Fin de vie : que signifie un "pronostic vital engagé à court ou à moyen terme", évoqué par Emmanuel Macron ?
Un premier texte, après des mois d'attente. Dimanche 10 mars, Emmanuel Macron a enfin dévoilé les grandes lignes d'un projet de loi sur la fin de vie, après plus d'un an de reports successifs et deux remaniements ministériels. Dans un entretien accordé aux quotidiens La Croix et Libération, le chef de l'Etat s'est ainsi dit favorable à une "aide à mourir" pour les personnes majeures, "capables d’un discernement plein et entier" et ayant "une maladie incurable et un pronostic vital engagé à court ou à moyen terme".
Ces notions de court et de moyen terme ne sont pas clairement définies par la science. En revanche, la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités a donné quelques précisions lundi soir sur France 2. Pour ce qui est du court terme, "on parle de quelques jours ou quelques mois", a détaillé Catherine Vautrin. Quant au moyen terme, elle l'estime entre "six et douze mois", invoquant "la lecture de la Haute Autorité de santé". Mais l'autorité sanitaire donne une définition différente du "court terme", déjà mentionné dans la loi Claeys-Leonetti de 2016. Se basant sur la définition établie par la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), elle limite cette temporalité à "quelques heures ou quelques jours".
Une définition imprécise
Cette définition est loin de faire l'unanimité dans le milieu médical, divisé autour de la question de la fin de vie. Tout d'abord, parce qu'elle reste floue aux yeux des soignants. "Que signifient quelques jours ? Cela veut dire deux, trois, quinze jours ? Est-ce que l'estimation sera la même pour un proche, un soignant ou un juriste ? S'il y a un procès, comment définir ce court ou moyen terme ?", demande ainsi Jean Daquin, médecin et délégué national chargé de la commission soignants au sein de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), favorable à ce que la loi aille plus loin que le projet dévoilé par le président.
"L'expression de pronostic vital engagé à court terme nous met déjà en difficulté pour les sédations profondes et continues", rendues possibles dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti, pointe Ségolène Perruchio, cheffe de service en soins palliatifs et vice-présidente de la Sfap, opposée au projet de loi.
Un pronostic difficile à évaluer
Au-delà du flou induit par cette temporalité, la praticienne explique qu'il est impossible pour un médecin de calculer avec précision l'espérance de vie d'un patient. "On arrive à établir des pronostics quand il s'agit de quelques heures, expose Ségolène Perruchio. En revanche, cela devient beaucoup plus compliqué quand il s'agit de quelques jours." Et d'ajouter : "Je suis bien incapable d'établir un pronostic pour quelques mois."
En effet, quand un médecin annonce à une personne qu'elle est atteinte d'une maladie, il peut lui donner une estimation du temps qu'il lui reste à vivre. Mais cela reste un avis basé sur des statistiques. "Les patients en face de nous sont des individus, ce ne sont pas des moyennes et des écarts-types", souligne Ségolène Perruchio.
Dans les cas de cancer, les pronostics vitaux se calculent en mois plutôt qu'en jours. Sur un laps de temps aussi long, certains soignants craignent que le malade ne change d'avis, voire qu'il décide de mourir alors que son état aurait pu s'améliorer. "On voit parfois des patients à qui on ne donnait pas beaucoup de temps à vivre qui se stabilisent. L'accompagnement humain joue beaucoup", observe Stéphanie Träger, la secrétaire adjointe de l'Association francophone des soins oncologiques de support (Afsos).
"On se trompe très régulièrement sur une estimation potentielle d'espérance de vie."
Stéphanie Träger, oncologue et médecin en soins palliatifs à Parisà franceinfo
"En six mois, un patient peut passer par des complications qui vont réduire ses quelques mois d'espérance de vie à quelques heures, confirme Sophie Moulias, de la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG). Mais il peut aussi avoir une rémission qui lui fera gagner plusieurs années."
Une loi qui risquerait d'être inapplicable
D'un point de vue juridique, certains redoutent que ces notions de court et moyen terme rendent cette nouvelle loi inapplicable. Pour la juriste Martine Lombard, professeure émérite de droit public à l’université Paris II-Panthéon-Assas et favorable à une évolution législative sur le sujet, "cette notion de pronostic vital engagé à court terme a déjà rendu la loi Claeys-Leonetti très restreinte. Si on conserve ces notions dans le texte de loi, on risque d'être face au même processus."
Une crainte partagée par François Blot, médecin réanimateur et président du comité d'éthique à l'Institut Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne), lui aussi en faveur d'une nouvelle loi sur la fin de vie. Selon lui, la présence dans le texte de cette notion floue de court ou moyen terme donnerait trop de pouvoir au corps médical, qui pourrait fonder un refus d'aide à mourir sur cet argument, au détriment des droits du patient.
Tous deux préconisent un texte qui ne ferait mention d'aucune temporalité, comme l'ont déjà fait différents pays européens. Les Pays-Bas et la Belgique se focalisent ainsi sur la "souffrance réfractaire du malade", impossible à soulager. Un tel critère, qui existe aussi dans le projet porté par Emmanuel Macron, est suffisant aux yeux de François Blot, sans référence au pronostic vital. "Emmanuel Macron a eu le mérite de proposer une loi nuancée et acceptable dans un premier temps, estime François Blot. Oui, ce projet de loi est imparfait. Mais à ce moment précis, pour lancer le débat, je ne suis pas sûr qu'on puisse faire mieux." Il espère ainsi que les débats au Parlement permettront de trancher ce point.
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