Violences sexistes et sexuelles : il existe un "nombre conséquent" de victimes au sein de l'institution judiciaire, révèle une note du Syndicat de la magistrature
"Des baisers forcés au tribunal", "un maître de stage touchant la cuisse d'une auditrice", "une personne en coinçant une autre contre un mur dans un couloir, ou encore des caresses non consenties sur les fesses..." Dans une note publiée jeudi 5 décembre, le Syndicat de la magistrature (SM) révèle "un nombre conséquent" de violences sexistes et sexuelles au sein de l'institution judiciaire, "alors qu'elle a vocation à juger les crimes et les délits sexuels". Les témoignages recueillis sont issus de réponses à un questionnaire, que le syndicat, classé à gauche, a adressé aux quelque 9 000 magistrats de France, le 17 janvier, puis le 4 mars. Le SM a exploité 525 réponses complètes, sur les 1 000 reçues.
Sur ces 525 personnes, 48 se déclarent victimes de violences sexistes et sexuelles (VSS), soit 9,14%, et 78 se disent témoins (14,8%) de tels faits. "Au total, 63 séries de faits ont été dénoncées par des personnes se déclarant victimes, 96 par des personnes se déclarant témoins", poursuit la note du SM. Neuf faits sont "qualifiés de viol ou agressions sexuelles par des personnes se déclarant victimes", douze le sont "par des personnes se déclarant témoins", précise l'étude. A chaque fois, pour ces faits, "le lien d'autorité est prédominant", a souligné Nelly Bertrand, secrétaire générale du syndicat, lors d'une conférence de presse.
Des "commentaires" sur "le physique des femmes"
Ce sont les faits de harcèlement "qui ont été dénoncés et décrits en plus grand nombre", révèle le SM, qui cite une dizaine d'exemples dans sa note. "Des demandes d'un magistrat honoraire à des greffières de se déshabiller", "un magistrat qui demande à une collègue la couleur de ses sous-vêtements", "qui lui dit faire des rêves d'elle nue", des "commentaires" d'un magistrat "sur le physique des femmes travaillant avec lui", énumère le syndicat. En outre, une "ambiance sexiste, homophobe et transphobe se dégage" au travers des comportements dénoncés, a relevé Nelly Bertrand jeudi. Autant de remarques qui peuvent "avoir des répercussions importantes", y compris lors des audiences.
Au total, 224 magistrats, soit 42,6% des répondants, se sont déclarés "témoins et/ou victimes, dans l'institution judiciaire, de propos ou comportements sexistes ou discriminatoires liés à l'orientation sexuelle". Des chiffres que le syndicat illustre à nouveau avec quelques phrases recueillies dans les questionnaires reçus, comme celle-ci : "Elle est gouine, mais elle est compétente quand même."
Alors que "la profession est féminisée à 75%" aujourd'hui, selon Nelly Bertrand, l'étude montre "une surproportion de femmes parmi les victimes de VSS ou désignées comme telles par les témoins et, d'autre part, une surproportion d'hommes désignés comme auteurs de VSS par les victimes et les témoins". Sur les 63 faits directement relatés par les victimes déclarées, 52 concernent des femmes victimes et sur les 36 auteurs désignés, 33 sont des hommes, affirme dans cette étude le SM, qui tient à rappeler que parmi les 525 magistrats qui lui ont répondu, "24,19% se déclarent de sexe masculin et 73,9%, de sexe féminin".
Des faits souvent "banalisés"
Le Syndicat de la magistrature alerte aussi sur "les carences dans la prise en charge des signalements", dont le nombre reste "assez faible". Dans la moitié des cas, "des suites ont été données", mais dans l'autre, "aucune suite" n'existe, est-il mentionné dans la note. "Certaines victimes décrivent des collègues qui banalisent les faits, d'où la nécessité de mettre en place des process très clairs", a exposé Nelly Bertrand, mettant également en avant "la honte, la peur ne pas être cru". "Le but de cette note, c'est une prise de conscience générale", a-t-elle insisté.
Ainsi, le SM formule plusieurs propositions pour améliorer la situation. Des "pistes" sont développées dans la note, notamment pour "améliorer la formation" sur ces questions, en particulier pour les chefs de cours et de juridictions, ou encore pour "élaborer une procédure interne de signalement". Le syndicat déplore que la ligne d'écoute Allodiscrim, destinée aux agents du ministère de la Justice, soit encore trop méconnue, et souhaite mener la "réflexion sur les alternatives" avec la direction des services judiciaires et en lien avec le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), l'instance compétente pour sanctionner des magistrats.
Le Conseil supérieur de la magistrature de plus en plus saisi
Sollicité par franceinfo, le CSM a assuré, jeudi en fin de journée, prendre "ce sujet très au sérieux" : "On porte une attention particulière à cette problématique en général, et donc à cette note." L'organe constitutionnel met en avant les 63% de femmes nommées à la tête des juridictions au cours de l'année 2024, une proportion "importante". Le nombre de saisines du CSM "sur ce type de faits" a connu une "hausse significative" entre 2021 et 2024, rappelle-t-il, en citant l'exemple d'un procureur mis en retrait de ses fonctions en mars, à la suite de "propos à connotation sexuelle outrageants ou dégradants", à l'égard notamment de collègues magistrates.
De son côté, le ministère de la Justice souligne auprès de franceinfo qu'il considère "comme prioritaires" "la lutte contre les VSS et le renforcement de la protection des personnels victimes". Il met en avant l'accord du 25 juin 2024 relatif à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes au ministère de la Justice, qui comporte "un axe entièrement dédié aux violences sexuelles et sexistes" et a été "signé à l'unanimité par les organisations syndicales". Enfin, il mentionne l'existence, outre Allodiscrim, d'un numéro vert au sein du ministère et la création d'une cellule d'écoute et de signalement des VSS à l'Ecole nationale de la magistrature en mars.
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