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Le délit d'offense au chef de l'État doit-il disparaître ?

La Cour européenne des droits de l'Homme a condamné la France jeudi dans l'affaire de l'affichette "Casse-toi pov'con". Hervé Eon, poursuivi pour offense au chef de l'État, avait écopé d'une amende. Amende jugée contraire à la liberté d'expression. Mais qu'est-ce que l'offense à Président ? Quand l'invoque-t-on ? Questions autour de ce délit que ses détracteurs jugent "désuet" et "arbitraire".
Article rédigé par Cécile Quéguiner
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
  (Jacky Naegelen Reuters)

Quel est donc ce délit que la Cour européenne des droits de l'Homme vient de rejeter dans l'affaire de Hervé Éon, condamné en novembre 2008 pour avoir brandi l'affichette "Casse-toi pov'con" lors d'une visite de Nicolas Sarkozy à Laval ? Délit dont le co-président du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, ne cesse de réclamer l'abrogation depuis lors. Délit "complètement désuet ", affirme-t-il. 

Les origines du délit d'offense

Remontons à la source de ce délit : la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, et plus exactement ses articles 23 et 26. Ceux-ci pointent "l'offense au Président de la République" tant par des cris, discours, imprimés, dessins, placards ou affiches. Jusqu'en 2000, ce délit pouvait être puni de peines d'emprisonnement de trois mois à un an. Désormais, l'article 26 prévoit une amende pouvant aller jusqu'à 45.000 euros. 

Ce délit, en tout cas, ne doit pas être confondu, comme le soulignait Maître Éolas sur son blog en 2008, avec celui d'"outrage à personne dépositaire de l'autorité publique", prévu par le Code pénal. Précision : l'outrage s'applique aux atteintes à la dignité ou au respect de la personne, non rendues publiques, précise l'avocat. Tandis que l'offense se conçoit au vu et su de tous. Le délit d'offense en outre est bien plus sévèrement puni que celui d'outrage (7.500 euros d'amende), ou que les délits d'injure ou de diffamation réservés aux simples citoyens. Il ne tolère enfin aucune excuse, à la différence des trois autres cités. Ce qui fait dire à ses détracteurs qu'il s'agit bien d'un privilège, d'une survivance de l'ancien crime de lèse-majesté. 

Trop rares "offenses"

Sous la Ve République, c'est le général de Gaulle qui en a le plus eu l'usage. 5 fois, selon l'avocat Éolas. Georges Pompidou, à son tour, aurait invoqué ce délit à une seule reprise. Et puis plus rien... jusqu'à ce que le parquet lui-même prenne l'initiative de poursuites à l'encontre de l'impétrant Eon, sous la présidence Sarkozy.

"Cette incrimination est restée marginale et arbitraire"

Dans une proposition de loi déposée en 2008 pour abroger ce délit, Jean-Luc Mélenchon, alors sénateur, soulignait que "l'essentiel des poursuites pour offense ont été engagées au début de la Ve République par le Général de Gaulle dans un contexte complètement révolu aujourd'hui où la vie du chef de l'État avait été menacée à plusieurs reprises. Hormis cette période troublée, l'utilisation de cette incrimination est restée extrêmement marginale et arbitraire, ce qui traduit à la fois sa faible utilité et justification juridique ". De fait, la Cour européenne des droits de l'Homme a souligné à son tour jeudi que ce délit était "quasiment tombé en désuétude ". 

Vers l'abrogation du délit ?

Ce n'est pas la première fois que la CEDH s'attaque au contenu de la loi de 1881. En 2002, elle avait obtenu de la France l'abrogation d'un délit très proche : celui d'"offense à chef de l'État étranger", qui permettait à ces derniers, par leur seul statut, de se soustraire à la critique. En l'occurrence, l'affaire opposait le roi du Maroc à la direction du Monde , accusée d'allégations offensantes. 

Hervé Éon n'en attendait donc pas moins de cette Cour ce jeudi. L'homme du "Casse-toi pov'con" espérait que les juges allaient démontrer une bonne fois pour toute l'incompatibilité de ce délit avec la liberté d'expression. Las, les magistrats de Strasbourg s'en sont tenu aux faits, estimant que son affichette était "littéralement offensante ", mais qu'il s'agissait là d'une critique "de nature politique ", à laquelle un homme politique s'expose "inévitablement et consciemment ". Elle a aussi souligné "le registre satirique ", pour lequelle recours à une sanction pénale apparaît "disproportionnée ". Explication de texte, sur Twitter, par le même Maître Éolas :

Regrets d'Hervé Éon, pour qui "le combat politique continue pour obtenir l'abrogation de ce délit d'offense au chef de l'État ". "Abrogez le délit d'offense au président ! ", a également (re)clamé Jean-Luc Mélenchon, dans un communiqué ce jeudi. 

> Écouter Hervé Eon

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