Lutte contre la radicalisation : reportage derrière les murs de la prison d'Osny
Il faut franchir un certain nombre de portes à barreaux, et traverser de longs couloirs pour arriver jusqu'au bâtiment A1 où a été aménagée l'unité dédiée d'Osny, étalée sur deux étages, dans une aile déjà existante de cette maison d'arrêt du Val d'Oise, qui compte au total 870 détenus, pour 600 places. Cette unité dédiée, elle, n'hébergera qu'une vingtaine de détenus, tous liés à des affaires de terrorisme islamiste. Pour l'instant, seuls cinq détenus sont arrivés dans leurs cellules, derrière de lourdes portes de fer, couleur vieux rose. Nous n'avons pas eu le droit de rencontrer ces détenus, qui sont en train d'être transférés au compte-gouttes, venus d'autres établissements pénitentiaires. Derrière une porte, on distingue un chant religieux.
Le directeur de la prison, Renaud Seveyras, nous emmène dans une cellule voisine, encore sans occupant. Les murs sont peints en jaune et vert pastel. Derrière la vitre, un grillage, des barreaux, et un chant d'oiseaux. Dans la cellule, il y une douche, un lavabo, un réfrigérateur, une télévision, une armoire, et un seul lit. "Dans cette unité dédiée, l'encellulement est rigoureusement individuel ", explique le chef d'établissement, alors que ce n'est pas le cas du tout dans le reste de la détention, surpeuplée. Renaud Seveyras précise que ce choix de mettre une personne par cellule, c'est pour favoriser la prise en charge, éviter les pressions entre les personnes, mieux contrôler.
"C'est un quartier dans lequel les personnes présentant un fort niveau de radicalisation sont regroupées, poursuit-il. Le principe est de garantir une étanchéité avec le reste de la population pénale pour éviter le prosélytisme, et en même temps tout faire pour favoriser un travail de prise en charge et d'observation par les surveillants, un travail pédagogique dans lequel l'Education nationale aura un rôle extrêmement important à jouer" .
Quatre enseignants de l'Education nationale viendront plusieurs heures par semaine donner des cours, obligatoires, aux détenus de cette unité dédiée. Trois des détenus qui viennent d'arriver ont un niveau baccalauréat. Parmi les professeurs qui viendront en prison, il y aura un spécialiste de géopolitique. Les détenus participeront aussi à des groupes de parole avec des victimes du terrorisme, par exemple avec Latifa Ibn Ziaten, la mère d'un des soldats victimes de Mohamed Merah. Elle s'était déjà rendue à Osny et avait ému aux larmes bien des détenus.
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Les détenus verront également des repentis du djihad, dans ce programme de prise en charge qui doit durer six mois. Ils auront deux promenades par jour, comme tous les autres, mais dans leur propre cour de promenade, petite, très sécurisée, et avec une table de ping-pong au milieu. Les détenus auront aussi accès à la salle polycultuelle d'Osny, un lieu assez unique, où toutes les religions ont leur place, et où "il n'y a jamais eu aucune dégradation", souligne le directeur de la prison. Renaud Seveyras insiste aussi sur l'importance de "ne pas priver ces détenus de culte, notre objectif n'est pas d'agir sur leur foi, c'est uniquement d'agir sur les déviances violentes" .
"Beaucoup n'ont pas d'antécédent judiciaire"
Les 240 détenus actuellement incarcérés pour des affaires de terrorisme islamiste devraient passer par au moins une de ces unités dédiées. Ils devraient tous ou presque passer par la première unité, dite d'évaluation. Il y aura deux unités de ce type, l'une à Fleury-Mérogis, et l'autre à Fresnes. Cette évaluation durera de deux à huit semaines. Une fois évalués, certains détenus radicalisés rejoindront les unités de prise en charge, comme à Osny, d'autres iront dans des prisons classiques, et les plus dangereux, ou les plus médiatisés, seront placés à l'isolement total. A Fresnes, une des psychologue a commencé à réaliser ces évaluations. Et les profils de ces détenus liés à des affaires de terrorisme islamiste sont déroutants, dit-elle.
"Ça brouille un petit peu nos codes d'analyse, parce qu'on est sur des profils assez différents des profils de violence habituels. Ce sont des personnes qui pour beaucoup n'ont pas d'antécédent judiciaire, et qui là se retrouvent en détention pour des faits assez graves. On n'est plus dans des modèles de violence liés à l'impulsivité de la personne, on est dans une forme de violence plutôt réfléchie avec une idéologie extrémiste comme base".
Dans ces unités dédiées, les psychologues travailleront pour la première fois en binôme avec des éducateurs spécialisés. Le but du binôme, sera de croiser les regards, sur des détenus souvent suspectés de pratiquer la taqiya, cette technique de la dissimulation. C'est facile de dissimuler ses intentions terroristes lors d'un entretien d'une demi-heure avec un psy, c'est plus difficile de dissimuler pendant plusieurs semaines, sous l'œil de surveillants ou d'éducateurs. L'un d'eux nous explique que son nom, sa peau noire et sa pratique de l'islam le rendent plus proche des détenus, à Fresnes. Ce jeune éducateur pense qu'il faut surtout parler, beaucoup, avec ces détenus, pour tenter de les sortir de la radicalisation. Et il ne veut surtout pas entendre le mot "déradicalisation". "Le mot déradicalisation, concrètement, qu'est-ce que ça veut dire ? On n'est pas magicien, on va pas arriver et déradicaliser d'un coup de baguette magique. Ce mot-là, je ne le comprends pas" . Un mot tabou aussi pour Géraldine Blin, en charge du projet de lutte contre la radicalisation à l'Administration pénitentiaire.
"Il ne s'agit pas de faire de l'angélisme"
C'est elle qui pilote toutes ces unités dédiées. Des unités encore un peu expérimentales mais indispensables, dit-elle, pour ces détenus islamistes radicalisés. "Ils présentent à la fois un risque pour le reste de la détention et pour l'extérieur. On a décidé de les prendre en charge. Il ne s'agit pas de faire de l'angélisme. Il s'agit de protéger la société, en se disant qu'on doit s'attacher à ce que ces gens-là n'aient pas recours à la violence pour des motifs extrémistes religieux ". Il y a pour l'instant trois unités dédiées sur cinq qui ont commencé à fonctionner, doucement, seulement pour les hommes. Pour la dizaine de femmes incarcérées récemment pour du terrorisme islamiste, il n'y a encore aucun programme. Mais Géraldine Blin veut s'en occuper. "Car elles sont souvent particulièrement radicalisées".
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