"J'ai le sentiment qu'on est encore laissés de côté" : des "enfants de la Creuse" attendent une véritable réparation
Un an après la remise d'un rapport sur ces enfants réunionnais soumis à une migration forcée, des victimes rappellent le gouvernement à ses promesses, qui ne sont pas que financières.
"C'est mon père biologique et moi-même, il y a deux ans. Beaucoup d'émotion..." confie Jean-Lucien Herry, en s'arrêtant sur une photo de son album. Cet "enfant de la Creuse", comme beaucoup dans sa situation, regrette que les mesures prises pour ces victimes réunionnaises de migration forcée il y a plus de 35 ans, n'aient pas été confortées. Un rapport a pourtant été remis au gouvernement en 2018.
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C'est l'État qui a financé le voyage de Jean-Lucien vers La Réunion. Chaque ex-mineur a droit, tous les trois ans, à un billet d'avion offert à hauteur de 1 000 euros. "Trois ans, ce n'est pas suffisant", assure-t-il, parce que l'horloge tourne pour son père et pour lui : "J'aurai 51 ans, lui 70 ans. Que voulez-vous que je fasse ? Je ne peux pas travailler deux fois plus pour pouvoir partir encore l'année prochaine."
En février 2017, le gouvernement a annoncé des mesures en faveur de quelque 2 150 mineurs de La Réunion, envoyés en métropole, et en particulier en Creuse, d'où leur surnom. En plus du voyage, chacun bénéficie d'une bourse de 500 euros, notamment pour se nourrir et se loger sur place.
On demande au moins 1 000 euros. La vie est très chère à La Réunion. Dix jours dans un hôtel, vous ne faites rien. Vous ne mangez pas.
Jean-Lucien Herry, "enfant de la Creuse"à franceinfo
La fédération des enfants déracinés des départements et régions d'Outre-mer (FEDD), à laquelle Jean-Lucien appartient, souhaite que le voyage soit financé une fois par an, avec la prise en charge d'un accompagnant. Ce n'est pas à l'ordre du jour, selon le ministère des Outre-mer qui souligne que jusqu'à présent une trentaine de personnes a demandé à bénéficier du dispositif, reconduit en 2019.
Des traumatismes profonds
Le financement d'un suivi psychologique à long terme n'est pas prévu non plus, comme le souhaite Marie-Josée Virapin, une maman célibataire envoyée dans le Gers à l'âge de 11 ans. "Une blessure profonde", souffle-t-elle.
J'ai 60 ans et c'est mon quotidien. Je me bats en permanence pour ne pas sombrer, pour ne pas entraîner mon fils dans mon histoire, dans ma descente.
Marie-Josée Virapin
"J'ai le sentiment qu'on est encore laissés de côté", ajoute-t-elle.
D'autres personnes vont plus loin comme Michel Calteau, de l'association Enfants 3D. Il veut attaquer l'État en justice : "Cette affaire, assimilable à un scandale de l'Etat, n'a jamais été jugée sur le fond. Qu'on perde ou qu'on gagne, il faut qu'il y ait un procès, que l'Etat soit assigné." Une plainte à laquelle s'associe Jean-Charles Pitou de l'association Génération brisée : "On veut aller plus loin pour nos enfants surtout, et même si c'est long, on ira jusqu'au bout."
Jusqu'où va la réparation ? se demande le sociologue Philippe Vitale. L'État a reconnu sa "responsabilité morale", rappelle l'ancien président de la commission nationale sur les "enfants de la Creuse", mais pour certaines victimes, le passé ne s'efface pas pour autant.
Pour des personnes qui ont souffert, qui sont encore aujourd'hui victimes de traumatismes, ce ne sera jamais assez.
Philippe Vitale, sociologueà franceinfo
Et pour toutes ces années volées, beaucoup de ces adultes déracinés veulent être indemnisés.
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