Projet de loi immigration : trois questions sur le durcissement des modalités d'accès aux prestations sociales pour les étrangers

Avec le projet loi immigration, l'accès aux prestations sociales va être durci pour les étrangers. Sauf si ces dispositions sont censurées par le Conseil constitutionnel.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Illustration aide au logement. (RICHARD VILLALON / MAXPPP)

Le projet de loi immigration a été définitivement adopté par le Parlement le 19 décembre après de longs débats mais il doit encore être validé par le Conseil constitutionnel. Les Sages doivent rendre leur décision vers 16h30 jeudi 25 janvier sur ce texte décrié, avec l'espoir à gauche, et jusque dans le camp présidentiel, d'en voir une large partie censurée.

Au sein de ce projet de loi, il y a notamment les prestations sociales pour les étrangers dont les modalités d'accès vont être durcies. Franceinfo répond à trois questions pour vous permettre d'y voir plus clair sur ce sujet sensible du projet de loi.

Quelles sont les prestations sociales qui sont concernées ?

Il y a principalement les prestations familiales qui comprennent notamment les allocations familiales et l'allocation de rentrée scolaire. Il y a également l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), versée par les départements, qui concerne les plus de 60 ans. Et enfin les allocations personnalisées au logement (APL). Le durcissement des modalités d'accès concerne tous les étrangers - en situation régulière - qui ne viennent pas de l'Union européenne.

Toutes ces prestations énumérées, les étrangers pouvaient en bénéficier immédiatement. Avec la loi, ils devront attendre cinq ans ou deux ans et demi s'ils travaillent. Sauf pour les APL, cette allocation sera débloquée au bout de trois mois pour ceux qui travaillent. Une précision importante, cela ne concerne que ceux qui vont arriver en France. Les étrangers qui sont déjà présents dans le pays et qui bénéficient déjà de ces prestations sociales vont les garder.

Combien de personnes sont concernées ?

Le gouvernement, les députés ou les sénateurs qui ont travaillé sur ce texte ne connaissent pas le nombre de personnes concernées par ce durcissement. La Caisse d'allocation familiale (CAF) qui verse ces subventions ne le sait pas non plus car, jusqu'à présent, elle n'avait pas à demander à ses allocataires depuis quand ils sont en France, ou depuis combien de temps ils y travaillent.

Quatre économistes engagés contre cette loi ont cependant fait une estimation. En se fondant sur une enquête de l’Insee, ils estiment que 110 000 personnes seront pénalisées par ces dispositions. Leur analyse est validée par Louis Ragot, économiste à l’université Paris Ouest Nanterre et qui travaille depuis 20 ans sur ces questions : "Ils ont utilisé l'enquête 'Budget des familles' dans laquelle vous avez plus d'informations que celles dont disposent la CAF", explique l'économiste. Le chiffre de 110 000, "c'est un ordre de grandeur, ça vous permet de comprendre que ce ne sera pas quelques centaines de personnes, mais que ce ne sera pas non plus un million de personnes. Peut-être que dans la réalité ce sera 85 000 ou 150 000", poursuit Louis Ragot.

C'est donc l’équivalent de la population d’une ville comme Rouen, environ 2% des étrangers qui sont en France - qui vont perdre (pour certains) - plusieurs centaines d'euros, voire jusqu’à 1 000 euros, pour payer la crèche, leur logement ou les fournitures scolaires. Pour ces personnes, la différence est énorme mais comme l'explique Lionel Ragot, "l'impact sur les finances de la protection sociale va être marginal. Ce n'est pas ça qui va sauver la protection sociale face aux difficultés liées au vieillissement démographie". Si on fait les calculs, il s'agit de 740 millions d'euros d'économies sur 70 milliards d'euros de prestations sociales et familiales versées chaque année par la CAF, soit un peu plus de 1%.

Ce durcissement peut-il être censuré devant le Conseil constitutionnel ?

Comme franceinfo l'expliquait après le vote du projet de loi, les dispositions de durcissement d'accès à ces prestations sociales peuvent être censurées par le Conseil constitutionnel car elles différencient les ressortissants étrangers réguliers et les Français et peuvent induire une rupture du "principe d'égalité" face aux prestations sociales. Ce principe d'égalité a été consacré par le Conseil constitutionnel en 1990.

Mais comme souligne à franceinfo Jean-François Kerléo, professeur de droit public à l'Université d'Aix-Marseille, il y a en France "historiquement, une conception universaliste de l’égalité mais qui connaît une lecture de plus en plus liée à la nationalité et la préférence nationale. La question est alors de savoir si le Conseil constitutionnel protègera cette conception universaliste ou suivra le mouvement actuel".

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