Ce que l'on sait de l'avion immobilisé quatre jours à l'aéroport de Paris-Vatry en raison de soupçons d'aide à l'immigration illégale
La situation s'est débloquée. L'avion immobilisé depuis jeudi à l'aéroport de Vatry (Marne) a redécollé lundi 25 décembre en début d'après-midi vers Bombay, en Inde, avec 276 passagers indiens à bord sur les 303 initiaux, a annoncé la préfecture de la Marne. Vingt-cinq passagers ont souhaité rester en France pour faire une demande d'asile et deux autres, soupçonnés d'être des passeurs, ont pour leur part été placés sous le statut de témoin assisté et laissés libres. Franceinfo résume ce que l'on sait de l'affaire.
Des vérifications après un "renseignement anonyme"
L'Airbus A340 de la compagnie roumaine Legend Airlines devait effectuer un trajet depuis Fujaïrah, aux Emirats arabes unis, à destination "peut-être intermédiaire" du Nicaragua, a relayé le parquet de Paris. A son bord, 303 passagers de nationalité indienne et un équipage roumain. L'appareil a atterri jeudi vers 15 heures à l'aéroport de Paris-Vatry pour une halte de ravitaillement.
C'est à ce moment-là qu'il a été immobilisé, après que les autorités ont reçu un "renseignement anonyme" pouvant provenir d'une ONG. "Des vérifications d'identité ont été effectuées sur les 303 passagers et sur les personnels navigants", sur fond de soupçons de "traite d'êtres humains", a déclaré le parquet de Paris à France Télévisions.
Des mineurs non accompagnés parmi les passagers
Dans un premier temps, les passagers sont restés dans l'appareil, où ils ont pu se restaurer, selon la préfecture de la Marne. Ils ont ensuite été conduits dans le hall d'accueil de l'aéroport, transformé en zone d'attente pour étrangers par arrêté préfectoral. Ils y ont été pris en charge par une trentaine de bénévoles de la protection civile. "On a apporté des plateaux-repas, de quoi supporter l'attente, de l'eau, du café, du thé. Il y a beaucoup de végétariens. Il y a aussi de nombreux enfants, il a fallu apporter des couches, du lait", a détaillé Patrick Jaloux, président de la protection civile de la Marne, à France 3 Grand Est. Des lits ont été installés sur place, et des bâches dressées devant les baies vitrées du hall d'accueil.
Onze mineurs non accompagnés figuraient parmi les 303 passagers du vol, a fait savoir le parquet, ajoutant qu'ils se sont vus désigner des administrateurs ad hoc. La protection civile précise que l'âge de ces mineurs va "d'un bébé de 21 mois à un adolescent de 17 ans".
Plusieurs autorités ont été saisies pour auditionner et vérifier les conditions et objectifs de transport des passagers : la direction nationale de la police aux frontières, dont l'Oltim (Office de lutte contre le trafic illicite de migrants), la brigade de gendarmerie des transports aériens (BGTA), ainsi que la brigade de recherche de Vitry-le-François (Marne).
La compagnie aérienne nie toute responsabilité
La compagnie Legend Airlines, propriétaire de l'avion, "estime qu'elle n'a rien à se reprocher, n'a commis aucune infraction et se tient à disposition des autorités françaises", a assuré son avocate, Liliana Bakayoko, auprès de l'AFP. L'entreprise compte "se porter partie civile si des poursuites sont initiées par le ministère public, ou porter plainte" dans le cas contraire, a-t-elle ajouté.
"Tous les membres de l'équipage ont été auditionnés et autorisés à repartir librement, et à rentrer chez eux s'ils le souhaitent", a précisé l'avocate à l'AFP samedi matin. "La compagnie coopère avec les autorités françaises dans toute la mesure du possible", a-t-elle affirmé à France Télévisions.
Selon la plateforme Flight Radar, qui enregistre le trafic aérien, l'avion immobilisé effectue régulièrement des trajets entre les Emirats arabes unis et l'Amérique centrale. Depuis fin juin, il a assuré cinq liaisons entre Fujaïrah et Managua, et deux entre Fujaïrah et San Salvador (Salvador), avec escale à l'aéroport de Paris-Vatry. D'après l'AFP, l'avion est totalement blanc et ne porte le nom d'aucune compagnie.
Une information judiciaire ouverte, deux suspects
Deux hommes nés en 2000 et 1984, soupçonnés d'avoir joué un rôle dans ce qui pourrait être une filière d'immigration clandestine, ont été placés en garde à vue vendredi. Le parquet de Paris avait demandé leur placement en détention provisoire, rappelant que la traite d'êtres humains est un crime passible de vingt ans de réclusion criminelle et trois millions d'euros d'amende. Ils ont finalement été laissés libres et placés sous le statut de témoin assisté à l'issue de leur interrogatoire de première comparution devant un magistrat instructeur, a appris France Télévisions de source judiciaire.
Une information judiciaire pour aide à l'entrée et au séjour irrégulier d'étrangers sur le territoire en bande organisée et participation à une association de malfaiteurs a été ouverte par la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco), a appris franceinfo de source judiciaire. La qualification de traite des êtres humains en bande organisée n'a pas été retenue à ce stade.
Le maintien des passagers en zone d'attente jugé illégal
Quatre juges des libertés et de la détention (JLD) ont été mobilisés depuis dimanche matin pour maintenir "si nécessaire" dans la zone d'attente de l'aéroport les passagers du vol. "L'objectif, c'est de se mettre en capacité de voir tout le monde", avait expliqué à l'AFP Annick Browne, procureure de la République de Châlons-en-Champagne. Cette organisation d'envergure à la veille de Noël, qui mobilisait également des avocats, des greffiers et des traducteurs, est rendue indispensable par la loi.
Dans un tel cas, le maintien maximal en zone d'attente par la police aux frontières est de quatre jours. Au-delà, il est nécessaire qu'un JLD prolonge ce délai, de huit jours maximum dans un premier temps puis, à titre exceptionnel, de huit jours supplémentaires. Au cours d'audiences, un JLD a annulé le maintien en zone d'attente de trois des passagers du vol. Il a estimé que leur rétention administrative était illégale. Même si le parquet de Châlons-en-Champagne a fait appel de ces décisions, les autres procédures entamées, qui risquaient de connaître la même issue, ont donc été abandonnées par les autorités.
Un redécollage vers l'Inde avec 27 passagers en moins
La justice a finalement levé dimanche la saisie de cet avion, comme l'a relayé la préfecture de la Marne. "Cette décision permet d'envisager le réacheminement des passagers placés en zone d'attente. Par conséquent, les autorités compétentes de la DGAC [direction générale de l'aviation civile] s'efforcent d'obtenir les autorisations nécessaires au redécollage de l'avion, ce qui devrait intervenir au plus tard lundi matin", avait précisé la préfecture dans un communiqué.
De fait, l'appareil a redécollé lundi en début d'après-midi vers Bombay. En plus des deux hommes placés sous le statut de témoin assisté, vingt-cinq passagers, dont deux mineurs, restent pour le moment en France après avoir formulé une demande d'asile, qui va être analysée à l'aéroport Charles-de-Gaulle, a précisé la préfecture de la Marne.
L'hypothèse d'une route migratoire vers les Etats-Unis
"C'est la première fois, à ma connaissance, qu'un avion entier avec tous ses passagers est immobilisé pour, manifestement, des suspicions de traite des êtres humains", constate Emmanuel Daoud, avocat pénaliste spécialiste du droit international, auprès de France 2. L'hypothèse d'une nouvelle route migratoire, mise en place par des réseaux mafieux, pourrait expliquer l'immobilisation de cet avion à Vatry.
Ce phénomène migratoire a un nom : le "donkeying" (de donkey, "âne" en anglais). "Les Indiens sont de plus en plus nombreux à rejoindre les Etats-Unis illégalement par l'Amérique du Sud. C'est même le quatrième contingent de migrants illégaux vers les Etats-Unis, par l'Amérique centrale précisément", explique Angélique Forget, correspondante de France Télévisions en Inde. Le donkeying, c'est "parce qu’ils font les mules. Ils avancent lentement, mais vont au bout", précise-t-elle.
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