Affaire Matisse : cinq choses à savoir sur la justice des mineurs
Alors que les mises en examen de mineurs se multiplient ces dernières semaines en France pour des agressions parfois mortelles, franceinfo fait le point sur les spécificités de la justice pénale des mineurs. Quelle que soit la gravité des faits, les procédures sont différentes de la justice à destination des majeurs. Formalisés dans l'ordonnance du 2 février 1945, les grands principes de la justice pour mineurs sont regroupés, depuis septembre 2021, dans le code de la justice pénale des mineurs (CJPM).
Une procédure adaptée
"Les mineurs ne sont pas des adultes miniatures, souligne Emmanuelle Goby, avocate au barreau de Paris interrogée par franceinfo. Si les adolescents sont plus enclins au 'passage à l’acte', c’est en raison d’un déficit de contrôle cognitif lié aux métamorphoses de leur cerveau. Leur cortex préfrontal - responsable gestion des émotions et capacité de raisonnement et d’organisation - est en plein développement. Cela emporte des conséquences très importantes sur le plan physique, hormonal et psychosocial." Pour ces raisons, la justice des mineurs est adaptée aux spécificités du public concerné. En vertu de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) du 21 novembre 1989, elle est rendue dans des juridictions spécialisées (tribunal pour enfants ou cour d'assises des mineurs) et par des professionnels spécialistes des questions de l'enfance.
Dans son préambule justement, la CIDE rappelle que l'enfant "en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle a besoin d'une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d'une protection juridique appropriée." Un texte essentiel d'après Emmanuelle Goby, qui estime qu'il serait "aberrant" que notre système judiciaire traite des mineurs avec autant de sévérité que des majeurs, dès lors que ces mineurs "ne sont pas dotés, sur le plan neurologique, des mêmes moyens de contrôle de leurs actes que les majeurs."
Retenue ou garde à vue
Un mineur soupçonné d'avoir commis une infraction grave, quel que soit son âge, peut être interpellé par la police ou la gendarmerie. Avant l'âge de 10 ans, il ne peut être retenu sous aucun prétexte. Entre 10 et 13 ans, il ne peut pas être gardé à vue mais seulement retenu 12 heures, prolongeables 12 heures sous certaines conditions.
Pour les mineurs âgés de 13 à 16 ans, la garde à vue est possible. Elle peut durer 24 heures et être prolongée jusqu'à 48 heures s'il est soupçonné d'avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit d'une peine égale et supérieure à cinq ans d'emprisonnement. Au-delà de 16 ans, le régime de la garde à vue est quasi identique à celui des majeurs : 24 heures renouvelables une fois, soit 48 heures au total (elle peut être portée à 96 heures dans certains cas, en particulier pour les affaires de délinquance organisée, de proxénétisme aggravé, de trafic de stupéfiants et de terrorisme ; et même atteindre six jours, notamment dans les enquêtes antiterroristes).
Qu'il soit retenu ou gardé à vue, le mineur est protégé par certains "droits obligatoires", souligne Emmanuelle Goby. Sa famille doit être prévenue par tous les moyens, un avocat commis d'office doit l'assister, un examen médical est requis avant 16 ans et enfin, un enregistrement audiovisuel des interrogatoires est obligatoire.
La présomption de non-discernement
Les mineurs de moins de 13 ans sont protégés par un principe de présomption de non-discernement. L'article L.11-1 du code de la justice pénale des mineurs prévoit : "Lorsqu'ils sont capables de discernement, les mineurs sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils sont reconnus coupables. Les mineurs de moins de treize ans sont présumés ne pas être capables de discernement." Leur responsabilité pénale ne peut alors pas être engagée.
Cette présomption de non-discernement peut être révoquée en vertu de trois critères, précise Emmanuelle Goby : "Il faut que l'enquête démontre que le mineur a la capacité de comprendre ce qu'il faisait, qu'il avait l'intention de commettre l'infraction et qu'il comprend le sens de la procédure engagée contre lui." Dans ce cas, le Procureur peut, soit décider d’une mesure alternative aux poursuites, soit saisir le juge des enfants lequel ne pourra prononcer que des mesures éducatives. Aucune sanction limitant la liberté du mineur de moins de 13 ans ne pourra être prononcée.
Les mineurs de plus de 13 ans, eux, ne peuvent être condamnés à une peine d'emprisonnement qu'en dernier recours et en fonction de la gravité de l'infraction. En vertu de l'ordonnance du 2 février 1945, ils bénéficient dans ces cas-là d'une excuse minorité. Ils ne peuvent ainsi être sanctionnés que moins sévèrement qu'un majeur. Le tribunal ou la cour d'assises des mineurs ne peuvent pas prononcer de peine privative de liberté supérieure à la moitié de la peine encourue par un majeur. Si la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité, ils ne peuvent prononcer une peine supérieure à vingt ans.
L'équilibre entre éducation et sanction
"Le CJPM pose le principe de primauté de l’éducatif sur le répressif", rappelle Emmanuelle Goby. Dès le début du code, il est ainsi stipulé que les décisions prises à l'égard des mineurs tendent à "leur relèvement éducatif et moral ainsi qu'à la prévention de la récidive et à la protection de l'intérêt des victimes." Le juste équilibre entre sanction et éducatif est "essentiel pour permettre aux mineurs de devenir des adultes autonomes, responsables et respectueux d’autrui", estime l'avocate.
D'après elle, "un mineur qui commet des infractions de manière régulière est souvent un mineur en danger dans son milieu familial et qu’il convient de protéger. Il se cache souvent une défaillance des parents derrière des enfants qui commettent des délits. L’éducation permet de lui apprendre à résoudre les problèmes de manière pacifiée et constructive et à maîtriser ses émotions en développant son estime de soi." Des mesures éducatives judiciaires peuvent ainsi être prononcées. Il est possible de les assortir d'un placement, d'une prise en charge sanitaire, de stage de sensibilisation ou d'une interdiction d'entrer en contact avec la victime.
Les prisons pour mineurs
En dernier recours et dans le respect de l'exception de minorité, le juge peut aussi prononcer une peine d'emprisonnement à l'encontre d'un mineur de plus de 13 ans. Dans ce cas, un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) interroge le mineur et ses parents pour comprendre ce qui a conduit le mineur à commettre l’infraction et rédige un rapport approfondi. Un placement en détention à domicile sous surveillance électronique peut également être envisagé.
Le système pénitentiaire français comprend six établissements pénitentiaires pour mineurs et 43 quartiers pour mineurs implantés au sein de maisons d’arrêts. Ces établissements placent l'éducation au cœur de la prise en charge du mineur. Elle est assurée conjointement par des personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire, des professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse (éducateurs et psychologues) et des enseignants de l'Éducation nationale. À noter que le casier judiciaire d'un mineur est effacé au bout de trois ans.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.