Entre les cris et les larmes, la folie d'Outreau ressurgit à la barre
L'ex-épouse de l'huissier Alain Marécaux, acquittée en 2004, a hurlé à la barre, mardi, pour dénoncer ce nouveau procès de Daniel Legrand. Climax de plusieurs semaines d'audiences à l'atmosphère très tendue.
Les mains sur la barre, face à la cour, elle commence sa déposition d'une voix vive et assurée. "Je me souviendrai toujours de ce que disait Eric Dupond-Moretti : 'On cherchait un Dany legrand en Belgique, on a trouvé deux p'tits Daniel.'" L'ex-épouse de l'huissier Alain Marécaux, acquittée en 2004, est là, ce mardi 2 juin, pour témoigner au procès de Daniel Legrand, dans l'affaire Outreau. Il est jugé à nouveau depuis deux semaines à Rennes (Ille-et-Vilaine) pour des viols et des agressions sexuelles sur les enfants Delay, qu'il est accusé d'avoir commis entre ses 16 et ses 18 ans.
Sans crier gare, cette femme de 48 ans, qui a refait sa vie et ne souhaite pas voir son nom divulgué, s'écroule littéralement à la barre. Secouée de tremblements et de sanglots, vacillante, elle hurle : "C'est une honte de nous faire venir ici, vous ne vous rendez pas compte de ce qu'on a vécu !" Telle une naufragée qui regarde son compagnon d'infortune dans une mer démontée, elle se tourne vers Daniel Legrand, les yeux écarquillés : "C'est pas normal qu'on t'ait mis là, c'est dégueulasse !" Puis, au président Philippe Dary et aux jurés : "Je tente d'être devant vous, mais je suis terrifiée. C'est une horreur, une horreur. Je vivrai avec Outreau jusqu'à ma mort !"
"Vous êtes un pédophile, monsieur le procureur général ?"
Ce cri est le climax d'une journée d'audience très tendue et d'un procès "à l'atmosphère particulièrement préoccupante", comme l'a souligné le président de la cour. Ce cri fait écho aux larmes de tous les autres acquittés venus témoigner depuis lundi et amplifie la question qui agite les débats depuis le début : ce troisième procès devait-il vraiment avoir lieu ?
Dans la foulée des audiences de 2004 et 2005, et de leurs 13 acquittements, le procureur général de la cour d'appel de Douai avait estimé que non. Il est venu s'en expliquer en personne. "Je pensais que pour ces mineurs victimes, ce ne serait pas facile de revenir une troisième fois devant une cour d'assises", a déclaré Jean-Jacques Zirnhelt. Son successeur, Olivier de Baynast, saisi par l'association Innocence en danger en 2013, a jugé qu'il fallait au contraire audiencer le reliquat du dossier Legrand. Il a refusé de venir dire pourquoi devant la cour.
Remerciant Jean-Jacques Zirnhelt de sa présence, Franck Berton, avocat de la défense, ironise : "Vous faites partie d’un réseau ? Vous êtes un pédophile, monsieur le procureur général ? Pardonnez-moi de vous poser la question, mais c'est ce qu'on sous-entend ici !" Clameurs du côté de la partie civile, éclats de voix du côté de la défense. Le président, appelant au calme, s'inquiète de la tournure des débats : il règne une "effervescence et un climat très nauséabond dans ce dossier", observe Philippe Dary.
"A circonstances exceptionnelles, décisions exceptionnelles"
Depuis le début du procès, le 19 mai, les parties s'invectivent sur sa légitimité. Les avocats de Daniel Legrand reprochent à la partie civile de servir les intérêts d'associations de protection de l'enfance militantes, présentes dans la salle. Ils estiment que les enfants Delay sont "instrumentalisés". La partie civile dénonce de son côté un "accord secret" entre la défense et le parquet en 2006 pour ne pas audiencer le procès Legrand, au mépris du droit des victimes.
Dans cette atmosphère de pugilat gravitent dans le public des individus connus pour leur activisme sur internet en faveur d'une "autre vérité" dans l'affaire Outreau, celle qui remet en cause les décisions des cours d'assises de Saint-Omer et de Paris. L'un de ces individus, qui a traité Daniel Legrand de "pédophile" en pleine audience, a été exclu de la salle.
Cette ambiance d'hystérie est indissociable de l'affaire en elle-même. Tout, dans le dossier "Outreau", semble excessif. Jean-Jacques Zirnhelt a ainsi formulé cette réponse à Patrice Reviron, l'avocat de Jonathan Delay, qui lui demandait si la décision de ne pas audiencer un procès était rare : "Je n’avais jamais eu à prendre une telle décision. A circonstances exceptionnelles, décisions exceptionnelles." Policiers, condamnés, acquittés... En près de trois semaines, de nombreux protagonistes de l'affaire sont venus témoigner des absurdités et des bizarreries d'un dossier hors normes, soulevées à plusieurs reprises par le président lui-même.
A commencer par l'absence de dates dans la procédure concernant Daniel Legrand, pourtant renvoyé devant la justice pour une période précise, située avant ses 18 ans (1997-1999). Philippe Dary, ne se déparant jamais de son calme, n'a eu de cesse de le souligner. "Il n'y a aucun jour précis d'accusation, pas de date", oppose-t-il à Me Yves Monerris alors qu'il demande à l'accusé pourquoi il n'a pas essayé de présenter des alibis. "Nous faisons avec ce que nous avons", s'est presque excusé l'avocat de Chérif Delay.
"C'est une histoire de fou !"
C'est bien là toute la difficulté de l'accusation, qui s'appuie sur un dossier papier démonté de toutes pièces lors des deux premiers procès. Avec l'oralité des débats, le réseau pédophile international s'est mué en une sordide affaire d'inceste impliquant deux couples. L'huissier Alain Marécaux, venu témoigner avant son ex-femme, le fait valoir à Me Léon Lef-Forster. "Comment pouvez-vous savoir ce que Daniel Legrand a fait ou pas puisque vous ne le connaissiez pas ?" lui demande l'avocat de la partie civile. "Parce que j'ai assisté à deux procès", répond l'acquitté. Deux procès pendant lesquels la folie d'une machine judiciaire lancée à toute vitesse, avec à la manœuvre un juge inexpérimenté, Fabrice Burgaud, et une accusatrice mythomane, Myriam Badaoui, est apparue au grand jour.
Cette folie ressurgit au troisième procès, dans son ambiance électrique et dans les mots des acquittés, notamment. Pour Alain Marécaux, "tout a marché à l'envers, rien n'allait comme il fallait". "C'est une histoire de fou, c'est une histoire de fou !" répète quant à elle Roselyne Godard, "la boulangère", acquittée en 2004, encore hébétée par ce qui lui est arrivé quinze ans plus tôt. Plus analytique et flegmatique, l'abbé Dominique Wiel, acquitté en 2005, résume : "Je pense que cette affaire est un défi lancé à notre raison parce que je n'ai entendu nulle part de tels évènements et de telles conséquences." A l'époque, il n'avait pas gardé autant son sang-froid. Au juge d'instruction qui lui avait notifié sa mise en examen le 16 novembre 2001, il avait répondu : "Mais vous êtes fou !"
A l'extérieur du tribunal, un petit groupe d'individus commente de façon animée les débats du jour. Ils refont le procès, inlassablement.
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