le collège actuel n'est pas pensé pour tous les élèves", souligne Jean-Paul Delahaye. Les enseignants en collège bénéficient notamment de la même formation que les professeurs de lycée. "Enseigner les maths à une classe de 6e, ce n'est pas la même chose que le faire à une classe de spécialité en terminale", illustre celui qui plaide pour mieux outiller les profs.
Des inégalités sociales et scolaires persistantes
Les résultats de ces évaluations révèlent également que les disparités entre les collégiens en REP et les autres sont loin d'être résorbées. En 4e, concernant le français, "14,2% des élèves du secteur public hors éducation prioritaire se situent dans le groupe de performance le plus faible. C'est le cas de 38,6% des élèves de REP+", détaille le ministère. En 6e, en comparaison avec 2022, "les résultats sont globalement stables en français, avec une hausse observée en REP+". Mais la différence reste colossale, comme le précise l'Agence des statistiques du ministère (DEPP) dans son rapport complet : en REP+, "la proportion d'élèves dans les groupes de bas niveaux atteint 52,4%. Elle est supérieure de 26,3 points à celle observée chez les élèves scolarisés dans le secteur public hors éducation prioritaire".
"En REP, on a dédoublé des classes au primaire, mais on n'a pas allégé les classes au collège."
Jérôme Fournier, secrétaire national du SE-Unsaà franceinfo
"Ces dernières années, on a l'impression d'un abandon de la politique d'éducation prioritaire", juge Maud Valegeas. En décembre, l'ex-ministre de l'Education nationale Pap Ndiaye avait aussi promis de mener un chantier d'ampleur sur la carte de l'enseignement prioritaire en 2023. Aujourd'hui, 1,7 million d'écoliers et collégiens sont concernés par l'éducation prioritaire, soit 1/5e des effectifs. Dans l'idéal, bien plus d'élèves pourraient en bénéficier. "La carte de l'indice de position sociale (IPS) nous permet de voir que certains collèges non REP ont un indice plus bas que ceux classés REP", rappelle Jérôme Fournier. Preuve de la pertinence des IPS pour mesurer les inégalités, la DEPP donne aussi à voir, dans son rapport, les résultats des établissements en fonction de cet indice.
Pour pallier ces inégalités entre les élèves en difficulté et les autres, Gabriel Attal a de nouveau avancé l'idée "des groupes de niveaux en français et en mathématiques". Mais selon Jérôme Fournier, la solution se trouve plutôt dans "des groupes de besoins". "Sur quatre heures de maths, on pourrait avoir une heure consacrée à des groupes allégés : l'un pour faire des fractions, l'autre de la géométrie. Puis, au bout d'un certain temps, on change les groupes en les créant différemment, car des élèves tout le temps en difficulté, ça n'existe pas", assure-t-il. Pour Maud Valegeas, la "politique des savoirs fondamentaux" à tout prix n'est pas la plus pertinente : "Il faut développer le goût d'apprendre, et cela passe par la multiplication des disciplines, mais aussi le lien que l'on fait entre elles."
"Le collège est en difficulté car on n'insuffle pas la mixité sociale et scolaire", ajoute Jean-Paul Delahaye. Nombreuses sont les recherches qui montrent pourtant les bénéfices d'une classe hétérogène, pour les élèves moins bons comme pour les meilleurs, sous certaines conditions. A Toulouse (Haute-Garonne), les jeunes d'un quartier sensible (le Mirail) et d'un quartier résidentiel fréquentent le même établissement depuis 2018. Selon le président PS du conseil départemental, ce mélange est un succès, avec un taux de réussite au brevet en augmentation de sept points pour les collégiens du Mirail.
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