Corbeil-Essonnes, ton univers impitoyable
La ville, autrefois dirigée par Serge Dassault, est le théâtre d'un feuilleton politico-judiciaire aux multiples rebondissements. Alors que l'homme d'affaires et sénateur UMP est visé par une plainte pour association de malfaiteur, francetv info vous résume les épisodes précédents.
Le feuilleton politico-judiciaire compte déjà plusieurs saisons et de multiples rebondissements. Dernier épisode : le dépôt d'une plainte pour association de malfaiteurs, annoncé le 6 janvier 2014.
L'intrigue ? Des tentatives d'assassinat sur fond de rumeurs et de soupçons de clientélisme électoral. Son décor ? Corbeil-Essonnes, la ville de banlieue parisienne autrefois dirigée par Serge Dassault. Ses protagonistes ? Francetv info vous les présente.
"Le vieux" : Serge Dassault
C’est ainsi qu’on le surnomme à Corbeil-Essonnes (Essonne), la ville dont il fut maire de 1995 à 2009 et où il reste très influent. Héritier de Dassault Aviation, l’empire aéronautique fondé par son père, Serge Dassault est à la tête de la 4e fortune de France, évaluée à 9,7 milliards d’euros par Forbes (en anglais).
Mais le richissime avionneur est soupçonné d’avoir utilisé son argent pour acheter des voix, afin d’assurer la paix sociale dans les cités, mais également son élection puis celle de son successeur, Jean-Pierre Bechter. En juin 2009, le Conseil d’Etat a annulé les municipales et rendu Serge Dassault inéligible, considérant "l’existence de dons en argent à visée électorale suffisamment établie".
Son nom revient également dans une pléiade d’affaires, toutes liées à sa mairie. Mi-octobre, il a passé plus de quatre heures dans le bureau des juges d'instruction. Il a échappé à la garde à vue et à la mise en examen, mais reste placé sous le statut de témoin assisté pour complicité de tentative d'assassinat.
Il y a aussi cette information judiciaire, ouverte à Paris en mars 2013, pour corruption, abus de biens sociaux, blanchiment et achat de votes présumés aux élections municipales, entre 2008 et 2010. A 88 ans, le sénateur UMP de l’Essonne, capitaine d'industrie et patron de presse, coutumier des déclarations polémiques, nie en bloc.
Enfin, lundi 6 janvier, on apprend que l'industriel est visé par une plainte pour association de malfaiteurs. Selon Fatah Hou (lire plus bas), Serge Dassault aurait pris part à un stratagème en vue d'organiser son arrestation et celle de deux autres hommes au Maroc, afin de les éloigner de Corbeil-Essonnes.
"L’homme de paille" : Jean-Pierre Bechter
Jean-Pierre Bechter a endossé l’écharpe de maire que Serge Dassault lui a remise, non sans mal. Mais son élection en 2009 est annulée par le Conseil d'Etat : les bulletins de vote n'étaient pas conformes. Ils faisaient en effet mention de son statut de "secrétaire général de la fondation Serge Dassault". Il a donc dû attendre le nouveau scrutin de 2010. Si Serge Dassault n’est officiellement que directeur de cabinet, en coulisses, il est toujours maire. "J'ai gagné", clamait d’ailleurs le milliardaire au soir de l’élection, rappelle Rue 89.
Durant la campagne, le message était clair. "Voter Bechter, c'est voter Dassault", clamait le slogan martelé par son camp, rapporte Libération. Selon L’Express, Jean-Pierre Bechter confiait même qu'en cas de victoire, c'est Serge Dassault qui dirigerait la ville.
Car Jean-Pierre Bechter a toujours été un homme de l’ombre. Ce Corrézien a débuté sa carrière avec Jacques Chirac, relate L’Express, et l’a poursuivi dans avec Serge Dassault, raconte Stratégies. Il est aujourd’hui l’administrateur des groupes Dassault et Socpresse (Le Figaro), quand Serge Dassault est président de son conseil d'administration.
Mais à bientôt 70 ans, il est placé en garde à vue, fin juin, dans le cadre de l'enquête sur l'une des deux tentatives d'homicide survenues dans sa ville début 2013, et qui pourrait être liée à des soupçons de fraude électorale.
"Le porteur de valises" : Jacques Lebigre
C’est ainsi que Le Canard enchaîné dépeint Jacques Lebigre en 2010. Le Parisien rapporte à l'époque que des policiers ont découvert chez un homme soupçonné d'extorsion de fonds trois chèques, tous signés Jacques Lebigre, pour un montant total de 8 500 euros. "J'ai le droit de faire des chèques à qui je veux", réplique l’intéressé.
Cet ancien militant du SAC, la milice gaulliste réputée pour avoir fait le coup de poing dans les années 60-70, a été le bras droit de Serge Dassault, son directeur de cabinet et son adjoint chargé de la jeunesse. En 2007, il est agressé devant chez lui. "Une correction" administrée parce que les 10 000 euros promis à un jeune n’ont jamais été versés, selon les témoignages recueillis par un policier des RG interrogé dans Les Inrocks.
Plus récemment, en mai, la fille de Jacques Lebigre est rouée de coups de poing et de tournevis par trois hommes cagoulés qui se sont introduits par effraction au domicile familial, à Soisy-sur-Seine, raconte France 3 Paris Ile-de-France. "A force de pointer du doigt Serge Dassault et Jacques Lebigre, qui sont des soi-disant porteurs de valises, ça donne un alibi aux fêlés", déclarait alors Jacques Lebigre. L'homme est aujourd'hui adjoint au maire de Corbeil, en charge de la politique de la ville, et toujours secrétaire départemental de l'UMP.
"Le maître chanteur" : Fatah Hou
Fatah Hou a 32 ans. Il est boxeur amateur. Mais à Corbeil, la rumeur le désigne surtout comme "maître chanteur", précise Le Point. Il aurait en effet piégé Serge Dassault en caméra cachée, à propos de l'achat de voix des électeurs de Corbeil, et tenté de le faire chanter. Le milliardaire n'aurait pas cédé, et le corbeau aurait alors transmis l'enregistrement au Canard enchaîné, qui en a publié une partie.
Un document que s'est également procuré Mediapart (article abonnés), en septembre. On y entend Serge Dassault se défendre : "Moi, j'ai donné l'argent. Je ne peux plus donner un sou à qui que ce soit. (...) Moi, j'ai tout payé, donc je ne donne plus un sou à qui que ce soit. Si c'est Younès, démerdez-vous avec lui."
"Younès" ? C'est le prénom du prochain protagoniste : le suspect numéro 1 de la tentative d'assassinat dont Fatah Hou a été victime le 19 février. Le boxeur a pris trois balles de calibre 38. Très grièvement blessé, il est aujourd'hui tiré d'affaire mais garde des séquelles. C'est lui qui a porté plainte pour association de malfaiteurs contre Serge Dassault. Il reproche à l'ancien maire d'avoir monté une opération visant à le faire arrêter au Maroc.
"L’homme de main" : Younès Bounouara
Ce quadragénaire, ex-délinquant de la cité des Tarterêts devenu chef d'entreprise, est un proche de Serge Dassault, présenté comme son intermédiaire dans les cités de Corbeil.
Dans une interview accordée, début octobre au Point, il a reconnu avoir tiré sur Fatah Hou, dans le centre-ville de Corbeil, en plein jour, devant de nombreux témoins. Il se sentait "menacé", explique-t-il, par des "voyous (...) aux abois" qui ont cherché à faire pression sur lui pour extorquer de l'argent au multimilliardaire.
Et s'il se défend d'avoir participé à un système d'achat de votes, Younès Bounouara reconnaît cependant avoir bénéficié de l'attribution de 10% d'un marché public de la ville à 1,7 million d'euros. "J'ai été récompensé après quinze ans de service, de 1995 à 2009. Cet argent, je l'ai gagné à la sueur de mon front. Il n'a jamais été question d'acheter les électeurs."
Mercredi 6 novembre, après des mois de cavale, il est cueilli à Roissy alors qu'il revient d'Algérie. Il a depuis été mis en examen pour tentative d'assassinat et placé sous mandat de dépôt à la prison de la Santé.
"Le repenti" : Rachid Toumi
S’il a révélé son identité, il préfère ne pas dévoiler son visage. Car il est celui qui balance. Dans un témoignage vidéo au Parisien, fin février, cet homme de 33 ans affirme avoir participé au système d'achat de votes présumé.
"Corbeil, c'est devenu un système mafieux. L'argent de Dassault a tout pourri, lâche-t-il. J'ai toujours vu des gens toucher de l'argent pour ça." A savoir : être payé pour faire voter des électeurs. "Bechter a fait des promesses. Il ne les a pas tenues. Et aujourd'hui, on est en train de s'entretuer." Fin janvier, Rachid Toumi est victime d'une tentative d'homicide. Conséquence, affirme-t-il, de ce système et du non-paiement d'une forte somme d'argent à des jeunes des cités.
Jean-Pierre Bechter nie connaître Rachid Toumi et met ses déclarations sur le compte "d'une pré-campagne électorale". "Il est manipulé, rétorque l'élu. Tout ça, c'est du baratin, c'est du n'importe quoi."
"Les seconds couteaux" : les jeunes des cités de Corbeil
Serge Dassault serait, avec le temps, devenu la victime d'un racket orchestré par ceux qu’il aurait autrefois tenté d'acheter à coups de chèques, de billets, d’emplois dans les services municipaux, d’aides pour monter des entreprises ou de contrats avec la municipalité. Des jeunes des Tarterêts ou de Montconseil, dont Les Inrocks ont recueilli les témoignages en novembre 2010.
"Quand Dassault s’est présenté pour la première fois aux élections municipales en 1995, je l’ai vu ouvrir le coffre de sa voiture et distribuer à des gamins des cités des stylos Mont-Blanc et des vêtements de marque. Mais en faisant cela, Dassault a mis le doigt dans un sale engrenage", dit l’un.
"Des jeunes qui avaient touché des billets se sont vantés. D’autres qui n’avaient rien reçu disaient : ‘Putain, nous aussi, on en veut !’ C’est comme ça qu’un tas de garçons se sont mis à tourner comme des chacals autour de la mairie", poursuit un autre. Depuis, le "système Dassault" s'est retourné contre son instigateur présumé.
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