: Récit Projet de loi immigration : comment les oppositions, unies autour d'une motion de rejet, ont plongé le gouvernement dans une "crise de pouvoir"
Un camouflet, à deux voix près. Par 270 votes, alors que la majorité se situait à 268 suffrages, les députés ont adopté, lundi 11 décembre, une motion de rejet des écologistes sur le projet de loi immigration, texte majeur du second quinquennat d'Emmanuel Macron. Par conséquent, le texte ne sera pas examiné par les députés et trois options sont désormais sur la table : un retour au Sénat sous sa version adoptée par les sénateurs, un examen par une commission mixte paritaire (CMP) de 14 parlementaires, ou un abandon par le gouvernement, ce qui apparaîtrait comme un renoncement.
Jusqu'au bout, l'incertitude a régné dans un Palais-Bourbon garni comme rarement. C'est dans les rangs de la majorité que les quelques absences se sont fait le plus sentir. Huit députés, exactement, manquaient à l'appel pour permettre au camp présidentiel de faire le plein face à la coalition d'oppositions en désaccord sur le contenu du texte.
"Ça s'annonce serré, c'est certain"
Avant le vote, le camp présidentiel n'anticipait pourtant pas un tel résultat, sans minimiser l'alerte. "Je ne vois pas les oppositions se coaliser de LFI au RN pour empêcher l'examen d'un texte sur l'immigration", confiait Gérald Darmanin, dimanche après-midi, au Parisien. Lundi matin, le patron des députés Renaissance était encore plus affirmatif au micro de franceinfo.
"Il n'y aura pas de majorité pour voter une motion de rejet."
Sylvain Maillard, président du groupe Renaissancesur franceinfo
Mais au fil de la journée, l'inquiétude va crescendo dans les rangs de la majorité. Et si le Rassemblement national et Les Républicains (LR) faisaient finalement l'alliance "de la carpe et du lapin" avec la gauche, comme le décrivait le ministre de l'Intérieur ? "Ça s'annonce serré, c'est certain", avance prudemment un député de la majorité à quelques minutes du vote. "J'espère qu'elle ne va pas être votée, sinon, c’est l'apocalypse", anticipe un conseiller ministériel auprès de France Télévisions. "Chez Franck Riester [au ministère chargé des Relations avec le Parlement], ils sont en détresse intersidérale", glisse une source ministérielle.
Alors pour éviter un désaveu, Gérald Darmanin fait feu de tout bois. Selon les informations de France Télévisions, le directeur de cabinet du ministre passe la matinée et le début d'après-midi à bombarder d'appels et de SMS l'état-major des Républicains, pour s'assurer que la motion tombera à l'eau.
Mais sur les coups de 16h30, le président de LR appelle finalement ses troupes à la voter. "Eric Ciotti n'a pas aimé la réponse de Gérald Darmanin, avec son petit sourire en coin, à la proposition constitutionnelle de LR jeudi, lors de notre niche parlementaire, explique-t-on à la direction du parti. Le coup de grâce a été le fait que Gérald Darmanin déjeune avec Christian Estrosi, vendredi, à Nice et en fasse la publicité sur les réseaux !" Après cette entrevue avec l'ennemi juré d'Eric Ciotti, ce dernier s'est progressivement dirigé vers le vote de la motion de rejet, comme une bonne partie de ses élus.
"On a la possibilité de tuer ce texte : il faut la voter, cette motion !"
Un cadre des Républicainsà France Télévisions
Au Rassemblement national, la position officielle est longtemps restée secrète. "Surprise !" , répond un cadre du parti en milieu de journée, comme pour mettre la pression sur le gouvernement jusqu'au bout. Dans l'hémicycle, le gouvernement tente, lui, de convaincre de l'inutilité de cette motion de rejet. "Ne pas parler d'immigration aujourd'hui, refuser le débat, c'est refuser ce que demandent les Français", lance Gérald Darmanin à la tribune de l'Assemblée, avant que chaque groupe parlementaire se positionne.
Deux tiers du groupe LR vote la motion de rejet
Vote "pour" la motion de toute la gauche, vote "contre" de toute la majorité… Edwige Diaz (RN) et Olivier Marleix (LR) annoncent à leur tour qu'ils votent pour. Pour l'extrême droite, aucun doute : chacun des 90 députés suivra la consigne. En revanche, une incertitude demeure sur le groupe LR, fortement divisé entre opposants farouches au gouvernement et élus plus enclins à voter avec la majorité selon les sujets. Cette fois-ci, l'aiguille de droite s'oriente vers le vote pour : sur 62 membres, 40 votent pour le rejet, deux contre, 11 s'abstiennent. De peu, la motion est adoptée.
Divisées, les oppositions jubilent d'avoir gagné cette manche face à la majorité. Devant les journalistes, Marine Le Pen se dit "ravie". "La macronie rentre dans une crise de pouvoir extrêmement profonde", claironne la patronne des élus LFI, Mathilde Panot, comme une large partie de son camp.
"Personne ne pourra nous reprocher d’avoir rejeté un texte dont Gérald Darmanin disait lui-même qu’il était le plus raide jamais voté sur le sujet."
Un cadre de gaucheà France Télévisions
Avec l'adoption de cette motion de rejet, le ministre de l'Intérieur se retrouve au cœur des critiques. "Désavoué", il "doit en tirer les conclusions", prévient Olivier Faure, patron des socialistes. Lundi soir, vers 19 heures, le ministre est reçu par Emmanuel Macron à l'Elysée. Il présente sa démission, mais le chef de l'Etat la "refuse", selon l'Elysée. "C'est un échec, bien évidemment. (…) Je suis un homme d'honneur. (…) Le président de la République a tranché", lâche dans la foulée le ministre sur TF1.
Lundi soir, Elisabeth Borne réunit par la suite les ministres concernés par le texte et les présidents de groupes de la majorité. Mais l'onde de choc ne s'arrêtera pas là, parie un conseiller ministériel. Pour l'instant, l'issue du projet de loi immigration reste quant à elle incertaine. "Le président de la République nous a chargés de lui présenter demain une option pour ce texte", assure Gérald Darmanin, lundi soir. Le retour du texte au Sénat ou en commission mixte paritaire promet un nouveau durcissement des mesures qu'il contient, après l'assouplissement en commission des lois à l'Assemblée nationale. "Il faut aller à la CMP directement", estime un ministre important.
"Je suis pour le droit à mourir dans la dignité, donc je pense que le gouvernement gagnerait à abréger ses souffrances en mettant son texte à la poubelle", ironise un sénateur de gauche. Sur ce sujet, au soir de cette défaite pour le gouvernement, la décision viendra du plus haut niveau de l'Etat.
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