Projet de loi immigration : ce que contient le texte négocié entre le camp présidentiel et LR, largement durci par rapport à la version initiale
Le Parlement a adopté le projet de loi immigration, mardi 19 décembre tard dans la soirée, dans une version validée par la commission mixte paritaire (CMP) après un accord scellé entre le camp présidentiel et la droite.
Après le vote de la motion de rejet qui avait interrompu les débats à l'Assemblée nationale le 11 décembre, le gouvernement avait fait le choix de réunir une CMP et d'engager des négociations avec LR. Elles ont accouché d'un texte considérablement durci, proche de celui adopté en première lecture par le Sénat mi-novembre. Franceinfo vous récapitule les principales mesures de compromis entre LR et le camp présidentiel.
Une énième réécriture sur les métiers en tension
C'était la ligne rouge de la droite depuis le début des discussions sur ce texte, il y a plus d'un an. Les Républicains s'opposaient frontalement à l'article 3 du texte initial, qui prévoyait de délivrer de "plein droit" une carte de séjour , d'une validité d'un an, pour les travailleurs sans-papiers dans des secteurs dits "en tension" comme le BTP, l'industrie, les professions de santé ou l'hôtellerie-restauration, en pénurie de main-d'œuvre. Hors de question pour les LR, qui ont dénoncé une mesure qui entraînerait, selon eux, "des régularisations massives" et "un appel d'air". Mi-novembre, la droite, majoritaire au Sénat, avait supprimé cet article pour le remplacer par un article 4 bis bien plus contraignant pour les demandeurs. Il prévoyait dans ces secteurs d'activité un titre de séjour accordé par les préfets "au cas par cas" et "à titre exceptionnel", dans une "procédure strictement encadrée" et assortie de multiples conditions, dont celle du respect des " valeurs de la République".
En commission des lois à l'Assemblée, les députés avaient à leur tour modifié cet article , dans un sens cette fois plus favorable aux étrangers, permettant toutefois aux préfets de s'opposer à la délivrance du titre de séjour dans certains cas (menace à l'ordre public, non-respect des valeurs de la République, polygamie...).
La nouvelle version adoptée par la commission mixte paritaire, elle, se rapproche de la version du Sénat, puisque le préfet aura toute latitude pour accorder ou non les titres de séjour. Par ailleurs, les étrangers qui auraient fait l'objet d'une condamnation inscrite dans leur casier judiciaire ne pourront prétendre à une régularisation. "Cet article a été présenté comme un durcissement de la circulaire Valls par Bruno Retailleau", le patron des sénateurs LR, rapporte un participant de la CMP à franceinfo. Néanmoins, la copie de la CMP redonne au demandeur le pouvoir de demander sa régularisation.
Un délai allongé pour toucher les prestations sociales
C'était un point extrêmement crispant pour la majorité présidentielle, notamment l'aile gauche de Renaissance et du MoDem. Les sénateurs avaient, là encore, ajouté en première lecture un article au projet de loi qui allongeait à cinq ans de résidence – contre six mois à l'heure actuelle – le délai pour les étrangers en situation régulière pour bénéficier des prestations sociales, comme l'aide personnalisée au logement (APL) ou les allocations familiales. Une mesure qui ne concerne que les étrangers hors de l'Espace économique européen.
Lundi soir, c'est précisément sur ce sujet que la CMP s'est grippée : selon LR, l'allongement des délais pour les aides au logement faisait bien partie de l'accord négocié à Matignon avec Elisabeth Borne, tandis que la majorité les excluait. En CMP, la droite et la majorité sont finalement parvenus à un compromis mardi.
Selon l'accord voté, un étranger en situation régulière devra avoir cinq ans de résidence ou 30 mois d'activité professionnelle pour toucher les prestations familiales ou d'autres allocations. Pour les APL, il faudra soit disposer d'un visa étudiant, soit de trois mois d'activité professionnelle ou de cinq ans de résidence. Il n'y a, par ailleurs, pas de changement des règles existantes concernant l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et l'allocation forfaitaire versée en cas de décès d'un enfant.
Les quotas pour l'immigration et le délit de séjour irrégulier rétablis
C'était un ajout des sénateurs, qui ne figurait pas dans le texte initial. L'article de la chambre haute prévoyait que le Parlement fixe chaque année des quotas d'immigration. En commission des lois à l'Assemblée, les députés avaient transformé cet article en une obligation pour le gouvernement de présenter et justifier chaque année des "objectifs chiffrés " pour les trois ans à venir. Cette fois, avec le texte de la CMP, les parlementaires ont rétabli le principe d'un débat annuel obligatoire avec des objectifs chiffrés.
Les sénateurs avaient par ailleurs introduit une autre mesure : le rétablissement du délit de séjour irrégulier, mais uniquement assorti d'une amende (3 750 euros) avec une possibilité de placement en garde à vue. Par la suite, la commission des lois de l'Assemblée l'avait supprimée bien que le ministre de l'Intérieur s'y soit montré favorable. Avec la version de la CMP, la mesure sénatoriale est rétablie.
Le durcissement des conditions de travail pour les étrangers et d'études pour les étudiants
Les Républicains ont obtenu gain de cause sur un autre point : le titre d'étudiant sera désormais conditionné à une caution et au "caractère sérieux des études". Le président (Renaissance) de la commission des lois, Sacha Houlié, assurait pourtant, fin novembre sur franceinfo, que la mise en place d'une caution "viendrait détruire l'attractivité des universités françaises".
Le gouvernement a par ailleurs accepté de supprimer l'article 4 sur le droit immédiat au travail de certains demandeurs d'asile (contre six mois d'attente actuellement), dont le Sénat ne voulait pas.
L'aide médicale d'Etat fera l'objet d'une réforme à part
C'est un autre point qui a cristallisé les tensions entre la droite et le camp présidentiel. Le texte des sénateurs avait introduit une disposition, prévoyant de transformer l'aide médicale d'Etat (AME), qui permet aux étrangers en situation irrégulière d'avoir accès à une offre de soins, en aide médicale d'urgence (AMU), bien plus restrictive. Plusieurs ministres, mais aussi parlementaires de la majorité, à l'unisson du monde médical, avaient dès le départ manifesté une très forte opposition à cette mesure. Le ministre de l'Intérieur avait en outre estimé qu'il s'agissait d'un cavalier législatif, c'est-à-dire une mesure sans rapport direct avec le texte et pouvant à ce titre être censurée par le Conseil constitutionnel.
Finalement, la droite et le gouvernement sont tombés d'accord pour sortir cette disposition du projet de loi immigration, à la condition que l'exécutif présente ultérieurement un projet de loi dédié à ce sujet. Gérald Darmanin a promis, dimanche sur BFMTV, un texte sur l'AME en janvier. Elisabeth Borne a réitéré lundi cette promesse de présenter une réforme de l'aide médicale d'Etat début 2024, dans un courrier adressé au président LR du Sénat, Gérard Larcher, et consulté par le service politique de France Télévisions.
La déchéance de nationalité et la fin de l'automaticité du droit du sol
Dans leur version, les sénateurs avaient supprimé l'automaticité du droit du sol. Alors qu'aujourd'hui, les enfants nés sur le territoire français de parents étrangers obtiennent la nationalité de façon automatique à 18 ans, la mesure adoptée prévoyait qu'ils soient obligés de "manifester [leur] volonté" pour obtenir la nationalité française. Pour une grande partie du camp présidentiel, la mesure agissait comme un repoussoir. Pourtant, la CMP a bien voté la nécessité pour un enfant né en France de parents étrangers de manifester sa volonté pour acquérir sa nationalité entre 16 et 18 ans, ainsi que la restriction d'accès au droit du sol pour en exclure les délinquants condamnés à une peine d'au moins six mois de prison.
L'exécutif a également donné son aval pour inscrire une mesure de déchéance de nationalité pour les binationaux auteurs de crimes contre les forces de l'ordre, validée en CMP.
L'interdiction de l'enfermement des mineurs dans des centres de rétention administrative
La droite a, de son côté, donné son accord à l'interdiction de l'enfermement des mineurs dans les centres de rétention administrative (CRA). Cette mesure avait été votée en commission des lois par les députés.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.