Projet de loi immigration : comment les APL ont fait dérailler les discussions entre LR et la majorité lors de la commission mixte paritaire

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel, Margaux Duguet - Service politique de France Télévisions
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Le sénateur et président des Républicains Bruno Retailleau, lors d'un meeting de son parti au Cirque d'hiver à Paris, le 17 juin 2023. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
Les discussions de la CMP doivent reprendre mardi matin. Le camp macroniste et la droite se sont donnés la nuit pour trouver un compromis sur la question de l'ouverture des prestations sociales aux étrangers en situation légale.

La discussion devait pourtant "être pliée", selon un élu Les Républicains (LR). Malgré quatre heures de suspension et une réunion d'urgence à Matignon, les tractations en commission mixte paritaire (CMP) au sujet du projet de loi immigration n'ont pas abouti, lundi 18 décembre. Un nouvel obstacle sur le chemin de ce texte, voté au Sénat, mais rejeté avant son examen à l'Assemblée nationale.

Après ce camouflet pour le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, le gouvernement, au pied du mur, a choisi de convoquer une CMP, la Première ministre Elisabeth Borne négociant directement avec LR pour parvenir à un texte de compromis. Les sept sénateurs et les sept députés ont prévu de se retrouver mardi matin pour aller au terme du processus et tenter d'aplanir les différences entre la majorité et LR. 

Les discussions semblaient pourtant bien engagées. La CMP a voté le principe de quotas d'immigration pluriannuels définis au Parlement et d'un débat annuel sur le sujet, comme le souhaitait LR, ou encore la création d'un délit de séjour irrégulier puni d'une amende. Mais un point de blocage demeure : les aides personnalisées au logement (APL).

Le texte étudié par la CMP, voté par le Sénat, avait introduit une disposition allongeant à cinq ans de résidence, contre six mois actuellement, le délai nécessaire pour les étrangers non européens en situation régulière pour bénéficier de certaines prestations sociales, dont les APL et les allocations familiales.

"On se sent floués par le gouvernement"

Le sujet a longtemps été une ligne rouge pour la majorité, traumatisée par la polémique qui a suivi la réduction de 5 euros des APL lors du premier quinquennat d'Emmanuel Macron. Les deux camps pensaient pourtant avoir trouvé un accord lors de leurs tractations du week-end : un délai de trente mois avant de pouvoir accéder à ces aides pour les étrangers qui travaillent, et de cinq ans pour ceux qui ne travaillent pas. Sauf qu'une fois la commission réunie, les élus LR ont découvert que les APL ne figuraient pas dans le texte de compromis. 

"Contrairement à ce qui nous avait été dit, nous avons découvert que les APL avaient été réintégrées dans la liste des prestations que peuvent percevoir les étrangers", expliquait ainsi le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, sur X (ex-Twitter), quelques minutes après une suspension de séance. "On se sent floués par le gouvernement", glissait un cadre de LR au service politique de France Télévisions dans la foulée.

Chacun a campé sur ses positions, lundi. "Nous ne céderons pas", promettait ainsi à franceinfo un député de la majorité, tandis que le LR Pierre-Henri Dumont affirmait que son camp serait "extrêmement ferme sur le fait que les APL fassent partie du texte final".

"Ça durera autant que ça durera", a prévenu Bruno Retailleau au micro de LCP mardi matin. De quoi faire douter la majorité sur la sincérité de la droite. "Est-ce que les LR ont vraiment envie d'un accord ?", se demandait un conseiller de l'exécutif auprès de franceinfo.

"Un renversement complet de l'universalisme"

La majorité sera-t-elle capable d'avaler "une couleuvre" de plus, comme le dénonçaient plusieurs membres de l'opposition ? "Quand on travaille et qu'on est en situation régulière, on doit pouvoir bénéficier d'un certain nombre de prestations sociales, sinon ce serait un coup de canif à la manière dont on a construit notre système de protection sociale dans notre pays", a ainsi expliqué la députée Renaissance de Paris Astrid Panosyan-Bouvet sur franceinfo dimanche. Côté LR, Annie Genevard, députée du Doubs et membre de la CMP, a jugé mardi matin sur franceinfo qu'il fallait "rendre le modèle social moins attractif".

La question des allocations sociales a fait réagir dans les rangs de l'opposition. La députée écologiste de Paris Sandrine Rousseau a ainsi dénoncé auprès du journal Le Monde "un renversement complet de l'universalisme, de la philosophie du système social français". Le patron des socialistes à l'Assemblée, Boris Vallaud, estime pour sa part que la "majorité a cédé sur toutes les lignes rouges, et a désormais dépassé les lignes bleu marine", en référence à la couleur adoptée par le Rassemblement national.

La droitisation du texte fait aussi des heureux. "On se réjouit que ce texte reprenne un nombre considérable de positions que nous défendons depuis plusieurs années avec Marine Le Pen", s'est ainsi félicitée devant la presse la députée RN Edwige Diaz, membre de la CMP.

Cet état de fait pourrait toutefois coûter des votes au gouvernement. "Si on continue à durcir le texte, notamment avec les APL dans les prestations sociales, une grande partie du groupe Liot pourrait ne pas le voter", a averti le président du groupe Bertrand Plancher, auprès de LCI

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