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Fin de vie : les droits des patients sont trop peu respectés, faute de moyens suffisants, dénonce un rapport parlementaire

Des députés de la majorité et de la Nupes appellent, mercredi, à "augmenter considérablement" les moyens alloués aux soins palliatifs pour rendre "pleinement effectifs" les droits des malades à l'approche de leur mort.
Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le député de Charente-Maritime Olivier Falorni, spécialiste des questions de fin de vie, s'exprime à l'Assemblée nationale, à Paris, le 8 novembre 2022. (THOMAS SAMSON / AFP)

Plus que d'une nouvelle loi, les Français en fin de vie n'ont-ils pas surtout besoin qu'on respecte leurs droits ? Les députés en charge de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti concluent, dans un rapport publié mercredi 29 mars, que le cadre fixé par la loi de 2016 "répond à la grande majorité des situations" des patients mourants. Malheureusement, nombre de malades font les frais d'une difficulté "principale", selon ce document : le manque de moyens alloués à l'accompagnement de la fin de vie.

"Tant que le développement des soins palliatifs ne constituera pas une véritable priorité et que les moyens qui y sont consacrés n'auront pas été considérablement augmentés, les droits consacrés par les différentes lois sur la fin de vie ne pourront pas être pleinement effectifs", avertissent le président de la mission, Olivier Falorni (groupe Démocrate), et ses rapporteurs, Caroline Fiat (La France insoumise) et Didier Martin (Renaissance), dans ce texte de 115 pages.

Leur constat fait écho aux premières orientations de la convention citoyenne sur la fin de vie, qui doit remettre les conclusions de ses travaux à Emmanuel Macron lundi prochain. Les 184 citoyens se sont déjà prononcés en faveur d'un "renforcement" du budget dédié aux soins palliatifs et d'un déblocage des "moyens nécessaires à une mise en œuvre effective de la loi". Le ministère de la Santé a depuis promis un plan en ce sens, sans s'avancer sur le montant de l'enveloppe qui sera allouée.

"De fortes disparités territoriales"

La loi Claeys-Leonetti prévoit que les malades ont le droit d'avoir une "fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance", rappellent les députés. L'accès aux soins palliatifs, qui visent précisément à soulager la douleur et à apaiser la souffrance psychique, apparaît à leurs yeux comme une "condition sine qua non" au respect de ce droit.

Pourtant, l'accès à une telle prise en charge "est encore loin d'être garanti pour tous les Français partout sur le territoire national", particulièrement en dehors des hôpitaux, constatent les rapporteurs. Aggravée par un "manque criant de personnels", l'offre "reste marquée par de fortes disparités territoriales", symbolisées par l'absence d'unités de soins palliatifs dans 21 départements (où existent seulement des lits de soins palliatifs disséminés dans des services curatifs).

En plus d'un important effort de développement de l'offre palliative, les députés réclament un choc culturel chez les soignants. "Les situations de fin de vie sont encore souvent perçues dans le monde médical comme des échecs thérapeutiques", déplorent les élus. Ils appellent à sortir de la "dichotomie" entre "les services curatifs, dont la vocation supposée est de guérir, et les services de soins palliatifs", chargés de "prendre soin".

"Cet objectif implique de revoir en profondeur la formation des professionnels soignants, que l'on prépare [jusqu'ici] à guérir plutôt qu’à soigner."

Rapport de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti

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Cet effort "urgent" de diffusion de la culture palliative doit s'accompagner, aux yeux des rapporteurs, d'un chantier promis en janvier par Emmanuel Macron : la "remise en cause du modèle actuel de la tarification à l'activité". Les modalités de financement actuelles sont "peu adaptées à une prise en charge palliative optimale", qui "repose moins sur des actes techniques que sur un accompagnement humain", soulignent les députés. La tarification à l'activité a "de nombreux effets pervers", incitant par exemple à flirter avec l'acharnement thérapeutique et à "retarder la transition vers les soins palliatifs, moins rémunérateurs pour les établissements", avancent-ils.

Des dispositifs "méconnus et imparfaits"

Dans le détail, "la loi Claeys-Leonetti a constitué un indéniable progrès", poursuivent les députés, en s'appuyant sur les auditions de 90 spécialistes des questions de fin de vie (professionnels de santé, hauts fonctionnaires, responsables associatifs, etc.). En renforçant les directives anticipées et la place de la personne de confiance, le texte de loi PS-LR voté sous François Hollande a permis une meilleure "prise en compte de la volonté du patient", estiment-ils.

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Ces dispositifs demeurent toutefois "méconnus et imparfaits". Les élus insistent particulièrement sur l'outil "peu utilisé" des directives anticipées, que les patients rechignent à remplir pour y faire respecter leurs souhaits en cas d'incapacité à s'exprimer avant leur mort. "Le sujet de la fin de vie est un sujet mis à distance, quand il n'est pas un repoussoir, voire un tabou", d'où "une tendance à vouloir retarder la discussion", constatent les auteurs du rapport.

"A de rares exceptions, les patients ne se sont effectivement pas appropriés les nouveaux droits prévus par la loi."

Rapport de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti

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Pour aider les Français à sauter le pas, le rapport recommande d'"encourager les professionnels de santé" à accompagner leurs patients dans la rédaction des directives anticipées et la désignation de leur personne de confiance. Ils suggèrent de "développer les discussions anticipées", des consultations gratuites qui permettraient à chacun d'être guidé dans sa réflexion avant de coucher ses souhaits sur papier.

Un droit entravé à la sédation profonde et continue

"Innovation majeure de la loi Claeys-Leonetti", le droit à la sédation profonde et continue jusqu'au décès a aussi constitué "une véritable avancée" face à la souffrance des derniers jours et des dernières heures, selon les parlementaires. Mais, là encore, ils s'étonnent du "faible recours à ce dispositif", qui tient notamment à la "difficulté" de l'appliquer en dehors du milieu hospitalier. Les députés recommandent de "renforcer considérablement les moyens" dédiés aux équipes mobiles de soins palliatifs et à l'hospitalisation à domicile, pour "assurer un accès permanent" des patients demandant à finir leurs jours endormis chez eux.

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La "rare" mise en œuvre de la sédation profonde et continue tiendrait aussi d'"une forme de réticence chez les soignants" face à cette pratique "imprévisible". Associée à un arrêt de l'alimentation et de l'hydratation, la procédure "s'étend parfois sur plusieurs jours" et peut placer les proches face au spectacle "particulièrement insupportable" d'une dégradation de l'état physique du patient. Les élus suggèrent donc, à demi-mot, de permettre à l'équipe médicale d'augmenter les doses en cas de délai d'agonie "déraisonnable", quitte à accélérer la survenue du décès.

Sans (trop) sortir du périmètre de leur mission d'évaluation de la loi de 2016, les rapporteurs concluent leur texte par une allusion à une éventuelle légalisation de l'aide active à mourir en France. "Dans la plupart des cas, les personnes en fin de vie ne demandent plus à mourir lorsqu'elles sont prises en charge et accompagnées de manière adéquate", écrivent-ils. "Pour autant, il convient de rappeler que le cadre législatif actuel n'apporte pas de réponses à toutes les situations de fin de vie, en particulier lorsque le pronostic vital n'est pas engagé à court terme." Ils jugent "crucial" que le Parlement "se positionne prochainement sur cette question".

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