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ENQUÊTE FRANCEINFO. L'université de Tours a-t-elle "protégé" un étudiant en médecine accusé de violences sexuelles ?

Article rédigé par franceinfo - Margaux Stive
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
L'entrée du site du plat d'étain de l'université de Tours. (MARGAUX STIVE / RADIO FRANCE)

Selon les informations de franceinfo, l'université de Tours a décidé de ne pas engager de procédure disciplinaire contre un étudiant, après le dépôt, début septembre 2020, de cinq plaintes contre lui pour viol et agressions sexuelles. 

Un étudiant en médecine accusé de viol et d’agressions sexuelles a-t-il été "protégé" par l’université de Tours ? Le 15 avril, des collages dans les locaux de la faculté de médecine ont mis en cause la responsabilité de l’université en l'accusant de "protéger les violeurs" et notamment cet étudiant. Selon les informations recueillies par franceinfo, certaines réactions de la direction de l’établissement posent question. Les ministères de la Santé et de l'Enseignement supérieur ont saisi l'Inspection générale de l'Éducation, du Sport et de la Recherche pour qu'elle enquête.

L'un des collages affichés sur la faculté de médecine de Tours, dans la nuit du 14 au 15 avril et postés par le collectif Actions féministes Tours. CAPTURE D'ECRAN INSTAGRAM (CAPTURE D'ECRAN INSTAGRAM)

Les faits s’étalent de 2013 à 2020

Tout commence en septembre 2020. Au début du mois, le 8 septembre, une étudiante de la faculté de médecine de Tours se confie à la commission d’écoute de l’établissement. Elle affirme avoir été victime d’agression sexuelle de la part d’un étudiant de 4e année que nous appellerons Benoît*. La jeune femme annonce son intention de porter plainte.

En réalité elle n’est pas la seule : quatre autres femmes déposent plainte contre Benoît. L’une pour viol, les autres pour agressions sexuelles. Des faits qui s’étalent de 2013 à 2020, soupçonnés d’avoir été commis notamment dans des soirées privées. Trois des plaignantes sont des étudiantes en médecine, la quatrième est une jeune femme rencontrée lors d’une soirée. La dernière était au lycée avec Benoît et n’avait que 15 ans au moment des faits. La plupart des jeunes femmes racontent avoir été agressées alors qu’elles étaient endormies. Selon l’une d’entre elles, Benoît a tenté de la pénétrer pendant son sommeil, une autre raconte avoir été réveillée par ses mains sur sa poitrine et dans sa culotte.

Après cette première entrevue, début septembre, la responsable de la commission d’écoute prévient la police et alerte selon nos informations, la responsable administrative de la faculté de médecine par mail et par téléphone. Dès ce moment-là, elle met en garde ses interlocuteurs sur "les dangers" que pourrait représenter cet élève lors des stages qu'il effectue dans le cadre de ses études, et notamment lors de ses gardes en gynécologie. Elle dit aussi lancer une procédure interne et indépendante.

Un dossier qualifié de "délicat"

Très vite, les principaux responsables de la fac sont prévenus. Notamment le président de l’université. Selon le Code de l’éducation, lui seul a un pouvoir de "police" au sein de l’établissement. En clair lui seul peut décider de saisir une commission disciplinaire et de suspendre ou de renvoyer l’étudiant. Mais à cette époque, le président, Philippe Vendrix, préfère attendre d’en savoir plus. En revanche, le doyen de la faculté de médecine, Patrice Diot, décide de prendre les choses en main. Le 10 septembre, une réunion est organisée avec plusieurs représentants de la direction de la faculté et de l’hôpital où l’étudiant est en stage à cette époque.

Selon une source présente à cette réunion et dont franceinfo a pu consulter le récit, le doyen de la faculté évoque alors "la délicatesse du dossier" en raison de la famille de l’élève mis en cause : ses parents sont en effet des médecins reconnus et réputés à Tours, que le doyen a lui-même rencontrés sur les bancs de la fac. Selon cette même source, le doyen indique alors qu’il va recevoir les plaignantes, ainsi que l’étudiant mis en cause et sa famille. Selon nos informations au moins deux personnes présentes à la réunion indiquent alors au doyen que cette initiative est "insuffisante" et surtout qu’elle ne s’inscrit pas dans le cadre de la procédure prévue dans ce genre de situation.

Le 14 septembre, le doyen de la faculté de médecine reçoit malgré tout les plaignantes ainsi que l’étudiant mis en cause et sa famille. Contacté par franceinfo, le doyen affirme de pas se souvenir quel terme il a employé pendant la réunion du 10 septembre mais il confirme ces entrevues et affirme avoir dès ce moment-là interdit à l’étudiant toute présence sur le campus ainsi que sur son lieu de stage. Une décision qui n’a rien d’officiel et qui ne relève pas des prérogatives du doyen. Il n’existe d’ailleurs, reconnaît lui-même le doyen, "aucune trace écrite" de cette interdiction. Lui assure que la mesure a été suivie par l’étudiant, mais au moins deux témoins affirment avoir croisé à plusieurs reprises Benoît sur le lieu du stage entre la mi-septembre et son placement en garde à vue, puis en détention provisoire le 30 septembre 2020.

Aucune procédure disciplinaire

Deux mois plus tard, Benoît est remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire. Mais là encore, aucune procédure disciplinaire n'est engagée par l’université de Tours. Pourtant, sur le site du ministère de l’Éducation supérieure et de la recherche, il est spécifié que "l’atteinte à l’ordre et au bon fonctionnement de l’établissement permet de sanctionner des faits de toute nature commis à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement dès lors qu’il existe un lien avec l’établissement".

Pourquoi alors l’université n’a-t-elle jamais ouvert de procédure disciplinaire à l’encontre de Benoît ? Sur ce point, les différents responsables de Tours se renvoient la balle. À l’époque des faits, le président estime qu’il n’a pas assez d’éléments pour se prononcer. Et en novembre 2020, le nouveau président, Arnaud Giacometti assure qu’il n’est pas mis au courant de cette affaire. Interrogé par franceinfo, il affirme avoir eu connaissance de cette affaire seulement il y a quelques jours, après les collages dans la fac en avril 2022. Pourtant, selon une source interne à l’université, tous les éléments relatifs à cette affaire ont été transmis au moment du changement de direction. Résultat : l’étudiant n’a jamais été sanctionné par l’université, ce qui lui a permis quelques mois plus tard de poursuivre ses études à Limoges.

Un changement d'université

Après sa sortie de détention provisoire, la justice autorise en effet Benoît à continuer sa scolarité. Il a en revanche interdiction de séjourner en Indre-et-Loire. Il commence donc à chercher une nouvelle faculté où poursuivre ses études. Plusieurs universités, dont celle de Bordeaux, refusent sa candidature. Mais il est finalement accepté à la faculté de Limoges. Un transfert facilité, selon le collectif féministe à l’origine des collages, par le doyen de l’université de Tours. Le collectif évoque notamment une lettre de recommandation envoyée par Patrice Diot. Le doyen lui, conteste fermement être intervenu pour faciliter le transfert de Benoît. Il assure avoir même appelé le doyen de l’université de Limoges pour le mettre au courant des procédures judiciaires en cours contre l’étudiant. Il dément également avoir écrit une lettre de recommandation à Benoît.

Du côté de la faculté de Limoges, la présidente de l’université confirme qu’un échange téléphonique a bien eu lieu entre les deux doyens mais dément avoir reçu une lettre de recommandation de la part de l’université de Tours. Selon elle, le doyen de la faculté de médecine de Limoges, ne "s’est pas estimé en capacité de refuser la candidature" de cet étudiant du fait "de la présomption d’innocence", et du contrôle judiciaire qui l’autorisait à poursuivre ses études. Surtout, il n’y avait "aucune sanction disciplinaire" prononcée par la faculté de Tours. Si cela avait été le cas "on ne l’aurait peut-être pas accepté", assure la présidente de l’université.

Un stage en gynécologie qui "bouleverse" les plaignantes

Juste après son arrivée à Limoges, Benoît commence alors un stage en gynécologie. Une affectation qui a "bouleversé" les femmes à l’origine des plaintes. Selon leur avocat Me Marc Morin, "c’est comme si l’on autorisait un individu soupçonné d’actes pédophiles à travailler dans une garderie". La présidente de l’université de Limoges conteste pourtant tout problème avec cette affectation. Selon elle, "un algorithme" a décidé seul de ce stage "obligatoire", "sans que l’étudiant en ait fait le vœu". Il fait par ailleurs l’objet de mesures de surveillances à Limoges : "Il lui est interdit de rester seul avec une étudiante ou une patiente", affirme la présidente de l’université de Limoges.

Des précautions accueillies avec scepticisme du côté des étudiants. Comment en effet s’assurer de la mise en place de cette mesure alors que la plupart des hôpitaux sont en sous-effectifs constants ? Des représentants étudiants doivent être reçus bientôt, sur ce point, par la présidence de l’Université de Limoges. De son côté les ministères de l’Enseignement supérieur et celui de la Santé ont diligenté une inspection générale pour faire la lumière sur la façon dont cette affaire a été gérée au niveau universitaire. Le doyen de la faculté de Tours a quant à lui déposé plainte ce mardi pour diffamation, intrusion, et dégradations à l’encontre du collectif à l’initiative des collages.

*Le prénom a été modifié

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