Inceste : seules 8% des victimes ont été crues et protégées lorsqu'elles ont révélé les faits, révèle un rapport de la Ciivise
La très grande majorité n'a pas entendu ces mots : "Je te crois, je te protège." Les personnes victimes de violences sexuelles dans leur enfance n'ont bénéficié d'un "soutien social positif" lors de la révélation des faits que dans "8%" des cas, révèle un rapport de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), publié jeudi 21 septembre. Ce document fait la synthèse de près de 27 000 témoignages recueillis dans le cadre de l'appel à témoignages de la Ciivise lancé il y a trois ans. Le constat est sans appel : "L'analyse des témoignages confirme l'importance de la réponse de la personne à qui l'enfant se confie. Malheureusement, elle met en évidence que, le plus souvent, cette réponse n'est pas protectrice", pointent les auteurs.
Pendant trois ans, des victimes et proches de victimes ont pris la parole dans 24 réunions publiques organisées dans toute la France. Beaucoup d'autres ont répondu par écrit ou par téléphone. "Ce que ces témoins nous montrent de façon limpide, c'est que la violence sexuelle n'est jamais un face-à-face entre un agresseur et une victime. Il y a toujours un tiers. Qu'il s'agisse d'une personne proche de l'enfant, d'une institution ou de la société tout entière", analyse la Ciivise.
"L'importance du positionnement du tiers dit la dimension politique des violences sexuelles faites aux enfants. Celles-ci ne sont pas d'abord une affaire privée, elles sont un problème d'ordre public et de santé publique."
La Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfantsdans son rapport
Croire l'enfant lorsqu'il révèle des violences sexuelles subies est une chose, le protéger en est une autre, souligne la Ciivise. Si sept confidents sur dix croient l'enfant, près d'une victime sur deux "n'est pas mis[e] en sécurité et ne bénéficie pas de soins", évalue le rapport. "Dans près de 50% des témoignages, le confident ne sécurise pas l'enfant : il lui demande de ne pas en parler (27%) et même rejette la faute sur lui (22%)." Selon la Ciivise, c'est particulièrement le cas pour l'inceste : "Dans près d'un cas sur deux, les viols et agressions sexuelles sont commis en présence ou au su des autres membres de la famille."
Parfois, l'incrédulité de l'entourage est aussi "une manière de se protéger". "Je suis mère de trois enfants, dont une petite fille qui m'a révélé être incestée par son père. Je ne l'ai pas crue sur le moment car c'était trop violent pour moi", a ainsi témoigné une femme auprès de la Ciivise. Lorsque le confident rejette la faute sur la victime, celle-ci peut développer des comportements d'autodestruction : 39% ont des addictions (drogue, médicaments, alcool, etc.), contre une personne sur quatre lorsque la victime a été protégée, constate la Ciivise.
"Un déni ancestral"
Les mères sont les premières confidentes dans ces situations. Elles-mêmes ne sont pas suffisamment protégées, pointe la commission indépendante. Lorsqu'elles se tournent vers des professionnels de la petite enfance ou de la justice, elles sont souvent "accusées de manipuler leur enfant et les institutions". Et perdent parfois la garde, voire sont poursuivies si elles refusent de présenter leur enfant à l'ex-conjoint accusé de violences incestueuses. C'est pourquoi ces révélations donnent lieu à peu de dépôts de plainte. "Plus de six confidents sur dix (62%) font cesser les violences mais ne déposent pas plainte", relève le rapport.
Se confier directement à des professionnels n'est pas gage d'une protection renforcée. "Près de six sur dix n'ont pas protégé l'enfant à la suite de la révélation des violences (58%)", peut-on lire dans le document. En revanche, ceux qui agissent sont plus enclins à porter plainte. C'est pourquoi, selon la commission, il est essentiel de leur fournir des outils comme le livret de formation "Mélissa et les autres", publié par la Ciivise, et de "garantir une doctrine claire et nationale pour renforcer le niveau de protection de tous les enfants".
La commission, qui rappelle le "coût" du "déni" des violences sexuelles faites aux enfants, "9,7 milliards d'euros", s'inquiète de sa propre disparition après la remise de son rapport final, prévue le 20 novembre. "Qui peut encore croire que deux années, trois années, auront suffi à sortir la société de ce déni ancestral ?" s'interroge la Ciivise, qui a pu apporter depuis 2021 un espace d'écoute et de "soutien social inconditionnel" aux victimes. Dans une tribune publiée ce mois-ci, une soixantaine de personnalités ont réclamé son maintien, parmi lesquelles Camille Kouchner, Emmanuelle Béart ou Vanessa Springora. "La fermer, c'est dire aux victimes : 'On vous a assez entendues'", écrivent-elles.
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