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Droit à l'avortement : quatre questions sur la proposition de la majorité pour inscrire l'IVG dans la Constitution

Après la décision de la Cour suprême des Etats-Unis vendredi, LREM a annoncé samedi matin le dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle.

Article rédigé par franceinfo
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Aurore Bergé, présidente du groupe parlementaire Renaissance (ex-LREM) devant l'Assemblée nationale, à Paris, le 22 juin 2022.
 (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

"Malheureusement, rien n'est impossible." Quelques heures après la décision historique de la Cour suprême des Etats-Unis de révoquer le droit constitutionnel à l'avortement, le groupe Renaissance (ex-LREM) a annoncé, samedi 25 juin, le dépôt d'une proposition de loi pour inscrire le droit à l'avortement dans le marbre de la Constitution française. Aurore Bergé, la toute nouvelle présidente du groupe à l'Assemblée nationale, préfère prévenir : ce qu'il s'est passé Outre-Atlantique "appelle à ce que nous prenions en France des dispositions pour qu'on ne puisse pas avoir demain des revirements qui pourraient exister." Franceinfo répond à quatre questions sur cette initiative parlementaire.

1D'où vient cette proposition de loi ? 

C'est Mathilde Panot qui a soumis l'idée la première. Dans un tweet publié vendredi soir à 18h30, la cheffe des députés La France insoumise (LFI) écrit qu'elle proposera dès lundi à l'alliance de gauche (Nupes) "de déposer une proposition de loi pour inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution" française.

Mais samedi matin, Mathilde Panot s'est fait doubler par le groupe Renaissance à l'Assemblée nationale. Aurore Bergé a ainsi proposé d'inscrire "le respect de l'IVG dans notre Constitution" et ce "dès aujourd'hui".

"On a passé la soirée au téléphone toutes les deux", raconte à franceinfo sa collègue du groupe, Marie-Pierre Rixain. "On voulait aller vite parce que ce qu'il se passe aux Etats-Unis nous oblige, poursuit la députée LREM de la 4e circonscription de l'Essonne. "On se croit à l'abri en France, mais c'est faux. ll y a des forces conservatrices qui s'organisent. Avec cette proposition de loi, on veut sanctuariser le droit à l'avortement pour les générations futures. Des bouleversements politiques ne peuvent pas remettre en cause ce droit."

Une initiative soutenue par la Première ministre, Elisabeth Borne, comme elle l'a écrit sur Twitter.

2Que contient ce texte ?

Dans ce texte d'une vingtaine de lignes, il est rappelé que "ce retour en arrière insupportable", en cours aux Etats-Unis, "nous force à rappeler le caractère indispensable et inviolable du droit à l'avortement dans notre pays et dans le monde." Cette proposition de loi constitutionnelle stipule que "nul ne peut être privé du droit à l'interruption volontaire de grossesse". Elle propose par conséquent "d'inscrire dans la Constitution l'impossibilité de priver une personne du droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG)."

Aurore Bergé insiste : "On ne change pas la Constitution comme on change la loi" donc "c'est une garantie qu'on doit donner aux femmes". L'élue des Yvelines estime que la mesure sera "largement partagée sur les bancs de l'Assemblée nationale et du Sénat". 

La révision de la Constitution répond à un processus précis. Elle peut avoir lieu soit à l'initiative du Président de la République, soit à l'initiative du Parlement. "Dans ce domaine, les deux assemblées parlementaires disposent des mêmes pouvoirs, ce qui implique que le projet ou la proposition de loi constitutionnelle soit voté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat, peut-on lire sur le site de l'Assemblée nationaleLe texte est définitivement adopté soit par référendum, soit par un vote à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés des deux chambres du Parlement réunies en Congrès à Versailles." 

3Est-ce la première fois qu'une telle proposition de loi est déposée ?

Pas tout à fait. En 2018, les députés de l'opposition, et notamment de La France insoumise, avaient déjà proposé d'inscrire le droit à la contraception et à l'IVG dans la Constitution française. Il s'agissait d'amendements issus des propositions du Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes. Mais à l'époque, l'Assemblée nationale avait rejeté l'initiative. "Il n'est nul besoin de brandir des peurs" en France au regard de remises en cause dans des pays étrangers, avait même alors réagi la corapporteure Yaël Braun-Pivet, aujourd'hui candidate de la majorité pour le perchoir. Nicole Belloubet, alors garde des Sceaux, expliquait également que ce droit en France était "suffisamment garanti". 

En juillet 2019, nouvelle initiative. Luc Carvounas, alors député PS et membre de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes, avait déposé à son tour une proposition de loi (que nous avons retrouvée) pour inscrire dans la Constitution le droit à l'avortement. Contacté par franceinfo samedi, l'actuel maire d'Alfortville (Val-de-Marne) sourit : "Je vois qu'on reprend notre idée... Si les députés de la majorité le souhaitent, le texte est prêt, il est dans les cartons. Je ne veux pas rentrer dans une polémique : si notre travail peut servir maintenant, c'est très bien".

"Je me souviens très bien. Nous avions fait coïncider cette initiative avec le premier anniversaire de la panthéonisation de Simone Veil."

Luc Carvounas, ancien député PS

à franceinfo

4Le droit à l'avortement peut-il vraiment être menacé en France ?

Contactée par l'AFP, la présidente de la Fondation des femmes s'en inquiète. "Il suffirait qu'on ait un Parlement avec une majorité conservatrice, et l'avortement pourrait être interdit", a réagi Anne-Cécile Mailfert. Si, aujourd'hui, aucune force politique ne promet de remettre en cause ce droit, certains propos peuvent semer le doute. Lors de la présidentielle 2012, Marine Le Pen s'était notamment attiré des critiques en proposant de dérembourser les "avortements de confort". 

Dans une interview accordée à Brut au printemps dernier, la candidate du Rassemblement national avait essayé de mettre les choses au clair. "J'ai bien vu que ça avait beaucoup choqué quand j'avais évoqué à l'époque ce terme qui était un terme d'ailleurs utilisé par une médecin, qui était le terme d''avortement de confort'", a-t-elle répondu. En revanche, elle se disait toujours "contre l'allongement de la durée de l'interruption volontaire de grossesse" de 12 à14 semaines. Ce qu'a redit samedi matin sur franceinfo le porte-parole du Rassemblement national, Philippe Ballard. "On est souverainistes, donc on ne va pas se mêler des affaires des autres", a éludé le député de l'Oise. "La loi Veil [consacrant ce droit en France], on n'y touche pas".

Le Parlement français pourrait-il abroger le droit à l'IVG ? "Ça pourrait arriver mais, pour cela, il faudrait qu'une majorité se prononce dans ce sens, et j'ai de gros doutes sur ça", réagit auprès de BFMTV Gwénaële Calvès, professeure de droit public et constitutionnel. "En France, il y a des problèmes d'accès à l'IVG et des difficultés pour le rendre effectif. Mais nous ne sommes pas menacés par une abrogation de la loi Veil". Selon elle, le problème est "très spécifique aux Etats-Unis". Mis à part en Pologne, dit-elle, "on n'imagine mal que cela puisse arriver ailleurs en Europe".

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