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Disparition du petit Mathis : les secrets de Sylvain Jouanneau

Le père accusé d'enlèvement et de séquestration sur son fils, âgé de 8 ans en 2011, encourt jusqu'à vingt ans de prison. Il refuse de dévoiler la vérité sur la disparition de son enfant, dont on ignore s'il est vivant ou mort.. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Sylvain Jouanneau, le père du petit Mathis, avant l'ouverture de son procès, à Caen (Calvados), le 1er juin 2015. (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

"Je regrette de t'avoir donné la vie", a lancé la mère de Sylvain Jouanneau, interrompue par sa fille, sœur de l'accusé : "Il n'en a rien à foutre, il n'a pas de sentiments !" Voilà pour l'ambiance, au tribunal de Caen (Calvados). Jeudi 4 juin, les proches du père de Mathis, jugé depuis lundi pour l'enlèvement et la séquestration de l'enfant, âgé de 8 ans en 2011, l'ont  accablé. Exaspérés de n'avoir pu apprendre au cours de l'audience où se trouve le petit garçon, la mère de Mathis, dont il est séparé depuis 2007, et les familles ont affronté un insoutenable silence.  

Arrêté le 9 décembre 2011, seul, près d'Avignon (Vaucluse), après plusieurs semaines d'errance et incarcéré depuis, Sylvain Jouanneau encourt vingt ans de réclusion. Si le verdict sera rendu jeudi 4 juin, la vérité sur le sort de Mathis demeure inconnue. A défaut, le procès a mis en lumière le parcours et la personnalité de ce père mutique, au regard impassible. L'insondable Sylvain Jouanneau. 

Un enfant "difficile à gérer" 

Né en 1974, Sylvain Jouanneau a grandi à Louvigny (Calvados), dans la banlieue de Caen, avec une grande sœur et un petit frère. Appelée à la barre au premier jour du procès, la première se souvient de son cadet comme d'un enfant "difficile à gérer". Le second, comme d'un "jusqu'au-boutiste". Non, "un perfectionniste", a corrigé l'intéressé lorsqu'il parle de lui. A l'école, il ne se sent souvent "pas à sa place". "Il n'avait pas d'amis, il était exclu. On le surnommait 'la passoire', 'le limaçon'", s'est souvenue sa mère, enseignante. Et à la maison ? A l'audience, Sylvain Jouanneau a déploré les absences de son père, pris par son travail de cadre dans une banque. "Nous étions un peu vieille France", a reconnu ce dernier à la barre. "Chez nous, le père ramenait l'argent et la mère s'occupait des enfants." Et "il n'a jamais été un enfant facile", selon sa maman.

Le garçon "colérique" est devenu un adolescent tourmenté. A 20 ans, il "s’enferme dans les toilettes de son lycée et avale des médicaments", raconte Paris-Normandie. A la suite de cette tentative de suicide, il est interné une première fois en hôpital psychiatrique. "Sylvain Jouanneau semble avoir trouvé de brèves périodes d'apaisement auprès de femmes dont il est tombé amoureux", relève toutefois Le Figaro. Y compris auprès de Nathalie Barré, la maman de Mathis, de neuf ans son aînée et déjà mère de deux enfants, qu'il a épousée en 2003, peu avant la naissance du garçon. 

Un père "très attaché" à son fils 

Sur les photos de famille de l'époque, il apparaît souriant, avec Mathis sur les genoux ou dans ses bras. Il est encore l'homme décrit dans l'appel à témoins lancé le 26 septembre 2011, alors qu'il est en cavale : 1m75, les cheveux châtains courts, des lunettes aux verres épais. La note évoque un homme "très attaché" à son fils. C'est pour passer plus de temps avec lui qu'il a quitté son emploi de cadre dans une entreprise d'électronique pour devenir maçon, a même expliqué Sylvain Jouanneau à la barre.   

Lorsqu'il a divorcé en 2007, le couple s'est déchiré devant le juge des affaires familiales pour la garde de l'enfant, finalement confiée à Nathalie Barré. Selon elle, le petit garçon était maltraité chez son père. Mathis lui racontait à son retour les punitions qu'il subissait. "Ses souffrances, multiples, (...) ne datent pas de son enlèvement, a-t-elle pleuré à la barre. Elles datent de bien avant. J'ai essayé de le protéger au maximum, je n'ai pas réussi."

De son côté, Sylvain Jouanneau s'est défendu d'avoir fait du mal à Mathis. Il a martelé l'avoir soustrait à sa mère dans l'intérêt de l'enfant, lui faisant croire que cette dernière venait de se tuer dans un accident de la route. "C'est l'enfant de la haine", a-t-il toutefois lâché en 2010, dans une lettre lue au tribunal : "Il y a des gènes de sa mère en lui. Je ne peux pas faire de miracles. (...) J'ai fait le deuil", expliquait-il. Quelque mois plus tard, en janvier 2011, il avait tenté une première fois d'enlever Mathis, avant de se raviser, convaincu par sa nouvelle compagne, Emmanuelle Lecerf. Elle l'a déjà quitté en septembre 2011, quand Sylvain Jouanneau file vers Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) avec Mathis, au lieu de le ramener à Caen. 

Un amant qui "emprisonne" les femmes qu'il aime

Nathalie Barré a admis avoir un temps connu le bonheur aux côtés d'un Sylvain Jouanneau qui savait être "doux" et "attentionné". "J'ai vécu une grossesse merveilleuse",  s'est encore souvenue la mère de Mathis. "Mais après le mariage, j'étais emprisonnée", a-t-elle dit à la barre. "A chaque fois que je n'étais pas d'accord avec lui, il se faisait hospitaliser, raconte-t-elle. Il ne voulait pas vivre avec mes deux précédents enfants (...). Il avait aussi décidé d'aller vivre au 3e étage de la maison. Moi, je m'occupais de Mathis toute seule au 2e étage. Il ne nous parlait plus. Pas un mot à Mathis."

Après leur divorce, Sylvain Jouanneau  a retrouvé l'amour auprès d'une jeune femme marocaine pour qui il s'est converti à l'islam, puis auprès d'Emmanuelle Lecerf, venue à la barre pour raconter sa vie avec cet amant qui "lui faisait peur"Après leur séparation, elle a reçu une lettre dans laquelle il menaçait de mort ses proches si elle ne revenait pas avec lui, imposant de se plier à ses exigences "jusqu'à l'âge de [ses] 43 ans". "Tu rentreras tous les soirs à 17 heures", exige-t-il par exemple dans le document. "Il me disait que j'étais surveillée, j'étais déboussolée... [Il] avait acheté une malle et des outils pour tuer son ex-femme", a-t-elle expliqué, entendue par visioconférence, encore tétanisée de représailles venues d'éventuels "complices".

Un prisonnier "figé"

"Ses cahiers rédigés en prison témoignent d’une écriture serrée, régulière, presque scolaire. Et sans jamais aller à la ligne. De même, les recueils d’articles de journaux collectés en détention apparaissent très soigneux," écrit Normandie Actu. Dans sa prison, Sylvain Jouanneau voit régulièrement un aumônier et n'a reçu comme visites familiales que celles de ses parents. Interrogés sur France 3, ses derniers se sont heurtés au mur du silence : "Lorsqu'on aborde Mathis, il se bloque. Il est figé, déplorait le père de Sylvain Jouanneau. Même sur son visage, on n'arrive pas à deviner quoi que ce soit."

 Un homme au "psychisme rigide"

A l'audience aussi, il est resté mutique. Souvent, il a détourné la tête, il a concédé quelques réponses laconiques, ou lancé, provocateur, des piques à ses interlocuteurs : "Je refuse d'entendre parler d'enlèvement et de séquestration. Avec ces chefs d'accusation, c'est la justice qui bloque la situation", a-t-il martelé. A l'avocat général, qui l'interrogeait, il a rétorqué, agacé : "S'il faut que je vous reprenne à chaque terme !" 

A la barre, le docteur Daniel Zagury a quant à lui confirmé le caractère manipulateur de Sylvain Jouanneau, qui a avoué avoir planifié l'enlèvement de l'enfant. "Incapable d'autocritique et de s'interroger sur un être différent de lui", il est doté "d'organisation psychique rigide" et "fonctionne sur le 'tout ou rien' : ou les digues défensives tiennent, ou c'est l'effondrement", énumère-t-il. Pour lui, "tout abandon est vécu comme une trahison." Ainsi, sa rupture avec Emmanuelle Lecerf aurait pu servir de déclencheur, suspectent les experts.

L'hypothèse "hélas la plus probable" est la mort de l'enfant, a estimé le docteur Zagury. Il a évoqué le syndrome de Médée, qui est avancé quand un parent tue l'enfant pour punir l'autre parent. Le prévenu n'est pas atteint de maladie mentale, mais souffre de forts troubles de la personnalité, qui ont pu altérer son discernement, a conclu le médecin, relevant qu'"aucune inquiétude ne transpire de son discours vis-à-vis de son fils" : il pourrait avoir "gommé" son acte "de sa propre mémoire" pour "retarder le moment de la confrontation avec son geste". Quant à l'insoutenable silence, il est "possible, voire probable" qu'il dure "pour le restant de ses jours".

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