"L'Affaire d'Outreau" : Olivier Ayache-Vidal, coréalisateur du documentaire, a voulu "rendre aux victimes leur dignité"
"Que des gens aient été incarcérés pour être finalement reconnus non coupables, c'est inadmissible. La justice, si elle a fait des erreurs, doit le payer elle-même." Ces mots, prononcés en 2005 par Jacques Chirac, alors président de la République, ouvrent le docu-fiction en quatre parties consacré à l'affaire Outreau .
Au total, 14 personnes ont été injustement accusées d'actes de pédophilie et incarcérées pendant près de 3 ans. L'une d'elles est morte en prison, avant que toutes ne soient acquittées en 2004 et 2005. Le réalisateur de longs-métrages Olivier Ayache-Vidal s'est associé à Agnès Pizzini afin de raconter cette affaire judiciaire aux multiples dysfonctionnements qui a marqué tout un pays. "Toute cette histoire est assez surréaliste, j'ai donc voulu faire ce mélange entre fiction et réalité : scènes jouées par des acteurs et témoignages des vrais protagonistes.", explique-t-il en interview à franceinfo.
En tant que réalisateur de fiction, comment vous êtes-vous emparé de cette affaire ?
Olivier Ayache-Vidal : Je me suis surtout soucié de défendre ces personnes injustement accusées. Mais c'était très compliqué de démêler le vrai du faux. Au départ, je me suis plongé pendant six semaines dans le dossier afin de comprendre l'affaire.
Dans mon métier de réalisateur, mon désir, c'est la fiction, je n'avais pas forcément envie de faire du documentaire. Ce qui m'intéressait, c'était d'imaginer une nouvelle forme de narration. Je me suis demandé comment faire quelque chose de particulier et j'ai donc eu cette idée de mise en scène. En allant à Outreau [dans le Pas-de-Calais], dans l'immeuble de la tour Renard, où se sont déroulés les faits, cela a été un choc. J'ai pu imaginer toutes ces personnes dans leur intérieur, et cela m'a donné l'idée de reconstituer les appartements sur un grand plateau de tournage et que l'on puisse naviguer d'un lieu à un autre. Pénétrer dans ce décor, c'était comme entrer dans un cerveau, dans la mémoire. En allant d'un décor à un autre, les protagonistes se souvenaient de détails.
Toute cette histoire est assez surréaliste, j'ai donc voulu faire ce mélange entre fiction et réalité : scènes jouées par des acteurs et témoignages des vrais protagonistes. J'ai souhaité faire un voyage dans le temps, car nous sommes plus de 20 ans plus tard. Je me suis tout de même demandé si cette mise en scène qui était de mettre ces victimes face à leur double et les faire interagir entre eux, était adaptée au sérieux de cette affaire, car c'est une histoire particulièrement grave. Finalement, ce mélange fonctionne bien. Surtout, les choses importantes étaient que les procès-verbaux et les dialogues soient les vrais, nous n'avons rien inventé, et évidemment que les victimes acceptent ce dispositif un peu particulier.
Avez-vous dirigé les principaux protagonistes ?
Je ne dirais pas cela. L'important était surtout de les mettre à l'aise, car certains étaient très timides, et il y avait beaucoup d'émotion sur le plateau de tournage. La situation la plus délicate a été le témoignage de François-Xavier Marécaux qui, à l'époque des faits, avait accusé à tort son père, Alain Marécaux, de viol. Parler a été une vraie de libération pour lui, mais cela a été très lourd. Cette histoire a vraiment brisé sa vie. Il avait 12 ans à l'époque et depuis, il vit dans une culpabilité énorme d'avoir envoyé son père en prison sur des mensonges. Pour arriver à le faire parler, cela a été un gros travail de confiance. Je lui disais : "Ce que tu vas faire, ça va te faire du bien. Tu dis exactement ce que tu veux." Nous n'avons fait qu'une seule prise avec lui, il y avait une telle intensité que le temps a été comme suspendu. Tout le monde était figé après ses déclarations, tant c'était puissant.
Dans une fiction, on fait ce que l'on veut mais là, nous avions de "vrais personnages", qui ont vécu des drames. Certains ont passé plusieurs mois en prison, avec tous les dégâts et la honte que cela a engendrés.
"Une chose importante pour moi était de ne pas faire un documentaire larmoyant. Je souhaitais que ce soit beau, qu'ils se sentent bien, valorisés et qu'ils soient fiers d'avoir fait ce film."
Olivier Ayache-Vidal, réalisateur de "L'Affaire d'Outreau"à franceinfo
Je voulais rendre aux victimes leur dignité, et que, si un jour on leur reparle de cette affaire, ils puissent montrer ce docu-fiction afin que les gens comprennent précisément ce qui s'est vraiment passé. Je veux qu'ils puissent marcher la tête haute dans Outreau, dans Boulogne-sur-Mer, et que les gens les regardent avec admiration et empathie. Et que disparaisse la honte.
Est-ce que les protagonistes de cette affaire ont vu le docu-fiction terminé ?
Je n'ai montré que les premiers montages à Daniel Legrand et Thierry Dausque, et ils étaient contents. L'abbé Wiel est le seul qui l'a vu en intégralité. Il a été surpris par le dispositif, mais dans le bon sens, et s'est montré très enthousiaste. Nous avions fait les interviews dans le décor, avant les parties de fiction, donc ils n'avaient pas forcément vu la mécanique du tournage. Le plus important était de ne pas les trahir. Je voulais qu'ils se reconnaissent dans les personnages. C'était un enjeu important et je pense que nous y sommes arrivés.
Les quatre épisodes du docu-fiction L'Affaire d'Outreau, réalisé par Agnès Pizzini et Olivier Ayache-Vidal, sont diffusés les 17 et 24 janvier à 21h10 sur France 2. Ils sont également disponibles sur france.tv.
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