Violence des mineurs : quatre questions sur l'excuse de minorité, que le gouvernement souhaite remettre en cause
Le gouvernement s'attaque à l'excuse de minorité. Face à la multiplication des faits divers de délinquance impliquants des mineurs, "on ne peut pas rester les bras ballants", a assuré Eric Dupond-Moretti, vendredi 19 avril sur RTL, défendant les annonces faites la veille par le Premier ministre. Jeudi, Gabriel Attal a annoncé l'ouverture d'une série de chantiers pour réformer la justice des mineurs, lors d'une visite à Viry-Châtillon, où un adolescent de 15 ans est mort après avoir été agressé à la sortie de son collège. Dans cette affaire, quatre jeunes hommes, dont trois mineurs, ont été mis en examen pour "assassinat".
Pour répondre à ce type de violence, le Premier ministre a promis de "réinstaurer l'autorité, partout et pour tous". Il a évoqué plusieurs pistes sur le plan judiciaire, et notamment la possibilité d'atténuer le principe d'excuse de minorité, qui implique des sanctions moins sévères pour les moins de 18 ans que pour les majeurs. Franceinfo revient, en quatre questions, sur les enjeux d'une potentielle réforme de cette règle juridique.
1En quoi consiste l'excuse de minorité ?
Ce principe juridique, instauré par une ordonnance du 2 février 1945, entérine l'idée qu'un mineur doit être sanctionné moins sévèrement qu'un majeur. Depuis cette date, le tribunal pour enfants et la cour d'assises des mineurs "ne peuvent prononcer à l'encontre des mineurs âgés de plus de 13 ans une peine privative de liberté supérieure à la moitié de la peine encourue par un majeur". Concrètement, si la peine encourue est la réclusion à perpétuité, le mineur ne peut être condamné qu'à un maximum de vingt ans de détention.
Ce dispositif peut toutefois être outrepassé si le mineur est âgé de plus de 16 ans. Dans de rares cas et en fonction de "la personnalité du mineur ainsi que de sa situation", l'excuse de minorité peut ainsi ne pas être appliquée. Cela n'est arrivé que deux fois depuis 1945. La dernière exception date de 2013. Matthieu M., 19 ans, avait alors été condamné à la réclusion à perpétuité pour avoir violé et tué une adolescente de 13 ans, en 2011. Il était âgé de 17 ans au moment des faits.
Les jeunes de moins de 13 ans sont, eux, présumés incapables "de discernement". Ils sont pénalement irresponsables, selon l'article L.11-1 du Code pénal (document PDF).
2 Pourquoi le gouvernement s'y attaque-t-il ?
Lutter contre les violences des mineurs est devenu une priorité pour le gouvernement. Emmanuel Macron a demandé à Gabriel Attal, lors du Conseil des ministres du mercredi 17 avril, de lancer une concertation pour trouver des solutions au "surgissement de l'ultraviolence", en particulier parmi les plus jeunes, avec l'objectif d'aboutir à un projet de loi avant l'été.
Le lendemain, devant le parvis de l'hôtel de ville de Viry-Châtillon, le Premier ministre a souligné l'urgence de réformer la justice des mineurs. "Il y a deux fois plus d'adolescents impliqués pour coups et blessures, quatre fois plus pour trafic de drogue, et sept fois plus dans les vols avec armes que dans la population générale", a-t-il énuméré jeudi, en ciblant également "l'entrisme islamiste qui va croissant".
"L'autorité et la règle commune sont trop souvent défiées par certains jeunes", a estimé Gabriel Attal. Une situation qui découle, selon lui, de la différence entre les peines appliquées selon l'âge des mis en cause. "Aujourd'hui si deux jeunes, l'un de 17 ans et l'autre de 18 ans, commettent un vol (…) et qu'ils sont arrêtés en même temps, celui de 18 ans pourra être jugé et sanctionné le jour même, a rappelé le Premier ministre. Alors que pour celui de 17 ans, (…) s'ensuivra une procédure plus longue et différenciée." Cela renforce "le sentiment d'impunité chez les jeunes", juge le Premier ministre.
3 Quelles sont les pistes de réforme envisagées ?
Le chef du gouvernement a déroulé jeudi une première feuille de route sur le "Grenelle" des violences. Il a chargé le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, "d'ouvrir le débat" sur des "atténuations" à "l'excuse de minorité". Parmi les idées sur la table : la possibilité pour les mineurs âgés de 16 ans et plus d'être jugés en comparution immédiate devant le tribunal, ce qui n'est aujourd'hui possible que pour les plus de 18 ans. "De sorte qu'ils aient à répondre de leurs actes et soient sanctionnés immédiatement, comme des majeurs", a assuré Gabriel Attal.
"Pour certains délits, je souhaite que nous travaillions à une mesure de composition pénale sans juge pour que les mineurs à partir de 13 ans, s'ils reconnaissent les faits, [puissent connaître] une sanction plus rapide", a par ailleurs déclaré le Premier ministre. "Ma boussole, c'est l'impunité zéro, c'est la sanction immédiate pour certains", a-t-il ajouté.
Le Premier ministre avait aussi évoqué la mise en place de travaux d'intérêt éducatif pour les moins de 16 ans, fin janvier, lors de sa déclaration de politique générale. Il a précisé jeudi qu'une circulaire à ce sujet serait "signée dans les prochains jours, pour une entrée en vigueur dès la rentrée des vacances de printemps".
4 Qu'en pensent les avocats et les magistrats ?
Les réformes envisagées par le gouvernement n'ont pas convaincu les avocats et magistrats contactés par franceinfo. "En l'état actuel des textes, les mineurs sont déjà sanctionnés" et peuvent encourir des sanctions extrêmement lourdes allant jusqu'à la prison, a rappelé Meriem Ghenim, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis.
Myrtis Vinas-Roudières, juge des enfants à Bobigny (Seine-Saint-Denis) et déléguée du Syndicat de la magistrature, orienté à gauche, doute également des effets d'une réforme de l'excuse de minorité. "Je ne pense pas qu'un jeune qui n'est pas dissuadé par la perspective d'aller en prison pendant deux ans et demi le sera davantage par le risque de prendre cinq ans", a-t-elle confié à franceinfo.
Vaïté Corin, avocate en Martinique, a même jugé désastreuse l'idée de faire juger les jeunes de plus de 16 ans en comparution immédiate. "Un mineur, ce n'est pas un adulte fini, estime-t-elle. L'envoyer en comparution immédiate pour être jugé rapidement, sans qu'on prenne le temps de s'interroger sur les véritables motivations de son passage à l'acte, c'est véritablement catastrophique".
Pour Albertine Muñoz, juge d'application des peines à Bobigny et représentante du Syndicat de la magistrature, la réforme envisagée va effectivement dans le mauvais sens. Dans son département, les jeunes présentés à la justice ont "avant tout besoin d'un accompagnement", estime la magistrate.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.