Allocation d'autonomie : cinq questions sur le refus des départements de gauche d'appliquer le durcissement d'accès à cette aide pour les étrangers
Le projet de loi immigration, adopté par le Parlement, fait face à la fronde d'une partie des élus locaux. Les 32 départements dirigés par des exécutifs de gauche (Parti socialiste, Parti radical de gauche, Les Ecologistes-EELV et divers gauche) ont annoncé, mercredi 20 décembre, leur refus de durcir les conditions de versement de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) aux étrangers, comme le prévoit le texte.
Une annonce critiquée par le gouvernement et la droite. "La loi s'impose à tous", a tempêté jeudi matin le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, sur Cnews. "La décision des départements de gauche est une déclaration de sédition" a quant à lui fustigé Eric Ciotti, patron du parti Les Républicains, sur France Inter. Franceinfo fait le point sur cette décision.
1 Qu'est-ce que l'allocation personnalisée d'autonomie ?
Cette allocation s'adresse à des personnes d'au moins 60 ans en situation de perte d'autonomie qui ont par exemple besoin d'aide pour accomplir les tâches de la vie courante ou dont l'état de santé nécessite une surveillance constante, résume le site service-public. Cette aide, versée par les départements, permet de payer tout ou partie des dépenses nécessaires pour assurer le maintien à domicile (APA à domicile), ou à régler le tarif dépendance pour les personnes hébergées dans un établissement médico-social, comme un Ehpad (APA en établissement). Son montant dépend du degré d'autonomie du bénéficiaire.
L'APA à domicile peut atteindre jusqu'à 1 914,04 euros par mois pour les personnes souffrant de la plus forte perte d'autonomie. En 2021, les versements de cette allocation ont représenté un montant de 6,38 milliards d'euros, selon les chiffres communiqués à l'AFP par l'association Départements de France.
2 Que prévoit la loi immigration pour cette allocation ?
Le texte adopté mardi soir au Parlement durcit les conditions d'accès aux prestations sociales pour les étrangers non européens en situation régulière sur le territoire. L'article 19 (en PDF) impose cinq ans de résidence – contre six mois à l'heure actuelle – ou 30 mois d'activité professionnelle pour être éligible à ces aides. Cette mesure concerne les allocations familiales, mais aussi l'APA.
3 Pourquoi des départements s'opposent-ils à cette mesure ?
Dans un communiqué commun, les 32 départements dirigés par la gauche qualifient le texte d'"atteinte grave aux droits fondamentaux des personnes de nationalité étrangère". "Nous, présidentes et présidents de départements de gauche, refusons l'application du volet concernant l'allocation personnalisée d'autonomie de cette loi inspirée par l'extrême droite, portée par un exécutif qui prétendait incarner la modération et qui n'est désormais plus que l'illustration de la compromission", fustigent-ils.
Ils disent vouloir "continuer à lutter contre le principe de 'préférence nationale' par la défense d'aides sociales qui sont et doivent demeurer universelles". Sont notamment concernés les Landes, la Dordogne, le Gard, la Gironde, le Lot, la Seine-Saint-Denis ou encore Paris, qui est aussi un département.
"Ce n'est pas possible pour nous, si un allocataire est là depuis moins de cinq ans, qu'on n'aille pas lui porter secours avec son âge avancé", a par exemple fait valoir auprès de franceinfo le président du département du Lot, Serge Rigal, apparenté socialiste. "Tous les habitants de Seine-Saint-Denis méritent la solidarité et l'humanité. D'où qu'ils viennent", a de son côté défendu le président du département francilien, Stéphane Troussel, sur X. "La Ville de Paris ne pratiquera pas la préférence nationale pour nos aînés en ce qui concerne l'allocation personnalisée d'autonomie", a pour sa part annoncé Anne Hidalgo auprès de l'AFP.
4 Les élus locaux ont-ils le droit de refuser d'appliquer la loi ?
Les collectivités territoriales sont tenues de "respecter les lois et les décrets", rappelle Géraldine Chavrier, professeure de droit public à l'université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, interrogée par BFMTV. "On peut penser que le gouvernement s'en remettra au Conseil constitutionnel pour nettoyer ce qui n'est pas conforme à la Constitution. Mais s'il valide cette disposition, la loi deviendra obligatoire et les départements seront obligés de l'appliquer", confirme à l'AFP Michel Verpeaux, également professeur émérite de droit public à l'université Paris-1.
Selon les deux spécialistes, le refus des départements d'appliquer les dispositions de la loi sur l'APA pourrait conduire à un "bras de fer" juridique. Ces derniers "s'exposent à des annulations des tribunaux administratifs que pourront saisir les préfets s'ils ne respectent pas la loi", avance Michel Verpeaux. "Quand, par exemple, un maire refuse d'organiser une élection, le préfet peut le faire à sa place, c'est assez simple. Mais dans le cas de l'allocation personnalisée d'autonomie, c'est plus compliqué. Le préfet pourra déférer l'acte au tribunal administratif, mais cela prendra du temps", nuance toutefois Géraldine Chavrier.
5 Quelles solutions les départements dirigés par la gauche proposent-ils pour contourner cette mesure ?
S'ils ne peuvent donc pas verser l'APA à des étrangers qui n'y sont plus éligibles, plusieurs départements de gauche affirment que, pour rester dans la légalité et compenser le non-versement de cette aide, ils peuvent mettre en place sur leur territoire une nouvelle prestation. "J'ai la possibilité, selon la loi, de mettre en place des prestations dites 'volontaristes', selon les critères que l'assemblée délibérante fixera", a assuré jeudi matin sur France Bleu Paris le président du département de Seine-Saint-Denis. L'élu met en avant l'article 72-2 de la Constitution, qui prévoit que "les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi". Cette aide supplémentaire du département viendrait "compenser la perte" de l'APA pour les étrangers qui ne peuvent plus en bénéficier, explique Stéphane Troussel.
Le président du Lot souhaite également instaurer "une allocation universelle, au-delà de l'APA", qui sera étudiée lors de la prochaine séance du conseil départemental. Serge Rigal ne sait toutefois pas combien d'allocataires sur son territoire seraient concernés par ce durcissement des conditions de versement de l'APA. "Ce n'est pas le nombre d'allocataires qui compte. Si cela concerne une personne, il faut la considérer", juge-t-il auprès de franceinfo.
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