Présidentielle 2022 : le référendum sur l'immigration proposé par Marine Le Pen, Xavier Bertrand ou Michel Barnier serait-il conforme à la Constitution ?
Les propositions relatives à "la priorité nationale", à l'instauration de "quotas" ou à un "bouclier constitutionnel" risquent d'être jugées anticonstitutionnelles et contraires au droit international, européen notamment.
S'ils sont élus à la présidentielle, ils promettent d'organiser "un référendum sur l'immigration". Trois candidats, de droite et d'extrême droite, font aujourd'hui cette promesse de campagne. Au Rassemblement national (RN), Marine Le Pen veut inscrire dans la Constitution "la priorité nationale" pour l'accès au logement social, à l'emploi et aux aides sociales. Une proposition qu'elle portait déjà durant la campagne présidentielle de 2017.
Chez Les Républicains (LR), Xavier Bertrand comme Michel Barnier souhaitent que le Parlement puisse constitutionnellement fixer des quotas annuels d'immigrants autorisés à entrer en France. L'ex-commissaire européen et l'ancienne présidente du RN proposent en sus l'adoption par référendum d'un "bouclier constitutionnel", temporaire pour Michel Barnier, afin de se prémunir de l'application des conventions et autres traités internationaux ratifiés par la France en matière de politique migratoire. Mais ces propositions sont-elles réalistes au regard des textes de droit en vigueur ?
La constitutionnalité du référendum dépend de la question posée
L'article 11 de la Constitution fixe le cadre légal dans lequel un référendum doit s'inscrire. La question posée aux électeurs ne peut porter que "sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation", notamment, "sans être contraire à la Constitution". "Le champ est assez restreint", souligne Serge Slama, professeur de droit public à l'université de Grenoble-Alpes, spécialiste du droit des libertés.
"Reste à savoir si on peut faire entrer les questions d'immigration dans le champ de la politique sociale ou économique", interroge Xavier Bioy, professeur de droit à l'université Toulouse 1 Capitole, spécialiste du droit constitutionnel et du droit des libertés fondamentales. Si c'est le cas, "ça élimine toute question relative au droit d'asile ou au regroupement familial. Ça ne laisse que l'immigration économique légale", souligne Tania Racho, docteure en droit européen, spécialiste des droits fondamentaux, qui développe cette explication dans une vidéo de l'association Désinfox Migrations.
Le référendum peut prendre la forme d'un projet de loi, s'il est présenté par le gouvernement, ou d'une proposition de loi s'il est porté par le Parlement. Dans ce second cas, il sera examiné par le Conseil constitutionnel, avant d'être soumis aux électeurs. "Si la question posée par le référendum est contraire à la Constitution, le Conseil constitutionnel peut s'y opposer, note Serge Slama. Tout dépend de la question qui serait posée lors de ce référendum."
Pour éviter que le projet soumis à référendum soit jugé anticonstitutionnel, il est possible de changer la Constitution. L'article 89 permet cette modification de la loi fondamentale. Mais encore faut-il que cette révision soit approuvée par une majorité des électeurs... par référendum, ou adoptée à la majorité des trois cinquièmes par les députés et les sénateurs réunis en Congrès. "Tout cela paraît très lourd et hasardeux", analyse Xavier Bioy.
La "priorité nationale" présente un risque de discrimination
Souhaitée par Marine Le Pen, "la 'priorité nationale' dans l'accès au logement social pose un problème de rupture d'égalité [entre les citoyens], or celle-ci a valeur constitutionnelle, relève Tania Racho. Il faudrait prouver que les étrangers sont dans une situation différente des Français par rapport au service public du logement social. Dans la mesure où cela sert à fournir un toit aux personnes ayant de faibles revenus, on voit mal la différence entre un Français et un étranger", argumente l'experte.
"Le Conseil constitutionnel a déjà estimé qu'un pur critère de nationalité serait contraire à la Constitution", rappelle Serge Slama. En 1993, le Conseil a en effet considéré que "les étrangers jouissent des droits à la protection sociale, dès lors qu'ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français". Or "le logement social pourrait être reconnu comme faisant partie de la protection sociale au sens large", avance le site Les Surligneurs, projet de fact-checking spécialisé dans les questions juridiques.
"Conditionner l'accès à un emploi à une nationalité, comme le propose Marine Le Pen, c'est impossible, parce que c'est discriminatoire", tranche Serge Slama. Actuellement, seuls les emplois dits de souveraineté, c'est-à-dire relevant d'un secteur régalien, comme la Justice, l'Intérieur, le Budget, la Défense ou les Affaires étrangères, ne peuvent pas être occupés par des étrangers.
"Il n'est pas fondé sur un critère de nationalité, mais il existe déjà un système d'opposabilité de la situation de l'emploi à l'introduction de main-d'œuvre étrangère", argumente l'universitaire. Un étranger qui sollicite une autorisation de travail en tant que salarié en France peut se voir "opposer la situation de l'emploi". C'est-à-dire que l'administration peut lui refuser son autorisation de travail si elle estime que le chômage est trop important pour sa profession dans son bassin d'emploi.
Cette proposition de Marine Le Pen ne fait en outre pas la distinction entre étrangers intra-européens et extra-européens. Or "la libre circulation des travailleurs est l'un des fondements de l'Union européenne. Elle est à la base du marché unique et du traité de Maastricht", note Xavier Bioy. La priorité nationale voulue par la candidate discriminerait les travailleurs européens.
Les quotas ne sont pas applicables à tous les types d'immigration
Xavier Bertrand et Michel Barnier souhaitent quant à eux que la Constitution garantisse au Parlement le droit de définir des quotas annuels d'étrangers autorisés à entrer en France. Le président des Hauts-de-France précise que ces quotas seraient déterminés en fonction des besoins des entreprises françaises et des nationalités des ressortissants, tout en tenant compte du regroupement familial.
Cette proposition avait déjà été mise sur la table par Nicolas Sarkozy avec le débat sur "l'immigration choisie". Brice Hortefeux, le ministre de l'Intérieur et de l'Immigration d'alors – de 2009 à 2011 –, avait chargé Pierre Mazeaud, ex-président du Conseil constitutionnel, d'en étudier la faisabilité. La commission Mazeaud avait rendu son rapport en 2008, avec une conclusion sans appel : "Des quotas migratoires contraignants seraient irréalisables ou sans intérêt."
Au regard du droit d'asile, les quotas sont contraires non seulement à la Constitution mais aussi à la Convention de Genève et aux traités européens, ratifiés par la France. Les quotas ne peuvent pas non plus s'appliquer aux étrangers accueillis pour des motifs humanitaires (raisons de santé par exemple), rappelait la commission Mazeaud.
Le regroupement familial est lui aussi protégé par le droit français, dès le préambule de la Constitution de 1946, dont l'article 10 dispose que "la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement". Il est également garanti par la Convention européenne des droits de l'homme, que la France a ratifiée. L'article 8 assure que "toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale". Le regroupement familial concerne également des citoyens français qui ont épousé des ressortissants étrangers dans le cadre d'un "mariage mixte". "On ne va pas empêcher un Français de vivre avec son conjoint étranger", relève Serge Slama.
Reste le cas de l'immigration de travail. La commission Mazeaud était circonspecte sur l'utilité des quotas pour gérer les flux de travailleurs étrangers. Elle estimait qu'ils étaient "envisageables" dans certains cas, mais "pas indispensables". Elle faisait valoir que "des instruments comme les titres de séjour 'compétences et talents' ou les accords avec les pays d'origine permett[ai]ent déjà une régulation" des flux migratoires. Depuis une loi de 2006, il existe ainsi des cartes de séjour "compétences et talents", d'une durée de trois ans renouvelables. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la France a aussi signé des accords bilatéraux de gestion concertée avec une dizaine de pays, comme la Tunisie ou le Sénégal.
"On peut déjà dire, pour certaines nationalités, 'on a des besoins de main-d'œuvre dans tels secteurs'. Et on fait une liste de métiers, confirme Serge Slama. Ça a été un peu abandonné, parce que les listes n'ont pas été mises à jour." L'immigration économique ne représentait en outre que 26 583 des 219 302 premiers titres de séjour délivrés en 2020 par la France, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur.
La conformité au droit européen d'un "bouclier constitutionnel" pose question
Dernière proposition, commune à Marine Le Pen et Michel Barnier : l'introduction par référendum d'un "bouclier constitutionnel". L'idée est que les mesures adoptées par le nouvel exécutif en matière d'immigration ne puissent pas être attaquées en justice, au motif qu'elles violeraient les règles du droit international, et européen en particulier, ratifiées par la France. Ce "bouclier" ferait que seul le droit français s'appliquerait. Pour l'ancien commissaire européen, cette solution ne serait que transitoire et ne durerait que le temps d'un moratoire sur l'immigration.
"Dans le cadre juridique européen actuel, ce n'est pas possible", prévient Xavier Bioy. Le principe de primauté – fondement du droit européen – garantit la supériorité du droit européen sur les droits nationaux. Il n'est pas inscrit dans les traités mais a été consacré par la Cour de justice de l'UE. "Il faudrait que la CJUE donne son accord à ce 'bouclier constitutionnel' et pour l'instant, ça n'est jamais arrivé, observe Xavier Bioy. Sinon, ça s'appelle le Frexit".
"Du point de vue de la jurisprudence, ça existe déjà, rétorque Serge Slama. Le Conseil constitutionnel estime qu'on peut ne pas appliquer le droit européen s'il est contraire à l'identité constitutionnelle française." Mais cette clause dérogatoire ne peut jouer que "dans certains cas très exceptionnels", insiste l'universitaire. Par exemple, si une directive européenne, qui doit être transposée dans le droit français, heurte les valeurs juridiques fondamentales de la France, comme le principe de laïcité. Une position partagée par Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat.
Le "bouclier constitutionnel" de Marine Le Pen ou Michel Barnier serait plus large et reviendrait à n'appliquer aucune directive européenne ou traité international relatifs à l'immigration, au nom de la souveraineté nationale en la matière. "Adopter un mécanisme aussi global risquerait de nous mettre en porte-à-faux par rapport au droit de l'Union", juge Serge Slama.
La France se retrouverait alors dans la même situation que la Pologne ou la Hongrie, engagées dans un bras de fer avec la Commission européenne et la Cour de Justice de l'UE, qui accusent Varsovie et Budapest de ne pas respecter les normes démocratiques européennes, et les menacent de sanctions, en vertu de l'article 7 du traité sur l'Union européenne.
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