Au procès Marina, l'amour d'une fillette pour ses parents tortionnaires
La diffusion de l’audition filmée de la fillette, jeudi, devant la cour d’assises du Mans, a montré une enfant cherchant à tout prix à les protéger.
L’horreur d’un côté, l’amour de l’autre. Une étonnante réalité a surgi de l’audience du jeudi 14 juin, dans le procès des parents tortionnaires de Marina. En diffusant l’audition filmée de la fillette, un an avant sa mort, la cour d’assises du Mans a donné à voir une enfant qui n’a jamais cessé d’aimer ses parents aujourd'hui accusés de l'avoir tuée. Et tout particulièrement sa mère.
Interrogée par les gendarmes ce 23 juillet 2008, à la suite d’un signalement de l’école, la fillette qui apparaît à l’écran ne ressemble pas à celle de la photo diffusée lors de l’avis de recherche en 2009, alors qu’on croyait encore à sa disparition. Elle s’anime, rit presque trop fort, répond aux questions avec attention, tire sur sa petite jupe blanche, n’a rien de l’enfant prostrée et silencieuse décrite par ses parents.
La mère, en pleurs, et le père, tête baissée
L’émotion gagne la cour alors que la petite voix évoque le cartable à roulettes et les beaux vêtements que sa mère doit lui acheter, les quatre chambres de sa grande maison, les peintures et les dessins qu’elle aime faire. La petite fille s’applique à s’inventer une autre vie. La mère, en pleurs, et le père, tête baissée, l’écoutent fournir consciencieusement une explication à chaque cicatrice relevée par le médecin légiste. Dix-neuf au total.
La brûlure au bras ? Une douche un peu trop chaude. La blessure à la tête ? Une chute dans l’escalier. Le bobo à la cuisse ? Un coup de pied du petit frère. La cicatrice au talon ? Une chute à vélo… "Une vraie cascadeuse, Marina", plaisante la gendarme qui mène avec douceur l’entretien. La vue de la malle recouverte de béton dans laquelle son corps a été retrouvé, et qui trône au milieu du tribunal, donne la nausée.
"Papa me tape pas et maman aussi"
Au cours de l’entretien, pourtant, la vérité affleure. "Y a personne qui te fait du mal alors ?", insiste la gendarme. "Non. Sauf ma maman et sauf mon papa…", lâche Marina avant de corriger : "Papa me tape pas et maman aussi." A l’époque, aucun expert-psychiatre n’a visionné cette vidéo.
"Vous lui avez offert l’enfer, nous on a vu le petit ange aujourd’hui, ça vous fait quoi ?", lance un avocat de la défense au "papa" et à la "maman". "Vous disiez que vous la battiez parce qu’elle ne bougeait pas et qu’elle ne parlait pas alors qu’on a vu tout le contraire, poursuit-il. Alors c’était quoi ces coups ? C’était votre jouet ?" Le père s’insurge, lève les yeux au ciel, la mère reste muette face à l'indicible.
Le faciès d'un boxeur
"Est-ce que vous ne croyez pas que cette vérité qu'elle n'a pas pu dire, c'est à vous de la dire aujourd'hui ? reprend Me Constantino, avocat de l’association Enfance et partage. Faites-le pour elle. Dites-nous ce qu'elle n'a pas été capable de dire", insiste-t-il. Un dernier acte d’amour, pour cette enfant qui n’a jamais été aimée ? Abandonnée à la naissance après la séparation temporaire du couple, Marina est reprise par sa mère un mois après, pour le pire. A 3 ans, son visage est encore celui d’une petite fille "normale", comme le prouve une photo projetée par le tribunal et publiée par Le Maine libre.
A 8 ans, Marina a le faciès d’un boxeur, à force de claques, de coups de poing et de tête projetée contre le mur. Ses yeux semblent avoir rétréci. A tel point qu'on la croit trisomique, comme en témoigne cet article du JDD. Elle est beaucoup plus petite que la moyenne, a un ventre gonflé, un pied rentré, un doigt replié, des cheveux très fins. "Pourquoi il change, le visage de Marina ?", demande le président Roucou. "Parce qu'on la torturait", dit la mère. "Parce qu'on la maltraitait", dit le père.
Privée de nourriture pendant un ou deux jours
Si l’un comme l’autre tentent de minimiser les sévices infligés à leur première fille, les éléments connus suffisent à imaginer le supplice de l’enfant : privée de nourriture pendant un ou deux jours, au point de voler les goûters de ses camarades et de manger des steaks hachés décongelés en cachette, attachée avec du ruban adhésif ou des sangles au lit pendant une journée ou une nuit, obligée de marcher pendant trois heures sur du carrelage anti-dérapant pieds nus, un cartable sur le dos, contrainte à avaler du vinaigre et du gros sel…
Malgré tout, les enseignants décrivent une petite fille qui ne se plaint jamais, "souriante, sage, attentive, travailleuse, soigneuse, particulièrement attachante", et toujours contente d’aller à l’école quand sa mère le lui permet. Pourquoi cette femme s’est-elle acharnée sur cet enfant en particulier, épargnant les quatre autres ? Et pourquoi Marina s’est-elle accrochée à cette mère mal-aimante et maltraitante, la protégeant à tout prix ?
"Elle ne m’a jamais, jamais, jamais rien dit"
Une psychologue a apporté un élément de réponse à la deuxième question jeudi : "Un enfant a toujours besoin de ses parents, quels qu’ils soient et si mauvais soient-ils. Marina n’a rien connu d’autre, donc elle s’est construite d’une curieuse manière." Hospitalisée pour ses blessures aux pieds en 2009, Marina ne s’endort qu’après avoir appelé sa mère tous les soirs, guette les visites de ses parents et pleure à chaudes larmes quand ceux-ci ne paraissent pas.
Cette affection de Marina pour ses bourreaux a trompé tout le monde. "Elle ne m’a jamais, jamais, jamais rien dit", souligne à la barre la psychologue, aguerrie aux cas de maltraitance. Sans parole de l’enfant, comment transformer le doute en certitude ? En mars 2009, quatre mois avant sa mort, Marina dit pour la première fois à son instituteur : "Je ne sais pas ce qu’elle a maman ce matin mais elle m’a tapée." Même chose le lendemain.
Les volets fermés
Des soupçons, les enseignants qui ont suivi Marina en ont tous eus. A chaque école fréquentée au gré des déménagements des parents, les bleus, l’absentéisme, les fringales, les maux de ventre et de tête puis les pieds avec des "plaies horribles" sont signalés aux autorités judiciaires ou à l’aide sociale à l’enfance du département. En vain.
"Tous les jours j'avais peur qu'on découvre qu'elle soit maltraitée. Je fermais les volets", avoue la mère devant la cour. Marina est morte une nuit d’août 2009, quand il n’y avait plus personne pour s’apercevoir de son absence.
L’audience reprendra lundi, avec l’audition des assistantes sociales du conseil général de la Sarthe.
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