Rythmes scolaires : les débuts brouillons des communes rurales
Des maires de villages jugent la réforme trop coûteuse et trop difficile à mettre en place. Pour savoir à quelles difficultés sont confrontées les communes rurales, francetv info s'est notamment rendu dans la Sarthe.
Informatique, cirque et photographie, ce sont, à Fercé-sur-Sarthe (Sarthe), dans l'unique école de ce village de 624 habitants, les trois ateliers proposés deux fois par semaine en élémentaire. Ils durent 1h30, dans le cadre des Temps d'activités périscolaires (TAP) introduits par la réforme des rythmes scolaires, obligatoire dans les écoles primaires publiques depuis la rentrée. Les enfants de la maternelle ont, eux, un temps calme ou une sieste pendant la pause méridienne.
Mais lundi 8 septembre, l'une des animatrices n'a pas pu accéder aux ordinateurs, et a dû improviser un atelier d'origami. La deuxième a initié les enfants au mime et au sketch, car elle n'avait pas encore reçu de diabolos ou de balles pour leur apprendre à jongler. Et la troisième ne disposait que d'un seul appareil photo pour tous les élèves de CE2. Problème de coût, d'organisation... une semaine après la rentrée, il y a encore quelques ajustements à faire.
Enseignants et animateurs ne s'en inquiètent pas. Ils sont unanimes : ils manquent encore de recul. "Il faut nous laisser le temps de nous adapter et laisser aux enfants le temps de prendre leurs marques", souligne Isabelle Février, la directrice de l'école, enseignante en maternelle. Certains parents sont plus résignés. "C'est sympa parce qu'ils ne sont pas cantonnés derrière un jeu de société, mais aucune sortie ne leur sera jamais proposée, contrairement aux grandes villes. Les petites communes font avec un petit budget", commente à la sortie des classes Ingrid, aide-soignante et mère d'un écolier en CM2.
Le coût de la réforme dénoncé
L'Association des maires de France (AMF) évalue le coût de la réforme pour les communes à 150 euros par enfant et par an. Mais à Fercé-sur-Sarthe, la somme s'élève à 392 euros par enfant, dont 250 à la charge du village. Malgré les aides de l'Etat, voire, dans certains cas, des aides supplémentaires de la Caisse d'allocations familiales (CAF), le montant est plus élevé pour les plus petites communes. Les aménagements et le fonctionnement des équipements y sont parfois plus importants que dans les grandes villes.
Conséquence : le coût de la réforme est dénoncé par des maires de petites communes rurales. Janvry (Essonne), 600 habitants, Saint-Médard-en-Forez (Loire), 976 habitants, Ganzeville (Seine-Maritime), 455 habitants... Ceux qui ont bloqué leurs écoles le 3 septembre pour protester contre la réforme sont essentiellement à la tête de villages.
Pour financer les activités périscolaires, les maires peuvent demander une participation aux familles. Mais la plupart proposent des activités gratuites, tout en estimant qu'il faudra augmenter les impôts locaux. D'autres se retrouvent au pied du mur. "Nous avons dû nous résoudre à demander une participation financière des familles à hauteur de 2 euros par après-midi de TAP", explique à Ouest-France Sylvie Fillon, adjointe aux affaires sociales de Sainte-Hélène, un village de 1 100 habitants dans le Morbihan.
"Je ne veux pas confier les enfants à n'importe qui"
A Fercé-sur-Sarthe, le maire a décidé de puiser dans le budget de la commune pour financer l'ensemble des aménagements que nécessite la réforme. Toutefois, Dominique Dhumeaux, qui est aussi président de l'Association des maires ruraux de la Sarthe, juge que l'aspect financier n'est pas le problème majeur. "Quand on se retrouve entre maires, on aborde peu ce sujet. Notre problème principal, c'est de recruter des personnes capables d'accueillir des enfants. En tant que maire, notre responsabilité est engagée. On se retrouve en première ligne s'il y a un problème."
"Je ne veux pas confier nos enfants à n'importe qui, je veux pouvoir être sûr de la moralité de la personne", indique de son côté Jean-Claude Roche, maire d'Authezat, dans le Puy-de-Dôme, à l'AFP. Les 120 enfants de la petite école du village n'ont, pour l'instant, pas accès à des activités périscolaires. Le maire les organisera à la rentrée 2015, si une solution est trouvée pour mutualiser le recrutement des animateurs au niveau de la communauté de communes.
En l'absence d'animateurs qualifiés, beaucoup de maires privilégient une simple garde des enfants, au lieu d'organiser les activités péri-éducatives qui étaient un des éléments clés de la réforme. "On a essayé de faire au mieux. Mais il est vrai qu'aujourd'hui, la plupart des communes rurales proposent une garderie améliorée. Il faut laisser du temps aux collectivités pour monter en qualité", estime Cédric Szabo, directeur de l'Association des maires ruraux de France, contacté par francetv info.
Des ateliers animés par des bénévoles
Comme dans plusieurs villages, au Grand-Vabre (Aveyron), habité par 400 personnes, la solution est venue des bénévoles. Beaucoup se sont portés volontaires pour proposer diverses activités périscolaires (théâtre, marionnettes, lectures, chants et danses...). "Certains sont des retraités expérimentés dans le domaine de l'enfance", selon La Dépêche du Midi. Les activités restent encadrées par une assistante maternelle et une personne chargée des activités périscolaires, toutes deux employées par la mairie, précise le quotidien régional.
A Uchizy, un village de 816 habitants en Saône-et-Loire, l'équipe municipale s'est longtemps penchée sur le sujet avant de trouver une organisation cohérente. Finalement, trois activités payantes seront proposées aux 124 écoliers, à partir du lundi 22 septembre : du théâtre, animé par une comédienne qui se déplace dans d'autres villages ; un atelier d'arts plastiques, pris en charge par un élu qui est aussi artiste plasticien ; et des jeux de société, encadrés par une institutrice. "C'est la seule qui s'est portée volontaire", précise le maire, contacté par francetv info. Pendant cette activité, elle sera rémunérée par la mairie, le reste du temps, par l'Education nationale.
A Fercé-sur-Sarthe, Dominique Dhumeaux a pu s'appuyer sur des petites activités périscolaires et deux postes d'animateurs, qui existaient déjà. "On a réparti différemment les horaires des personnes en poste, et on a recruté une personne à temps partiel", précise-t-il. "Heureusement, dans les villages, il y a encore des personnes qui veulent travailler pour quelques heures et pour gagner 30 euros nets par semaine", ajoute-t-il. C'est le cas de Serène, jeune mère qui souhaitait faire un retour progressif vers l'emploi, et a pris en charge l'atelier informatique. "Et surtout, on a les locaux pour les activités", souligne-t-il.
Des problèmes de ramassage scolaire
A une vingtaine de kilomètres, Longnes (Sarthe), peuplé de 355 habitants, n'a pas cette chance. Le village appartient à un Regroupement pédagogique intercommunal (RPI), une organisation fréquente en milieu rural. Il s'agit, la plupart du temps, d'élèves répartis sur plusieurs sites en fonction de leur niveau scolaire. Dans le cas du RPI de Longnes, un village accueille la maternelle, un autre le CP, un autre les CE1-CE2 et un quatrième les CM1-CM2.
Pour proposer des ateliers pendant les TAP, le Syndicat intercommunal à vocation scolaire (Sivos), qui gère les RPI, avait prévu de rassembler tous les enfants pendant la pause méridienne au sein de la garderie, seul local disponible. Le bus scolaire devait donc récupérer les enfants de chaque classe un peu plus tôt. Mais le conseil général, responsable de l'organisation et du fonctionnement des transports scolaires, s'y est opposé fin juillet, trop tardivement pour réfléchir à une alternative. "On avait trouvé des bénévoles pour animer des activités. Tout était prêt, mais tout est tombé à l'eau. Il n'y a plus d'animations, mais de la récréation", regrette la maire de Longnes, contactée par francetv info.
"Les conseillers municipaux ont passé des heures, bénévolement, à réfléchir à l'organisation des nouveaux rythmes, les équipes pédagogiques à se réunir et les maires à négocier... Tout le monde a fait des efforts. Mais les enfants n'auront pas beaucoup plus que ce qu'ils avaient déjà. Or, le but premier de la réforme, c'était de modifier les rythmes dans leur intérêt", soupire Dominique Dhumeaux. Une semaine après la rentrée, son constat est amer. Mais il est encore trop tôt pour tirer toutes les conclusions.
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